La guerre des trois
La bataille est toujours aussi intense en tête de course. Depuis ce mardi matin, Yoann Richomme (PAPREC ARKÉA) a pris les commandes mais sa 1ère place ne tient qu’à un fil : à 15 heures, il compte seulement 1,4 mille d’avance sur Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance) est repassé devant en ce milieu d’après-midi (au pointage de 15 heures). Situé plus au Nord, Sébastien Simon (Groupe Dubreuil, 3e), pointe quant à lui à 3,1 milles ! Les trois leaders vont ainsi rester groupés et creuser l’écart avec le reste de la flotte. Derrière, le resserrement se poursuit de Nicolas Lunven (Holcim-PRB, 4e) à Sam Goodchild (VULNERABLE, 10e). En revanche, Clarisse Cremer (L’Occitane en Provence, 12e), en proie à des soucis techniques, et Samantha Davies (Initiatives Cœur, 13e), ont quant à elles été distancées par leurs concurrents directs.
Heureux qui, comme des leaders, ont fait un grand voyage… Il y a une forme de sérénité qui se dégage de l’aventure que mène tambour battant les trois premiers de ce Vendée Globe. Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance) et Sébastien Simon (Groupe Dubreuil) avaient pris la poudre d’escampette dans l’océan Indien il y a quinze jours. Yoann Richomme (PAPREC ARKÉA) a cravaché pour les rejoindre – « je suis passé dans des trous de souris » confie-t-il – avant de les dépasser ce matin.
Mais c’est tout le trio qui est à la fête. Yoann apprécie « un scénario de course qui le rend heureux », Charlie démontre qu’il ne lâche rien et Sébastien Simon peut enfin allonger l’allure tribord amure, lui qui navigue avec un seul foil. Les écarts en témoignent de façon spectaculaire : après 37 jours de course, Yoann ne devance ses deux rivaux que de 1,4 milles et 3,1 milles au pointage de 15 heures ! « Ils vont pouvoir continuer à longer la Zone d’exclusion Antarctique (ZEA) et la tendance à court terme est plutôt à un regroupement entre les trois », analyse Basile Rochut, le consultant météo du Vendée Globe. « Ce qui est intéressant, c’est qu’on pourrait maintenir le groupe de poursuivants assez loin, confiait Yoann Richomme. D’après les fichiers météos, l’écart pourrait d’ailleurs être identique jusqu’au cap Horn ! »
Derrière, nouvelle cassure en vue
Car pour les poursuivants, les jours passent et le constat ne change pas : il faut prendre son mal en patience. La grande dorsale anticyclonique continue de leur barrer la route. Conséquence ? Nicolas Lunven (Holcim-PRB, 4e), Thomas Ruyant (VULNERABLE, 5e) et Jérémie Beyou (Charal, 6e) sont au coude-à-coude. « Ce n’est pas facile, le vent est super instable, il passe de 17 à 25 nœuds, il faut être toujours sur les réglages », assure Nicolas Lunven (Holcim-PRB), invité au Vendée Live. Ce trio compte moins de 120 milles d’avance sur Yannick Bestaven (Maître CoQ V, 7e), Paul Meilhat (Biotherm, 8e), Boris Herrmann (Malizia-Seaexplorer, 9e) et Sam Goodchild (VULNERABLE, 10e) qui s’emploient à rester devant un front. Joint aux vacations ce matin, Paul Meilhat résume la situation :
On se fait bien secouer en étant dans le wagon devant le front. L’avantage c’est que même si la mer est courte, il y a peu de manœuvres à faire. On va se rapprocher un peu plus du groupe Nicolas Lunven – Thomas Ruyant – Jérémie Beyou. Si on arrive à s’accrocher à ce front, il va nous propulser au tiers du Pacifique dans des conditions favorables. Et ça nous permet d’avoir des routages assez rapides jusqu’au Cap Horn.
Paul Meilhat
Biotherm
Si Paul est aussi déterminé à rester à l’avant du front, c’est que le laisser s’échapper équivaut à rester bloqué dans une zone de vent perturbée, beaucoup moins propice à progresser sereinement dans le Pacifique. Clarisse Crémer (L’Occitane en Provence, 12e) et Samantha Davies (Initiatives Cœur, 13e) en ont fait l’amère expérience. « Elles se sont fait dépasser par le front et ont donc changé de système météo par rapport aux autres », assure Basile Rochut. L’écart va donc irrémédiablement se creuser entre les deux navigatrices et ceux de devant. Difficile à encaisser pour Clarisse Cremer qui a, en plus, dû composer avec une succession d’avaries :
« Je suis tellement dégoutée ! Je me suis battue pendant des heures pour être à l’avant du front. Et là, j’ai un mini bout qui pète, une bastaque qui coince, une voile qui se bloque, un hook de grand-voile qui ne se déhooke plus… J’ai mis trois heures à le changer, dans cinq mètres de creux. Mon hook de grand-voile, une poulie de J2 et une latte ont cassé… Et j’ai raté le front… Je me suis tellement donnée, je suis tellement frustrée. Ça me rend dingue ! »
Clarisse Crémer
L’OCCITANE en Provence
Bagarre à tous les étages
Ne croyez pas que le rythme est moins soutenu à l’arrière de la flotte. Bien au contraire ! La cavalerie menée par Isabelle Joschke (MACSF, 17e), Jean Le Cam (Tout commence en Finistère – Armor-lux, 18e), Alan Roura (Hublot, 19e) et Giancarlo Pedote (Prysmian, 21e) redoublent d’intensité. Arnaud Boissières (La Mie Câline, 28e) fait partie de ce groupe aussi. Alors qu’il assure avoir légèrement moins mal au genou (« c’est moins pire »), il atteste que « le niveau est très soutenu ». « On est toujours au contact les uns des autres, raconte-t-il alors qu’il fait face à des vents d’une trentaine de nœuds. À l’entrée de l’Indien, j’étais un peu devant, là je suis un peu derrière… Mais c’est chouette, on se tire vraiment la bourre tous ensemble ». Ce n’est pas de tout repos pour autant comme l’explique Alan Roura :
J’ai un passage de front très copieux qui m’attend. Là, je suis juste devant, ce qui permet d’avancer mieux. La mer n’est pas très calée, ce n’est pas très rapide mais on avance ! Après, nous allons avoir un très long bord de 1300 milles avant d’entrer dans une zone de transition. Mais on ne sait pas encore à quelle sauce on va être mangé.
Alan Roura
HUBLOT
En attendant, il faudra résister à l’accumulation des efforts et aux ennuis techniques. Sébastien Marsset (FOUSSIER, 23e) a ainsi évoqué un nouveau problème d’hydrogénérateur, seulement trois jours après son avarie de vérin hydraulique de quille. Guirec Soudée (Freelance.com) continue lui aussi de batailler dans du vent fort au sein d’un système dépressionnaire. « J’ai passé plus de 20 heures enfermé dans le cockpit », explique l’aventurier. Ces conditions concernent aussi Kojiro Shiraishi (DMG Mori Global One, 30e) et Oliver Heer (Tut gut., 31e). Pour ces skippers encore en prise avec l’océan Indien, les jours se suivent et se ressemblent et tous n’ont qu’un rêve : allonger la foulée, entrer dans le Pacifique et bénéficier enfin de conditions plus clémentes.