Damien Seguin tire un bilan positif
Après avoir disputé les trois premières étapes de The Ocean Race à bord de Biotherm skippé par Paul Meilhat, Damien Seguin est de retour à Lorient auprès de son équipe pour suivre le chantier de son bateau qui devrait être remis à l’eau début juillet. Le skipper de Groupe APICIL tire un bilan extrêmement positif de cette expérience en équipage ponctuée d’une grande navigation dans l’océan austral. A bord de l’IMOCA de Paul Meilhat qui compte parmi les bateaux les plus récents de la flotte, Damien a pu engendrer de nouvelles connaissances techniques, sportives et relatives aux grands systèmes météo des zones traversées. Et puis, il a pu partager des moments de navigation exceptionnels auprès de marins talentueux comme les skippers Paul Meilhat mais aussi -Samantha Davies, Anthony Marchand ou la jeune Amélie Grassi. L’un des temps forts de sa toute première participation au célèbre tour du monde en équipage avec escale restera sans nul doute son deuxième passage du Cap Horn. Un Cap Horn qu’il a vu cette fois-ci et dont il garde un souvenir mémorable.
Et si le marin va pleinement se consacrer ces prochains jours au suivi de chantier de son bateau, il retrouvera cependant très vite le chemin de la compétition. En effet, Damien a accepté la proposition de Samantha Davies qui l’a invité à disputer la Bermudes 1000 Race sur son IMOCA Initiatives- Cœur. Une opportunité que le premier skipper handisport à avoir bouclé le Vendée Globe, a immédiatement saisie et qui va lui permettre d’engranger à nouveau des milles et de l’expérience à bord d’un bateau neuf, doté de grands foils. Le nom de son co-skipper sur la Transat Jacques Vabre sera dévoilé prochainement.
Entretien avec Damien Seguin qui nous raconte ces trois derniers mois sur cette mythique course qu’est The Ocean Race.
Damien, comment as-tu vécu cette expérience sur The Ocean Race ?
« C’est une longue expérience car je suis arrivé à Alicante le 28 décembre pour rejoindre l’équipe de Biotherm et préparer la première étape. Nous avons vécu trois étapes très différentes avec la nouveauté de naviguer en équipage sur un IMOCA. Ce n’est que du positif. Je ne peux pas dire le contraire moi qui ne cesse de répéter que nous ne naviguons pas assez avec ces bateaux. Donc là, ça a fait du bien. Biotherm est un bateau neuf qui a été mis à l’eau il n’y a pas très longtemps. C’est un bateau de dernière génération mais comme tout bateau neuf, il a le défaut d’être un peu frais pour un tour du monde donc il y a eu un peu de travail sur la fiabilisation. La navigation en équipage permet de pouvoir mener ces bateaux à 100% le maximum du temps. Cela permet de comparer ce que nous sommes capables de faire en équipage sur ces bateaux à la façon dont on les mène en solitaire. Il y a forcément un delta. Quand tu es deux en permanence en veille sur le bateau, c’est quand même plus simple que quand tu es seul. »
As-tu été surpris des performances ?
« Oui j’ai été surpris des performances sur la durée. Le record des 24 heures a été battu sur les deux grandes étapes, la 2e et la 3e plusieurs fois de suite même. Et puis, on l’a vu aussi sur les différentes casses matérielles du bateau. Par exemple, nous avions échantillonné certaines choses comme des voiles ou certains éléments, appendices … pour une navigation en solitaire. Nous avons utilisé ce même matériel en version équipage et ça tient moins bien le coup. C’était intéressant de se rendre compte de ça. Et puis, l’équipage permet de partager avec d’autres skippers comme Paul, Anthony, Samantha. Ils ont tous trois beaucoup d’expérience et des façons différentes de naviguer. C’est très enrichissant de comprendre leur approche, leur manière de prendre des décisions. En plus tout ceci s’est fait dans la bonne humeur. Il y avait à bord une bonne ambiance que nous avons essayé de maintenir sur les trois étapes. Je pense que ça s’est ressenti à terre. »
Est-ce difficile de maintenir la bonne humeur en naviguant à cinq sur ces bateaux ?
« Alors je ne dirai pas que c’est difficile mais ça doit être une préoccupation quotidienne. Je me suis donné un peu ce rôle là à bord. Je l’avais proposé à Paul dès le début, d’essayer de maintenir un esprit d’équipe parce que c’est essentiel. Les bateaux sont assez invivables. C’est une promiscuité de tous les instants. Alors quand tu rajoutes à cela de la performance, c’est encore plus difficile. Tu peux vite mal te reposer, être moins lucide, avoir des petites rancœurs par rapport à certaines choses. Ça peut vite déraper. C’est pire qu’un couple. Là, c’est un ménage à cinq. J’ai essayé d’être vigilant là-dessus et de faire en sorte que ça se marie bien entre les quarts tout en instaurant des moments extra-sportifs aussi sur le bateau. C’était très important. »
Tu penses que cet état d’esprit vient de ton expérience olympique ?
« Oui de mon expérience olympique mais pas de ma pratique car je naviguais en solitaire sur mon 2.4 mR et ma préparation était très individuelle. Le Tour de France à la voile m’a aussi beaucoup aidé. Je ne suis pas quelqu’un qui va naturellement vers l’équipage. Je ne supporte pas les conflits et quand ça se passe mal. J’essaie donc dans la mesure du possible d’éviter ça. »
On a l’impression que tu as pris beaucoup de plaisir sur ces trois étapes ?
