Ils ont navigué ensemble, se sont aidés jusqu’au départ, ont bataillé dans l’Atlantique avant que l’un prenne l’avantage sur l’autre. Yoann Richomme (Paprec Arkea) et Corentin Douguet (Queguiner Innoveo), une amitié au sommet et des distinctions aussi. Yoann a remporté la Route du Rhum, Corentin est devenu le champion Class40 de l’année. Interview croisée.

Une flotte de très haut niveau

Corentin Douguet : « C’est chouette, il y a tout ce qu’on aime dans la course au large. C’est un mélange entre des bateaux qui sont à la fois incroyablement efficaces et très rapides. Le combat sur l’eau est au rendez-vous puisqu’il y a du monde et du niveau. C’est un régal de vivre cette période-là. »

Yoann Richomme : « L’engagement de la part de tout le monde a été très élevé. C’était assez proche de la Solitaire du Figaro en première semaine. Il y avait une bonne dizaine de skippers avec un très bon niveau. Certains m’ont impressionné à l’instar de Matthieu Perraut (Inter Invest), Ambrogio Beccaria (Allagrande Pirelli) et forcément Xavier Macaire (Groupe SNEF). Il y a eu une super bagarre jusqu’aux Açores, très engagée. »

Des bateaux particulièrement résistants

Yoann Richomme :« Je n’ai quasiment pas eu de dégâts sur mon bateau. Un taquet, une poulie et trois fois rien. J’ai inspecté le bateau à plusieurs reprises mais rien à signaler. C’est du solide ! Certes, il y a eu de la casse mais on a affronté des conditions contre lesquelles on ne mesure jamais. Pour résister, il faut un sacré niveau de préparation, notamment pour des bateaux qui sortent de chantier. Il y a peu d’erreurs. Ça démontre le sérieux et le niveau de professionnalisme que ces marins mettent dans leur projet. »

Corentin Douguet : « À part mes soucis de moteur, je n’ai pas eu de problèmes structurels. Le bateau pourrait très bien partir dans l’autre sens ! Ce sont des bateaux plus rapides, plus violents. On découvre des efforts qu’on ne connaissait pas, des impacts, des zones à renforcer. Avec l’émergence des scow, on se rend compte que ce sont des bateaux qui sollicitent encore plus que ce qu’on pouvait imaginer. »

Un effort éreintant

Corentin Douguet : « Ce sont des bateaux très durs à vivre, vraiment violents. C’est de la souffrance perpétuelle. Tout est difficile : il y a un bruit de dingue, ça va vite mais ça tape fort. Le fait que deux bateaux ont démâté dans le 2e front, ça donne une idée des impacts. Ça ne s’arrête jamais, au près comme au portant. Tout tape et cogne là-dedans. Mais on est là et j’entends toujours quand on me parle. Chaque grande course en solo implique de puiser encore plus loin dans ses ressources. C’est un sport extrême : ça fait un peu mal et il faut du temps pour s’en remettre. »

Yoann Richomme :« C’était vraiment dur. J’ai l’impression d’avoir des acouphènes dans les oreilles, je n’ai pas pris de casque anti-bruit assez fort. C’était dur et honnêtement, j’ai même dû freiner le bateau parfois, notamment à l’approche des fronts. En matière de gestion du sommeil, j’ai plusieurs fois été à bout, notamment en première semaine. En plus, on n’avait pas beaucoup travaillé les endroits où dormir dans le bateau. C’était très agréable de dormir et ça n’aidait pas à faire une sieste !»

L’émergence d’Ambrogio

Corentin Douguet : « C’est un très bon marin avec un très bon bateau. On savait qu’il avait beaucoup de talent et à chaque fois qu’il monte sur un bateau, ça se passe très bien. S’il y avait une inconnue à propos de son bateau, on ne doutait pas que ce serait un sacré client. Ce n’est pas étonnant de le trouver à la 2e place ! »

Yoann Richomme :« Il a mis une pression de dingue à la fin, il revenait comme un avion. Quand on voit son âge, le projet qu’il a mené pour être là, on sait qu’il va nous embêter pendant quelques années encore ! »

Les perspectives techniques

Yoann Richomme :« Ce sont pleins de détails qui comptent. Il y a eu une grosse progression dans les designs de coque pour que les bateaux soient plus puissants mais ils passent moins bien dans la mer. Il faut réussir à combiner la puissance et le design pour mieux accepter la mer. Par exemple, on chargeait beaucoup d’eau au-dessus du pont. Le challenge des architectes dans les prochaines années, c’est d’éviter ça. Pour le reste, c’est difficile tant tout est déjà optimisé. »

Corentin Douguet : « Je ne veux pas rentrer dans les détails, surtout si je refais un Class40 ! (rire) On arrive à un stade où on souffre en terme de confort. C’est à chacun de voir ce qu’il peut encaisser mais le confort peut être un facteur de performance. Il y a tout un tas de détails et d’idée pour l’améliorer. Si je refais un bateau demain pour un programme Class40, il serait sensiblement différent. »

La poursuite du développement de la classe

Corentin Douguet : « Généralement, il y a un temps mort en matière de commandes de bateaux après chaque Route du Rhum. Là, le carnet de commande ne s’est pas arrêté et les chantiers continuent à fabriquer des bateaux. On n’est donc ni en phase d’arrêt, ni de stagnation. L’année 2023 sera dense, le plateau de la Transat Jacques Vabre sera conséquent. Le plateau s’annonce fourni en termes de qualité et de niveau. À moyen terme, la classe va rester ultra dynamique ! »

Yoann Richomme :« La formule est bonne : traverser l’Atlantique en 14 jours, seulement 2 de plus que les IMOCA, c’est une facture plus que correct ! C’est la catégorie d’entrée des grandes courses au large. Elle a sa place en tant que flotte, en tant que classe technique qui attire des coureurs de haut niveau. Je ne crois pas qu’elle a besoin d’évoluer (notamment sur la question des foils). C’est un vrai aspect positif que ça soit assez simple à manier. Et puis il y a une vraie régate, une flotte conséquente : ce sont de vraies forces pour l’avenir. »

Le classement Class40 de 2022

  1.  Corentin Douguet (Queguiner-Innoveo)
  2. Xavier Macaire (Groupe SNEF)
  3. Antoine Carpentier (Redman)

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