La navigatrice britannique Abby Ehler, 46 ans, membre de l’équipage de Holcim-PRB skippé par Kevin Escoffier participe à sa quatrième édition de The Ocean Race. Elle admet que la décision de courir la troisième étape – celle du Grand Sud – a été difficile à prendre.

Abby, nous ne sommes plus qu’à quatre jours du départ de l’étape entre Cape Town et Itajaì. Nous savons qu’il n’était pas question pour toi d’y participer. Qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis ?

“J’étais catégorique, je ne voulais pas faire la troisième étape, et cela depuis la transat retour de Guadeloupe (après la Route du Rhum de Kevin). C’était tellement inconfortable, c’était juste horrible. Je me disais qu’il n’y avait aucune chance que je puisse supporter cela pendant 35 jours. Puis, j’ai fait la première étape (Alicante – Cap-Vert) et j’ai vraiment apprécié l’équipage. C’était une expérience très différente. Kevin (Escoffier) est d’une positivité hors du commun. Il arrive à transmettre son énergie. C’est difficile de ne pas se sentir en bonne compagnie et en sécurité, et de ne pas intégrer le fait qu’il peut naviguer seul, et que nous sommes là pour l’aider et pour le faire avancer encore plus vite.

J’y ai réfléchi et j’en ai beaucoup parlé avec mon mari. Il m’a dit que cette étape était LA course. Que si je ne faisais pas cette étape, je ne pourrai pas vraiment dire que j’ai fait The Ocean Race. Je pense qu’au fond de moi, il y avait un petit sentiment de vouloir le faire, mais cette envie était encore trop fragile. Puis, en y réfléchissant et en l’analysant, je me suis dit que j’en étais capable physiquement. Et en discutant avec Kevin, lorsque nous nous sommes arrêtés au Cap-Vert, après la première étape, j’ai eu vraiment envie d’y retourner et je m’en serais voulu de ne pas l’avoir fait.”

Comment vas-tu gérer ce défi psychologique ? Tu vas compter les jours ?

“Je trouve que cela peut être assez déprimant de compter les jours, et il y a une grande citation de Mohammad Ali – « ne comptez pas les jours, faites que les jours comptent » – et je pense que ce sera ma devise. Le Cap Horn est évidemment le point clé à partir duquel vous pouvez enfin remettre cap au nord et ainsi rentrer à nouveau dans un climat plus chaud. Ce sera en quelque sorte le virage retour. Atteindre le Cap Horn est le point de référence et mentalement c’est un objectif énorme.

J’ai participé à l’emballage de la nourriture et je me suis assurée que nous avions beaucoup de nourriture réconfortante et variée pour nous permettre de tenir le coup car les repas et les collations sont très importants tous les jours. Je pense que je vais vivre en fonction de cela ! “

Et quelle sera la stratégie du Team Holcim-PRB sur cette étape ?

“D’après nos petites conversations, l’objectif est de ne pas penser aux deux victoires des deux premières étapes. C’est comme si on repartait de zéro car comme dit Kevin, si nous arrivons au bout de cette course, tout le monde aura oublié les deux premières victoires. Nous devons nous tourner vers l’avenir, toujours aller de l’avant et ne pas nous reposer sur le passé.”

Pour toi, cette étape sera plus difficile en VO65 ou en IMOCA ?

“Instinctivement, je dirais en IMOCA. Les VO65 sont très exigeants physiquement du fait que vous êtes exposés à la mer, aux vagues. Vous êtes sur le pont, toujours mouillés, arrosés, vous avez froid, et le seul moment que vous savourez est celui où vous pouvez enfin descendre dans le bateau, vous sécher et vous glisser au chaud dans votre sac de couchage.

En IMOCA, lorsque vous êtes de quart, le fait de devoir surveiller les données est très impliquant et stimulant sur le plan mental. Vous devez presque faire appel à votre sixième sens, car vous ne sentez pas le vent sur votre visage, vous n’êtes pas arrosé et vous ne pouvez pas voir les vagues. Il faut donc se concentrer sur la sensation du bateau et sur l’observation des chiffres. Évidemment, il y a aussi le facteur physique. Le bateau est très inconfortable et les mouvements violents à tel point qu’il peut être très difficile de dormir et de se déconnecter, à cause des bruits, des alarmes et toutes les stimulations mentales qui vous entoure. Donc, je pense que courir cette étape en IMOCA est sans doute plus difficile.”

Tu courais déjà cette course il y a 22 ans, qu’est ce qui te donne envie de revenir à chaque fois ?

“Il y a quelque chose que j’aime dans cette course, c’est le fait que vous vous efforcez toujours de faire mieux que la dernière fois. Sur ma première participation (Amer Sports Too 2001-02), j’avais cette attirance de la nouveauté et je me suis imprégnée de toute l’expérience des personnes qui m’entouraient. À la fin, j’avais envie que d’une chose, c’était de la refaire, en mieux ! Puis, il y a eu un grand vide avant l’arrivée de Team SCA (2014-15), qui a été une expérience très forte parce que c’était une campagne financée par des professionnels et que nous étions bien encadrés. Mais nous manquions vraiment d’expérience en tant qu’équipe. Alors avoir l’opportunité de naviguer avec Team Brunel (2017-18) – et de naviguer avec des gens comme Bouwe (Bekking), Capey (Andrew Cape), Pete Burling et Kyle Langford, c’était tout simplement incroyable. J’étais soudainement propulsée à bord avec des champions et j’ai énormément appris. Nous étions très proches de la victoire. Sur cette édition, c’est encore très différent sur le style de navigation. Je dois presque réapprendre ce sport.”

Abby, qu’est-ce que cela signifierait pour toi de gagner The Ocean Race ?

“Ce serait le rêve et l’objectif ultimes parce que, comme je l’ai dit, il y a quelque chose à propos de cette course qui ne cesse de m’attirer à nouveau. Nous étions si proche de la victoire avec Team Brunel en 2018 (qui a terminé troisième) que j’en avais presque eu un petit goût. Donc, je pense qu’une victoire me permettrait de cocher une case, ce qui m’éviterait d’avoir à revenir et à recommencer !”

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