« Oui c’est vrai même si ce n’était pas simple tous les jours car quand nous sommes dans un mode de performance comme celui-là, il faut qu’humainement ça se passe bien. Le résultat peut ne pas correspondre aux attentes que nous nous étions fixées mais on ne peut pas avoir de regrets. »
C’est la quintessence de ce que tu recherches dans ton métier ?
« Exactement. Il faut se donner les moyens d’être à fond. Quand tu sors de cette expérience en étant content de ce que tu as fait, alors c’est gagné. Et si en plus, tu continues à parler après coup avec les personnes avec lesquelles tu as mené cette expérience, alors c’est encore mieux ! »
Le Sud et ce nouveau passage du Cap Horn, raconte-nous ?
« Le Sud a vraiment été très différent de ce que j’avais vécu sur le Vendée Globe au niveau système météo et rapidité. On a fait des sacrées moyennes. J’ai enfin vu le Cap Horn, c’était magique. Je n’avais pas d’éléments de comparaison car je ne l’avais pas vu sur le Vendée Globe. Mais Samantha a dit que c’était le plus beau de ses passages car là, nous sommes vraiment passés proche. Nous avons vu la Cordillère des Andes, Ushuaïa tout enneigé. Tu as l’impression d’être sur une autre planète. C’est le bout du monde, c’est assez sympa de se dire ça. La prochaine fois, ce sera tout seul mais c’est bien de voir le Cap Horn, comment sont les reliefs autour parce qu’on ne s’en rend pas compte quand on regarde une carte à plat. Il y a les reliefs montagneux qui créent des accélérations, des dévents et puis le détroit de Le Maire aussi que nous avons pris entre l’ile des Etats et Ushuaïa. Faire tout ceci permet de mesurer les difficultés. Ça m’a énormément apporté. Que ce soit sur la 2e ou 3e étape, le fait d’être plusieurs à bord et de pouvoir discuter stratégie, météo, d’échanger sur la réflexion et sur les choix, c’est très intéressant. Ça permet de se nourrir d’approches différentes. »
Est-ce qu’il y a un équipage concurrent qui t’a épaté à certains moments ?
« Oui Holcim-PRB avait une démarche un peu plus engagée que la nôtre à bord. Je pense qu’ils faisaient moins de concessions. On a discuté un peu avec eux par messages. Nous nous sommes rendus compte qu’ils se sont vraiment mis en mode « équipage Volvo », c’est-à-dire à faire des changements de voile en ligne, à mettre l’équipage en difficulté pour des questions de performance. Nous, nous ne sommes pas allés jusque-là. Nous avons fonctionné en équipage sur un mode un petit peu solitaire c’est-à-dire ne pas se mettre en difficulté sur les manœuvres, ne pas mettre le bateau non plus en danger car nous avions la problématique d’avoir un bateau un peu fragile car neuf. Mais c’était impressionnant de voir les autres et notamment Holcim – PRB sur ce mode. Ce n’est d’ailleurs pas étonnant qu’ils aient gagné les étapes du début. Nous, nous n’étions pas capables de fonctionner ainsi. Mais c’est quelque chose que nous avons intégré, ce n’était pas frustrant car nous savions que nous n’avions pas les moyens pour le moment de faire autrement. »
Et du coup, ça s’est tellement bien passé avec l’équipage que Samantha, dans une discussion, t’a proposé de faire la Bermudes 1000 Race avec elle à bord de son bateau ? Explique-nous …
« Oui c’est exactement ça. En fait avec Samantha, nous n’avions jamais de quart ensemble. On se croisait dans le roulement mais il n’empêche que nous discutions quand même beaucoup. Et à la sortie d’un quart, elle me demande si je serais d’accord et disponible pour faire la Bermudes 1000 Race avec elle à bord de son IMOCA. J’ai évidemment accepté sans hésiter car ça s’est très bien passé avec Sam que ce soit humainement et sportivement. On ne se connaissait pas plus que ça. Nous sommes un peu le Ying et le Yang tous les deux. Sa proposition m’a fait énormément plaisir car si elle veut choisir un équipier, elle a l’embarras du choix. C’est donc très agréable pour moi de faire cette course avec elle et c’est une belle opportunité. Ça va être super de naviguer avec elle en double sur son bateau qui est un bateau encore différent de Biotherm et du mien mais qui reste un IMOCA à foils. Ça va à nouveau me donner un élément de comparaison et me permettre de continuer à naviguer avant la mise à l’eau de Groupe APICIL. Le parcours va être sympa et il va y avoir un gros niveau avec pas mal de 60’ neufs donc c’est bien. »
Et d’ici là, peux-tu nous en dire plus sur ton programme à venir ces prochains jours ?
« Je vais retrouver mon équipe à Lorient et découvrir l’avancée des travaux sur mon bateau. J’ai hâte car je sais où nous en sommes au niveau du chantier mais cela fait un moment que je ne l’ai pas vu physiquement. Et puis, il y a encore quelques petites décisions à prendre même si nous avions fait le gros du travail avant mon départ sur The Ocean Race donc c’est bien pour l’équipe que je revienne. »