Vendée Globe : trois salles, trois ambiances
À chacun sa réalité. Alors que les trois premiers de la course – Charlie Dalin (MACIF Santé Prévoyance), Sébastien Simon (Groupe Dubreuil) et Yoann Richomme (PAPREC ARKÉA) – progressent sous l’Australie, leurs poursuivants doivent composer avec une zone sans vent qui se forme et qui pourrait creuser encore les écarts. Plus loin, le groupe mené par Jean Le Cam (Tout commence en Finistère – Armor-lux, 16e) s’apprête à affronter une nouvelle dépression australe particulièrement rugueuse, à l’intensité proche de celle qui a balayé la tête de flotte la semaine dernière.
Guirec Soudée à bord de Freelance.com
Ils participent à la même épreuve – la plus prestigieuse de leur sport –, vivent le même rêve, aspirent à la même finalité (aller au bout) mais chacun vit des réalités bien distinctes. Le vertige pointe le bout de son nez à regarder la cartographie et à constater les écarts : près de 6 000 milles, soit un océan, séparent le leader (Charlie Dalin, MACIF Santé Prévoyance) de la lanterne rouge (Szabolcs Weöres, New Europe) ce qui engendre, forcément, des quotidiens qui n’ont plus grand-chose en commun.
Des écarts stables pour le trio de tête
En tête de course, Charlie Dalin continue de dérouler, lui qui occupe la première place de la course sans discontinuer depuis neuf jours. Bientôt, le skipper de MACIF Santé Prévoyance devra faire face à un front mais il faut visiblement bien plus pour l’inquiéter. Derrière en revanche, ça cravache. Pour l’instant, Sébastien Simon (Groupe Dubreuil) tient bon malgré son avarie de foil (à près de 200 milles) et Yoann Richomme (PAPREC ARKÉA) pointe à 360 milles. Lors de la vacation, Yoann s’accroche solidement malgré un gros planté dans les vagues. Son fauteuil, juché sur ressort, amortit les chocs et il s’en amuse : « c’est le 2e siège le plus cher de l’histoire après celui de Napoléon ». Yoann a donc le sourire avant de débriefer la situation :
J’ai l’impression que je comble mon retard petit à petit sur Sébastien (Simon) et Charlie (Dalin). On avance bien dans 25 nœuds de vent en moyenne. Je me sens en phase avec mon bateau, je crois que je l’ai bien en main. Même si ça bombarde parfois avec des grains à 30 nœuds comme hier, je suis dans mon rythme !
Yoann Richomme
PAPREC ARKÉA
Les poursuivants et la dorsale
Il n’empêche, Yoann surveille une « zone de transition », une zone sans vent. Si elle ne devrait pas concerner le trio de tête, elle focalise l’attention de leurs poursuivants. « Certains vont se faire rattraper par cette dorsale, ce qui peut créer des écarts conséquents », souligne Basile Rochut, consultant météo du Vendée Globe.
Parmi les skippers concernés, il y a le duo Jérémie Beyou (Charal, 5e) – Nicolas Lunven (Holcim-PRB, 6e) pas vraiment aidé par la succession des systèmes, le trio qui suit – Sam Goodchild (VULNERABLE, 7e), Paul Meilhat (Biotherm, 8e) et Yannick Bestaven (Maître CoQ V, 9e) – et, un peu plus loin, le quatuor Boris Herrmann (Malizia-Seaexplorer, 10e), Justine Mettraux (TeamWork-Team Snef, 11e), Clarisse Crémer (L’Occitane en Provence, 12e) et Samantha Davies (Initiatives-Cœur, 13e). La bande des quatre est d’ailleurs ralentie depuis le début de la journée. Clarisse était à la vacation ce mercredi matin et ne boudait pas son plaisir d’avoir enfin des conditions un peu plus clémentes :
C’est cool d’avoir un peu de répit ! Depuis dix jours, j’ai l’impression de m’être perdu dans les couloirs du temps. Tout est passé très vite, d’autant qu’on a la chance de faire un tout droit… Je suis un peu bloquée dans la molle mais je ne me focalise pas là-dessus. Pour nous le gros sujet, ce sera la dépression qui se creuse sous l’Australie, le premier gros caprice auquel je vais devoir faire face.
Clarisse Crémer
L’OCCITANE en Provence
Avant, la navigatrice a regretté de n’avoir rien vu des Kerguelen. « Il y a quatre ans, j’ai vu quelques îles mais pas là. On fait le tour de la planète mais on ne voit que de la flotte ! » Pour tenir le coup, Clarisse peut compter sur des plats « comme à la maison », pâtes carbonara hier, ainsi que ces amandes et noisettes enrobées de chocolat qu’elle « boulotte toute la journée ».
La dorsale qui concerne son quatuor pourrait permettre à ceux de derrière – Benjamin Dutreux (GUYOT environnement – Water Family, 14e), Romain Attanasio (Fortinet Best Western, 15e) et Pip Hare (Medallia, 16e) – de revenir légèrement. « Ils font face à un front assez actif avec du vent instable et une mer assez croisée », précise Basile Rochut.
Derrière, seuls face à la tempête
En revanche, changement d’ambiance pour le groupe mené par Jean Le Cam (Tout commence en Finistère – Armor-lux, 16e). Ces marins vont être rattrapés par un front virulent, un phénomène météorologique qui ressemble à celui qu’avait affronté la tête de course la semaine dernière. Des vents moyens de plus de 40 nœuds, des creux qui s’approchent des 10 mètres… Il va falloir s’accrocher à bord de bateaux déjà sur-sollicités ces derniers jours.
Les plus avancés s’affronteront demain après-midi et ceux à l’arrière du groupe dès ce soir. Certains se sont placés très nord (Jean Le Cam), d’autres au centre (Tanguy Le Turquais, Lazare) et certains plus au sud (Louis Duc, Fives Group – Lantana Environnement et Guirec Soudée, Freelance.com). Antoine Cornic (HUMAN Immobilier) fait partie des partisans de la route sud. Privé d’une voile de portant (FR0) depuis dimanche, il se prépare à affronter le « gros » du coup de vent :
Finalement, c’est une dépression assez classique par rapport à ce qu’on vit dans le Sud. Ce matin il faisait beau mais le temps va se couvrir, la pluie va arriver avec peut-être des grains. Ensuite, on devrait avoir des rafales de 65 nœuds donc ça va être un peu sportif ! Après, je n’ai pas envie de me mettre la rate au court-bouillon. Mais je continue à prendre du plaisir à être en mer. Hier, j’ai fait des surfs à plus de 30 nœuds, c’était incroyable.
Antoine Cornic
HUMAN IMMOBILIER
Il en faut plus en tout cas pour lui faire perdre son sang-froid. Bonnet vissé sur la tête, Antoine a le sens de la formule. Et il en avait d’ailleurs une, ce matin, pour décrire ce qu’il vit dans ce no man’s land de brumes et d’écumes. « Je prends beaucoup de plaisir à regarder la mer, les couleurs incroyables, les albatros… Mon bateau, il est parti dans ses envolées lyriques ».