À l’orée de cette quatrième semaine de compétition, les difficultés se sont multipliées. Tom Laperche (SVR-Lazartigue) a décidé de renoncer, quatre escales ont déjà eu lieu, Thomas Coville (Sodebo Ultim 3) et Armel Le Cléac’h (Maxi Banque Populaire XI) doivent composer avec une sacrée dépression dans leur Sud, Charles Caudrelier (Maxi Edmond de Rothschild) n’est pas plus tranquille dans le Pacifique et Anthony Marchand (Actual Ultim 3) fait face à un anticyclone. Des défis pas toujours faciles que les marins ont tous tenté de raconter, chacun à leur manière. Explications.

En mer, à bord de ces bateaux qui sont des summums de technologie, tout est une affaire de chiffres. La vitesse, la force du vent, les réglages, les charges, les quarts, les réveils… Tout est régi par des statistiques, des données, des datas. Pourtant, la course au large est bien plus que cela. Il y a, derrière la théorie, les calculs et les algorithmes, des hommes seuls lancés au cœur de l’océan, capables de traverser l’Indien, le Pacifique à bord de multicoques d’exception. L’humain, c’est ce que les chiffres ne disent pas : les sensations, les perceptions, les appréhensions, l’enthousiasme… Et c’est exactement ce dont ont fait part les marins ces dernières heures.

« Ça fait partie de la beauté de ces courses » (Laperche)

D’abord, c’est venu de mots depuis la terre. Ceux de Tom Laperche, rapportés dans un communiqué diffusé en milieu de matinée par SVR-Lazartigue et titré « la fin d’un rêve ». Il confie : « j’avais envie d’y croire, d’espérer qu’on pouvait réparer rapidement en étudiant toutes les possibilités. Ce n’était malheureusement pas réaliste ». L’interview laisse entrevoir une forme de clairvoyance – « c’est dur mais ça fait partie de la beauté de cette course » -, un espoir aussi – « je reste convaincu que naviguer en solitaire sur ces trimarans est extraordinaire et passionnant » et puis une projection.

Tom est un compétiteur et un sportif acharné alors se projeter est une nécessité. Pour ramener le bateau à Concarneau d’ici fin mars. Pour lancer un chantier de trois mois. Pour remettre à l’eau cet été. Pour préparer déjà le Trophée Jules Verne (record du tour du monde en équipage) avec un stand by envisagé en octobre 2024. « Ce qui m’aide le plus aujourd’hui, ce qui me ramène de l’envie et de la motivation, c’est de penser à la suite, d’imaginer ce qu’on peut faire avec ce bateau ».

« Il n’y a pas de moment de répit » (Le Cléac’h)

Penser à l’après pour accepter le moment présent. Thomas Coville (Sodebo Ultim 3, actuellement 2e) et Armel Le Cléac’h (Maxi Banque Populaire XI, 3e) ont tous connu cet état d’esprit-là, cette nécessité de se fixer de nouveaux challenges pour avancer sans relâche. Mais ils n’en sont pas là, eux qui doivent batailler sans relâche dans l’océan Indien. Charles Caudrelier l’avait traversé dans des conditions idéales, porté à l’avant d’un front ; eux doivent faire face à une succession de dépressions dans leur Sud. Thomas Coville a été le premier à monter au Nord après le passage du Cap Leeuwin, afin de se préserver au maximum. Armel Le Cléac’h a empanné également dans la journée.

Des actes donc et des mots, aussi. Ceux d’Armel Le Cléac’h dans les colonnes de Ouest-France : « l’océan Indien, c’est vraiment la totale. Beaucoup de mer, de vent. Le bateau accélère, ralentit, ce n’est pas du tout confortable. Et il n’y a pas de moment de répit, j’en ai encore pour une bonne semaine avec ces conditions ». Le skipper du Maxi Banque Populaire XI ajoute : « ce n’est pas terrible, on a connu des jours meilleurs… »

« Sans foil, on est des albatros maladroits »

Thomas Coville s’est exprimé lui aussi après son passage au Cap Leeuwin à 1h35 (heure française). « On a subi beaucoup de choses dans cet océan Indien. Nous avons eu trop de problèmes techniques pour rester devant les fronts et on est resté derrière avec une mer formée », explique-t-il. Après une réparation délicate et harassante, il est parvenu à retrouver tout l’usage de ses foils. « Sans foil, on est des albatros sur le pont d’un bateau, maladroits et veules » Thomas a le sens de la formule, de la description aussi. « Depuis trois jours, on est dans une mer très formée avec des vents forts qui sollicitent beaucoup le bateau. Ce n’est pas de la glisse, ce n’est pas agréable mais c’est l’océan Indien. »

« On va battre des records de températures basses ! »

Thomas Coville parle aussi du Pacifique, « l’océan papier de verre » qui « mine le moral et effrite le physique ». Charles Caudrelier y est justement, à plus de 2 500 milles à l’Ouest de Sodebo Ultim 3. Le skipper du Maxi Edmond de Rothschild, qui s’est offert le record de l’océan Indien (8 jours 8h 20 min du cap des Aiguilles au cap du Sud-Est), pourrait partager le constat de Thomas. « Le Pacifique nous accueille avec une belle petite dépression, confie le leader. La mer n’est pas dramatique, elle est grosse mais ça passe bien. Tant que le vent vient du Nord, ça va. Mais quand il va tourner et venir du Sud, dans quelques jours, on va battre des records de températures basses ! » Charles « commence à penser » au Cap Horn « dans moins d’une semaine ». Il devrait également dépasser le point Nemo (le plus éloigné de toute terre NDRL) jeudi matin.

« On fait cap à l’Est ! » (Péron)

Des mots encore et une autre réalité à bord d’Actual Ultim 3. Anthony Marchand (4e) a repris sa route depuis Cape Town samedi et « fait de l’Est à haute vitesse ». « C’est impressionnant en si peu de temps de quitter le mode short et tee-shirt pour retrouver le vent et le froid du Sud ». Il doit désormais composer avec un anticyclone qui fait face à lui. De son côté, Éric Péron (ULTIM ADAGIO, 5e) est lui aussi reparti en course dimanche. Il a dépassé le Cap de Bonne Espérance à 5 h 21 (heure française). « Les conditions sont plutôt tranquilles en ce moment, le ciel est en train de se charger tranquillement avec l’arrivée du front froid qui va nous poursuivre à nouveau. Et on fait cap à l’Est ! »

Pour conclure, retour à bord de Sodebo Ultim 3, avec une dernière pensée signée Thomas Coville : « quand vous êtes en mer, vous ne savez plus trop ce que sont les semaines et à peine plus les jours. Chaque jour, il y a des choix, des peurs, des moments tristes, des larmes et même des éclats de rires ». En somme, s’il y a des chiffres pour l’alimenter et le rendre concret, ce défi est plus humain que jamais, avec une multitude de sentiments et de sensations qui s’entrechoquent pour le faire exister.

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