Acciona, le nouveau bateau de Javier Sansó est le premier voilier à utiliser uniquement des énergies renouvelables, sans la moindre goutte de gazole pour générer l’énergie électrique du bord. Ce projet est historique car il marque un avant et un après dans le développement des nouveaux bateaux de courses océaniques et place la classe IMOCA en pionnière dans la compétition de haut niveau.

Santi Serrat a interrogé le marin espagnol originaire de l’île de Mallorque, dans sa base de Palma peu de temps après avoir qualifié son bateau pour le prochain Vendée Globe.

Acciona 100% Ecopowered est l’aboutissement d’un projet qui était dans les tuyaux depuis des années mais impossible à réaliser jusqu’à présent : un bateau de course produisant son énergie électrique uniquement grâce à des “moteurs propres”, sans combustion d’énergie fossile comme c’était le cas jusqu’à présent pour charger les batteries.

Acciona, entreprise espagnole spécialisée dans la production et l’utilisation des énergies propres a décidé d’apporter son soutien à Bubi Sanso. Ce projet marque une nouvelle étape pour les IMOCA et la course au large : l’association des énergies éoliennes, solaires et hydrodynamiques pour apporter une autonomie électrique totale sur un voilier de course moderne.

Acciona a su rester fidèle à sa philosophie d’entreprise allant même jusqu’à compenser les 115 mètres cube de CO2 émis par la construction du bateau, à travers un crédit carbone permettant de financer les fermes éoliennes de Anabaru, Arasinagundi et Karnataka (Inde), propriétés de l’entreprise.

Le nouvel IMOCA Open 60 signé par le cabinet Owen Clarke et construit en Nouvelle Zélande par Southern Ocean Marine, embarque deux éoliennes de 350W chacune, 12 mètres carré de panneaux solaires photovoltaïques et deux hydrogénérateurs de 400 W. L’énergie générée sera stockée dans des batteries au lithium intelligentes avec un système de secours fonctionnant avec des piles à hydrogènes, obtenu également grâce à des sources d’énergie renouvelables.

Pour Bubi, ce projet marque l’accomplissement du rêve de sa vie : un IMOCA entièrement neuf. Son objectif immédiat : le Vendée Globe 2012-2013, puis le Tour de l’Europe en mai, et enfin la Barcelona World Race en ligne de mire.

Combien de miles avez-vous parcouru jusqu’à présent avec votre nouveau Acciona ?

J’ai fait mes premiers milles avec le bateau en revenant de Brest, ce qui représente environ 2000 et quelques milles avec un bateau tout neuf. J’étais déjà qualifié pour le Vendée Globe mais il fallait qualifier aussi le bateau en parcourant 1500 milles en solitaire. Mon idée première était d’aller naviguer en Atlantique mais je suis tombé dans un anticyclone et une zone de calmes terribles, alors au final je suis resté en Méditerranée pour m’entraîner et m’exercer sur certaines manœuvres par la même occasion. Il m’a fallu 4 jours pour arriver à Gibraltar, et comme je devais me qualifier dans une période de temps donné et que la météo annonçait très peu de vent, j’ai décidé de rester en Méditerranée et de me faire un entraînement intensif de manœuvres et de changements de voiles.

Content des performances du bateau ?

Les sensations à bord ont été vraiment bonnes. C’est un bateau très rapide et toute l’équipe de conception et de fabrication a fait un travail fantastique. Tous les membres de l’équipe technique sont très satisfaits. L’architecte et directeur technique de l’équipe, Merf Owen, et de nombreuses autres personnes ont été impliquées dans le projet. Dans le bassin hydrodynamique au Pardo à Madrid, les aides de Eloy Carrillo ainsi que celle de Ian Campbell ont été inestimables. Nous avons également reçu le soutien de Michel Kermarec qui a travaillé sur les appendices et de Clay Olivier co-architecte, l’un des « gourous » des bateaux de course. Ricard Teixidó du Team Harrod, à Barcelone, a aussi pris part à la conception et à la construction du bateau.

Comment a fonctionné le système d’énergie ?

Pour être tout à fait honnête, tout est beaucoup plus facile qu’avec un moteur diesel, puisqu’on ne se préoccupe de rien. Je pensais qu’il serait indispensable d’avoir une connaissance importante en technique pour le faire fonctionner mais Bari et Albert (Jordi Barinaga et Albert de Torres) de Tecontalasa ont fait un travail incroyable et tout s’est passé comme sur des roulettes. Tout est automatique. Ils ont mis en place un système sur lequel je n’ai qu’à regarder les volts et les ampères qui arrivent, je jette juste un œil de temps en temps. Pour être sincére j’ai navigué en permanence avec plus d’énergie que nécessaire, j’avais toujours 30 % d’énergie supplémentaire en stock. Je ne suis pas allé à 100% du système énergétique dont j’aurai besoin pour le Vendée, mais je n’ai eu à aucun moment de problème de charge.

