Je suis heureux qu’ils aient passé Gibraltar en un seul morceau
La première étape de The Ocean Race s’annonçait copieuse vue d’Alicante et elle tient toutes ses promesses. Comme prévu, les cinq pionniers de la première participation des IMOCA à la course – considérée comme le championnat du monde de la voile hauturière en équipage – ont bien fort à faire.
Après un départ spectaculaire dimanche, où les bateaux se sont envolés sur mer plate, la flotte a dû affronter une zone de transition prolongée et complexe avant que le baptême du feu – face au vent – ne commence à l’approche du détroit de Gibraltar.
Dans cette phase, la brise d’ouest a été plus forte que prévu, avec des rafales à plus de 50 nœuds et un état de la mer plus que désagréable, rendant la navigation particulièrement inconfortable. Comme l’a fait remarquer Boris Herrmann, skipper de Team Malizia, il se pourrait bien qu’à ce stade de la course, les équipes aient déjà expérimenté les conditions les plus difficiles.
Dans le monde de l’IMOCA, il y a eu comme un soupir de soulagement lorsque les cinq équipages ont réussi à traverser le détroit sans dommages sérieux et sans démâtage ou quoi que ce soit qui puisse menacer la participation d’une des équipes. Quelques voiles se sont abimées, avec notamment un trou dans la grand-voile de Holcim-PRB et un J3 déchiré sur 11th Hour Racing Team, mais pour autant que l’on sache, rien de plus grave.
L’événement le plus marquant a été la bagarre en tête de flotte entre l’équipe de Charlie Enright sur Mãlama et l’équipe de Kevin Escoffier sur Holcim-PRB. Le bateau américain a pris les commandes de la course après la transition au large de Cabo de Gata, mais il a ensuite été dépassé par Kevin Escoffier lors d’un intense duel de virements de bord près des côtes espagnoles.
Une fois le détroit franchi, les riches s’enrichissent, puisque Holcim-PRB s’est détaché dans des conditions de glisse très rapides, et les deux leaders ont mis cap au Sud, vers les Canaries, à seulement une heure d’intervalle. Team Malizia mène la poursuite en troisième position (+70 milles), l’équipage de Paul Meilhat sur Biotherm en quatrième (+96 milles), et l’équipe de Benjamin Dutreux sur Guyot Environnement-Team Europe en cinquième (+138 milles).
Parmi les nombreux skippers d’IMOCA qui ont suivi de près le déroulement de ce début de course, nous retrouvons le skipper de Charal, Jérémie Beyou, qui faisait partie de l’équipe victorieuse de Dongfeng Race Team, dirigée par Charles Caudrelier, lors de la Volvo Ocean Race 2017-18. Jérémie est impatient de participer à cette course avec son nouveau bateau, mais il se concentre désormais sur la prochaine édition dans quatre ans. Le skipper de Charal déclare que le départ d’Alicante était tout simplement magnifique avec une parfaite mise en avant des bateaux pour cette nouvelle aventure pour les IMOCA.
« Ma première impression a été la même que tout le monde », confie-t-il à la Classe. « C’était tellement bien et tellement cool de voir les IMOCA voler sur mer plate sur la ligne. Le départ était tout simplement incroyable. C’était vraiment bien que la première étape s’élance comme cela. »
Jérémie affirme qu’il n’était pas trop inquiet d’un éventuel démâtage dans les conditions de vent fort de lundi car les vitesses n’étaient pas trop élevées. Les problèmes de voiles et d’accastillage étaient plus préoccupants, mais il pense que la flotte s’en est sortie sans trop de dommages à ce niveau-là.
« Une flotte de cinq bateaux c’est peu, donc je pense que tout le monde croise les doigts, en espérant que la flotte reste complète jusqu’à la fin de la course, », poursuit-il. « Je suis heureux qu’ils aient passé le détroit de Gibraltar en un seul morceau – ou presque – et que les cinq soient toujours en course. »
Jérémie n’est pas du tout surpris de voir Holcim-PRB et 11th Hour Racing Team en tête. Ce sont ses deux favoris pour le classement général et appuie même sur le fait que Holcim-PRB est un bon bateau avec un équipage solide.
A propos de l’équipe de Charlie Enright, il déclare : « Je suis assez proche d’eux. J’ai navigué avec eux et je sais que le bateau est prêt. Je connais la force de l’équipage, ce n’est donc pas une surprise de les voir se battre en tête. Je sais que Charlie et Si Fi (navigateur, Simon Fisher) gèrent bien le bateau – ils connaissent The Ocean Race – et ils savent que c’est une course longue et difficile. Ils ont maintenant une bonne expérience des IMOCA et savent donc que ces bateaux peuvent être assez vulnérables dans certaines conditions. Ils ont très bien géré leur sortie de la Méd. »
La grande question maintenant, alors que la flotte vole au portant dans l’Atlantique, avec une ETA à l’arrivée de la première étape à Mindelo dans les îles du Cap Vert vendredi en fin de journée, est de savoir comment chacun va gérer les îles Canaries. Avec une brise qui devrait bien se maintenir, toutes les options sont ouvertes pour ce qui est l’une des premières grandes décisions stratégiques de la course – soit laisser les îles à bâbord et se diriger vers l’ouest, soit rester plus près de la côte africaine et les laisser à tribord.
Bien qu’il y ait un danger à passer entre les îles en raison des dévents, Jérémie Beyou pense que c’est une option viable, surtout avec avec un équipage qui peut exécuter une série d’empannages nécessaires.
« Je pense que passer par l’intérieur peut être une bonne idée », déclare-t-il. « Ce n’est pas facile à faire quand on navigue en solo ou en double, mais en équipage, c’est OK de réaliser quelques empannages et d’essayer de contourner les caps et prendre l’accélération du vent à chaque fois. »
Menée par Jérémie Beyou, et avec Franck Cammas également impliqué, l’équipe Charal continue d’améliorer et de modifier son nouveau bateau que le skipper a mené à une impressionnante troisième place sur la Route du Rhum-Destination Guadeloupe. Jérémie Beyou évoque également ses ambitions d’être au départ de la prochaine The Ocean Race dans quatre ans.
« Nous regardons cette course, en espérant qu’elle soit un succès et pouvoir participer à la prochaine édition », affirme-t-il. « J’ai adoré faire la course avec Dongfeng il y a quatre ans et j’aimerais la faire en tant que skipper et pas seulement en tant qu’équipier. Je dois convaincre mes sponsors, mais si le programme est le même que celui de cette édition – ou peut-être avec moins d’escales – c’est quelque chose qui m’intéresse à coup sûr. »
Tout autour de la côte bretonne et ailleurs dans l’hémisphère nord, les skippers IMOCA ont mis la cartographique de The Ocean Race dans leur liste de « favoris » sur leur ordinateur et leur téléphone et surveillent bien ce qu’il se passe. Jérémie estime qu’ils sont tous très attentifs.
« Nous ne sommes pas les seuls à surveiller cela de près », assure-t-il. « Je pense que c’est vraiment bien d’avoir cette course dans le calendrier. C’est une course fantastique. Ces bateaux sont si difficiles à mener en solitaire qu’il est bon de les mener aussi en équipage. Alors oui, tout le monde veut y participer, mais je pense que cette fois-ci, c’était un peu tôt pour des équipes comme la nôtre… mais la couverture du départ était un bon exemple de ce qu’est cette course, et de ce qu’elle sera lors de la prochaine édition – c’était quelque chose que nous n’avions jamais vu auparavant en France. »