Tricot brésilien
Les concurrents de The Ocean Race louvoient au près le long de l’interminable côte brésilienne, entre grains, surventes, zones de molle, changements de voiles… Toutes et tous pressentaient que le début de cette quatrième étape entre Itajaí et Newport serait tout sauf un « long fleuve tranquille ». Ils n’avaient pas tort. Et comme si cela ne suffisait pas, Holcim-PRB a démâté jeudi matin, alors qu’il n’était qu’à 20 milles de la côte… Cruel pour le leader au classement général.
Les images envoyées à terre par les Onboard Reporters sont sans équivoque. Si les équipages vivent en short et tee-shirts, en ‘Crocs’ voire pieds nus et n’hésitent pas à sortir la tête de « la portière » pour se rafraîchir, nous sentons déjà une certaine léthargie. Est-ce la chaleur suffocante à bord de ces IMOCA partiellement fermés ? Est-ce le ciel gris et plombé, cette houle croisée générée par les forts courants ? Est-ce ces vents erratiques et oscillants surnommés « shifts » dans le jargon de la régate, et qui tournent de droite et de gauche ? Un peu de tout ça. Si en croisière, quand le vent est aux abonnés absents, on met en route la bourrique pour faire route ; en course, il faut prendre son mal en patience. Benjamin Dutreux, skipper de Guyot environnement – Team Europe, a du mal à ne pas s’énerver quand bloqué dans la pétole et donc sans un souffle d’air, voit ses concurrents à proximité progresser à 10 nœuds. Et même si la flotte se surveille et s’épie à l’AIS, voire aux jumelles, histoire de vérifier que la voile d’avant est bien la même, les journées et les nuits sont éreintantes. On manœuvre sans cesse afin de passer du J0 au J2 puis J3 sous un violent grain, avant de renvoyer de la toile. On « matosse » d’un bord sur l’autre au rythme des virements, à transborder plusieurs kilos de sacs dans un sauna.
Les cinq concurrents ont longé la côte entre la corne du Brésil et les DST (Dispositifs de Séparation de Trafic), ces zones d’exclusion réservées aux navires de commerce qu’il est interdit de franchir. Ce « couloir » où l’on croise des plateformes pétrolières, des cargos et autres bateaux de pêche n’allumant pas toujours leurs feux de navigation, est un vrai stress pour les femmes et les hommes de quart, rivés à la fois sur la carte électronique et sur les hublots. Les navires alentour n’ayant pas forcément ce fameux AIS permettant de connaître leur type, la position, la vitesse, le cap et la destination, sont autant de pièges potentiels. Et si l’on ajoute qu’outre les lumières sur la côte perturbant la vision, les casiers et autres filets de pêche sont autant de pièges dont « raffolent » les foils…
Les navigateurs ont du pain sur la planche. Il faut scruter les oscillations du vent, parfois avoir envie de poursuivre le bord car le vent tient. Parfois, il faut se recentrer pour rester avec les autres au milieu. Il y a des moments où l’on sent une furieuse envie de virer dans le refus et poursuivre seul, mais la stratégie est bien de jouer avec le vent, tout en prenant la bonne décision. Bref, il faut tricoter opportunément… Les corps ont souffert. Nicolas Lunven sur Team Malizia s’est fait amocher par une écoute et ressemble à un boxeur ayant pris une « belle droite » au visage. Paul Meilhat, skipper de Biotherm est parti grippé et tousse. Les cheveux sont poisseux et salés note Anne Beaugé, Onboard Reporter sur Biotherm, quand Christopher Pratt, embarqué sur Team Malizia, fait tourner les routages, espérant bientôt après Recife, un long bord de reaching dans un alizé à peu près régulier. D’après les dernières prévisions météo, il va falloir négocier une dorsale anticyclonique entre Salvador et Recife, avec des vents très variables en force et en direction, et une transition délicate avec les alizés, mais qui s’annoncent plutôt paresseux au début.
Franck Cammas que l’on ne présente plus, et qui désormais est le co-skipper de Charal 2 de Jérémie Beyou, suit la course au jour le jour. Répondant à Jacques Guyader dans le quotidien Ouest-France, il a comme toujours une analyse pertinente et sans concessions. « Ceux qui se sont engagés sur The Ocean Race sont les premiers à être allés vérifier les fondements de la conception de leur nouveau bateau. À part Team Malizia, ce ne sont pas tout à fait de nouveaux dessins quand même. Ce sont des dessins qui pour la plupart datent d’avant le départ du dernier Vendée Globe. Ensuite, il faudra voir les bateaux qui viennent d’être mis à l’eau, comme Paprec Arkéa et For People ou qui le seront prochainement, comme Macif de Charlie Dalin, et qui seront différents… »
Quand le journaliste lui pose la question de savoir si c’est un vrai avantage d’y être allé sur The Ocean Race, malgré le risque de casse, la réponse fuse. « Oui carrément ! Et la casse ce n’est pas négatif, c’est souvent un avantage de casser car au moins le domaine où survient la casse est un domaine qui a été testé avant. Il n’y a pas mieux que de faire un tour du monde pour préparer un tour du monde. Et en équipage d’autant plus car on peut faire face à des casses importantes et continuer la course, et en plus on pousse le bateau. C’est quasiment la meilleure façon de préparer une course en solitaire que de faire de l’équipage… ». Pas certain que ses propos consolent Kevin Escoffier, Fabien Delahaye, Benjamin Schwartz, Annemieke Bes et Georgia Schofield, qui font route sur Rio à bord d’Holcim-PRB sans mât, et vont devoir mener une opération commando pour rejoindre Newport à temps, et se faire livrer un nouvel espar, actuellement à Lorient. Le bateau progresse sous gréement de fortune et tourmentin, et devrait arriver samedi.
Ce vendredi 28 avril, 11th Hour Racing Team mène la danse devant Team Malizia, Biotherm et Guyot environnement -Team Europe, les quatre bateaux étant tous groupés en 10 milles.