Pas même dans la pétole ?

Non, pas même dans la pétole ! J’étais dans des zones de calme avec du soleil, mais un soleil d’hiver, très bas. Ce ne sera pas le cas pendant le Vendée, puisque dans les zones de calmes équatoriales le soleil sera à la verticale et les panneaux solaires travailleront à leur pleine capacité. On a fait un test à terre sans charger les batteries pendant une semaine et malgré ça le système a bien fonctionné.

Peut être que la « ligne rouge » pourrait être franchie après une semaine de pétole sous les nuages ?

Ca peut arriver, mais c’est pour anticiper une situation aussi extrême que j’amène une pile à hydrogène. Imaginons que les hydrogénérateurs ne fonctionnent plus, que je casse 7 panneaux sur les 14 que j’amène, une situation quasiment impossible, eh bien alors effectivement je commencerai à avoir quelques problèmes. Mais de toute façon avec un moteur à essence, si tu tombes en panne il ne te reste rien !

Il faut savoir que les panneaux solaires se chargent en permanence. Pour vous donner une idée, je suis en 48 volts et ma consommation quotidienne est de 3-4 ampères maximum (avec les transmissions satellites et en poussant le bateau au maximum). Avec les panneaux solaires je peux obtenir jusqu’à 20 ampères pendant la journée et pendant la nuit je peux mettre l’hydrogénérateur ; ainsi j’obtiens 17 000 watts de charge pour ma batterie. Presque sans les charger je peux donc fonctionner pendant 3 jours. Les batteries au lithium que j’embarque sont de dernière génération, elles possèdent un système de régulateur repartiteur intégré.

Au final, j’ai une marge de sécurité plus importante qu’avec un moteur diesel. Bien sûr je peux rencontrer des avaries comme tout le monde, mais j’ai un système d’énergie bien plus diversifié avec moins de trous dans la coque qu’avec un moteur classique puisque j’ai moins de vannes sous le moteur, juste deux passe-coque pour les ballasts.

Ton projet marque un avant et un après dans le monde de la voile de compétition ?

En fait nous avons mis en action ce qui était dans la tête des architectes et des techniciens depuis bien longtemps. « Oui on peut le faire… Non on ne peut pas… ». Nous avons finalement démontré que oui c’était possible en remplissant les conditions très strictes de la classe IMOCA, complètement réfléchies pour les moteurs diesel. On pourrait embarquer moins de systèmes, moins de panneaux solaires et moins de choses, mais la jauge impose une traction de 285 daN et une vitesse de 5 noeuds en route libre avec une autonomie démontrée de 5 heures. Pour mon tour du monde, je pourrais utiliser la moitié des systèmes que j’embarque. Dans l’absolu, je n’ai pas besoin de pile à hydrogène, ni d’autant de batteries. Notre plus grande réussite c’est de rivaliser avec les moteurs diesels, et d’arriver aux mêmes niveaux de performance qu’eux.

Est-ce que l’on va vers la mise en place de normes autour des énergies renouvelables sur la classe IMOCA ? Ton bateau pose les bases de tout cela ?

Je pense que l’on est plus proche de la mise en place de normes autour des énergies propres que de devenir une monotypie. La bonne idée serait de mettre en place un « pack énergie » pour les IMOCA avec un voltage minimum et réussir à le faire homologuer. Je ne trouve pas normal que certains bateaux partent sur un Vendée Globe avec 250-300 litres de gasoil si l’on tient compte des technologies disponibles aujourd’hui. Avec un peu d’effort on pourrait s’imposer certains standards et tout le monde y gagnerait car ça permettrait de sauver de nombreux kilos embarqués.

Que penses-tu du débat actuel sur la monotypie dans la classe IMOCA ?

Je pense que ce serait faire marche arrière. La classe doit rester comme elle est. Pour la monotypie on a déjà la Class 40. Les IMOCA n’ont rien à envier aux Volvo en terme de technologie, de performance et de taille. Un seul architecte, un seul chantier… je ne peux pas l’imaginer et je crois que ce serait au détriment de la classe et de toute façon je ne crois pas que ça baisserait les coûts de fabrication de manière significative. La classe IMOCA doit rester telle qu’elle est : une classe d’élite de la course au large.

Mais en monotypie le talent du marin est mis encore plus en valeur…

Oui, dans ce sens les arguments sont bons. Mais en cette période de crise il y a de très bons skippers qui ne réussissent pas à trouver de sponsors, ce qui n’était jamais arrivé auparavant et le coût des projets est déjà très élevé. Je pense qu’il faut surtout travailler sur la promotion de la classe comme ils le font sur la Volvo Ocean Race. Les Volvos sont des Open 70 et nous sommes des Open 60… Presque tout le monde a entendu parler et sait ce que sont les Volvo mais très peu connaissent les IMOCA. Nous sommes largement plus nombreux qu’eux et il faut que les sponsors entendent parler de nous, de nos magnifiques bateaux à la durée de vie bien plus importante, et du magnifique calendrier de régates de très haut niveau. Il faut que l’on apprenne à mieux se vendre.

Ton projet a un très fort potentiel de communication. Comment allez-vous communiquer avec Acciona autour des valeurs de développement durable et des énergies propres ?

Acciona a voulu faire un projet « zéro émission » dès le départ. Evidemment ce n’était pas possible pendant la construction du bateau, et ça aurait été trop risqué de se lancer dans une construction epoxy à base de résines bio par exemple. Alors Acciona a décidé de compenser les émissions de carbone produit pendant la construction dans des fermes d’éoliennes en Inde. L’idée est de montrer qu’il est possible de vivre sans émission de carbone ou en tout cas de les diminuer au minimum.

Comment places-tu ton bateau en terme de performances ? Quels sont les points différenciant par rapport aux autres bateaux ?

Eh bien, nous n’avons pas encore eu l’opportunité de nous confronter à d’autres bateaux, mais je pense que ça devrait bien se passer. J’ai eu de très bonnes sensations en le prenant en main. Mais je reste convaincu que la performance ne viendra pas du bateau en lui-même mais surtout de moi ! C’est à moi d’apprendre comment le faire fonctionner à 100% de son potentiel. Ce qui m’inquiète le plus c’est d’être à la hauteur de marins qui sont au sommet de la classe IMOCA depuis 5 ou 6 ans. Je vais entrer directement dans le vif du sujet en m’alignant au départ de l’Europa Race et du Vendée Globe.

Quelles sont les idées que tu as transmises à Merf Owen pour la construction du bateau ? Où peut on les voir sur le bateau ?

J’ai donné à Merf une marge de manœuvre assez importante pour privilégier la performance sur le confort. Par exemple ça m’importe peu de pouvoir me tenir debout à l’intérieur du bateau et je n’ai pas été très regardant sur d’autres points de confort. A l’intérieur on peut voir les influences de Ricard Teixidó – qui a toujours été à mes côtés depuis mes débuts dans la classe IMOCA – dans le cockpit avec les formes angulaires qui le caractérisent tant. En terme de navigation, j’ai toujours eu dans l’idée d’avoir deux postes de travail comme ce qu’a déjà fait Merf sur les autres bateaux sur lesquels j’ai pu naviguer – les Ecovers. Et je dois avouer que nous avons un peu copié certains postes de barre d’autres IMOCAS. J’ai également mis beaucoup d’écrans de contrôle sur le pont, ça vient de mon passé de régatier « inshore ». J’aime avoir toutes les données sous les yeux quand je suis sur le pont, même si sur le Vendée je n’aurai pas forcément autant d’écrans.

Le mât est-il plus en retrait que sur les autres bateaux ? Cela laisse présager une grand voile plus petite et plus de voiles à l’avant. C’est la différence essentielle ?

Oui mais il y a de nombreux autres bateaux qui ont suivi cette tendance, aussi bien les plans Verdier, que celui de Bernard Stamm de Juan Kouyoumdjian. Je ne pense pas que notre mât soit beaucoup plus éloigné que les autres, c’est plutôt une tendance des bateaux de nouvelle génération. On a un peu moins de surface de grand voile, moins d’un mètre à vrai dire (80 cm) ce qui est plus que suffisant d’autant que la quille est elle aussi positionnée plus en arrière. Le résultat donne un bateau qui va incroyablement vite dans les vents portants.

Penses-tu que les changements de parcours dus à la présence des portes de glace modifient les données climatiques et peuvent affecter cette tendance à favoriser les performances dans les vents portants ? Dans la dernière édition de la Barcelona World Race il y a eu 30% de navigation au près de plus que sur la première édition…

Oui c’est vrai que les portes de glace ont apporté plus de navigation au près, mais je ne pense pas que cela ai eu un impact sur les choix architecturaux. Nous avons pensé le bateau comme pour un Vendée Globe normal, comme d’habitude.

Quel est ton programme d’entraînement et de préparation ?

Le Tour de l’Europe en mai, puis nous ferons une campagne de relations publiques à Palma, et le premier septembre nous établirons notre base à Brest pour commencer à préparer le Vendée Globe.

Et la Barcelona World Race ?

Actuellement, évidemment je ne pense qu’au Vendée Globe, mais j’aimerais beaucoup refaire la Barcelona World Race et je pense que ce sera la suite logique de notre programme.

Avec qui aimerais-tu la faire ?

Comme toujours avec Pachi ! Mais il travaille actuellement sur un projet pour lui. Alors évidemment je préférerai courir contre lui qu’avec lui !

Bubi, le rêve devient donc réalité ?

Oui ! Cela fait 12 ans maintenant que je voulais arriver à ça. Parfois j’en étais tout près… parfois au point mort, et au final, c’est au moment où j’allais jeter l’éponge qu’Acciona a cru en notre équipe et a décidé de nous soutenir.

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