138 bateaux répartis en 6 catégories (Ultim 32/23, IMOCA, Ocean Fifty, Class40, Rhum Multi, Rhum Mono) s’élanceront dimanche 6 novembre à 13h02 devant la pointe du Grouin pour une folle chevauchée en solitaire de 3 542 milles (6 500 km) jusqu’à Pointe-à-Pitre en Guadeloupe. Rarement La Route du Rhum – Destination Guadeloupe n’aura compté autant de prétendants à la victoire et au podium, rarement le plateau de coureurs au large de la légendaire transatlantique n’a été si homogène. Revue des troupes dans chacune des catégories même si, faut-il encore le rappeler, le premier challenge demeure d’abord d’arriver de l’autre côté de l’Atlantique.

Ultim 32/23 : Un favori et au moins quatre outsiders !

Au regard de l’Histoire, s’interroger sur qui peut gagner en Ultim 32/23, c’est déjà se demander si Francis Joyon peut réussir le doublé (le quadruplé pour son IDEC Sport…) Sans faire offense à la légende, sa victoire ne semble possible cette année qu’au terme d’une course par élimination tant l’écart de performances est aujourd’hui manifeste avec, non pas deux ou trois bateaux en gestation comme il y a quatre ans, mais cinq trimarans géants très aboutis.

Dans le lot, le Maxi Edmond de Rothschild est un favori logique, puisqu’il a remporté toutes les courses depuis trois ans. Charles Caudrelier était toujours à bord, lui, le bizuth de La Route du Rhum – Destination Guadeloupe, notion très relative vu le CV du bonhomme et sa parfaite connaissance de la machine. « Le bateau n’a plus le coup d’avance qu’il avait en 2018 mais nous avons continué à le faire évoluer et les nouveaux foils sont une réussite. Je pars confiant ». Charles a donc un travail à terminer, là où ses trois meilleurs concurrents ont plutôt une revanche à prendre. Armel Le Cléac’h (Maxi Banque Populaire XI) avait chaviré il y a quatre ans et revient en ayant coché toutes les cases à bord d’un bateau dont le potentiel n’a fait que se préciser depuis 2021. Bateau bien né, skipper affûté, équipe très pro, c’est un gros client !

Thomas Coville (Sodebo Ultim 3) a vu ses deux dernières Route du Rhum – Destination Guadeloupe se dérober beaucoup trop vite et compte bien sur son énorme expérience du multicoque en solitaire pour défendre ses chances avec un bateau un peu en dessous mais totalement à sa main.

On connait enfin le talent de François Gabart, passé à 428 secondes de la victoire en 2018, mais moins le potentiel exact de son futuriste SVR Lazartigue. Deuxième d’une Transat Jacques Vabre assez peu ventée, il n’a depuis jamais pu se confronter aux meilleurs de la classe. Sur le plan sportif et psychologique, dans quelles dispositions se présentera François sur la ligne dimanche, lui qui se serait sans doute bien passé aussi de réparer sa dérive abimée pendant le convoyage vers Saint-Malo, la semaine précédant le départ ?

Reste Actual Ultim 3. A bord de l’ex-Macif passé en mode 100% volant, Yves Le Blevec est dans une position intéressante, celle du tireur embusqué ! Un peu moins performant que les autres, il est loin d’être largué et peut espérer un très beau résultat s’il ne fait pas d’erreur. « Ce n’est pas moi qui imposerai le rythme, mais je naviguerai à une belle cadence et ne serai jamais loin » prévient-il !

Ocean Fifty : La foire d’empoigne

Sur les quais de Saint-Malo, vous ne trouverez aucun skipper d’Ocean Fifty qui veut bien qu’on lui colle l’étiquette de favori. Pudeur de gazelle pour ces trimarans qui lèvent vite la patte ? « Bien sûr, j’ai le potentiel pour gagner, j’ai tout fait pour être ici dans les meilleures conditions mais je ne suis pas le seul, répond sobrement Sam Goodchild. Et le skipper de Leyton d’argumenter : « Armel (Tripon) a gagné il y a quatre ans, Erwan (Le Roux) en 2014 et il a un bateau neuf qui va vite, Thibaut (Vauchel-Camus) connait son bateau par cœur et il n’a pas peur, Sébastien (Rogues) a gagné la Transat Jacques Vabre 2021 et c’est lui qui mettait le rythme sur la Dhream cup, Eric (Péron) a un super bateau de brise et Quentin (Vlamynck) est le vainqueur du Pro Sailing Tour cette année… »

Allez faire des pronostics avec ces huit brillants impétrants ! Reste que parmi les quatre bizuths engagés, Sam Goodchild coche beaucoup de cases. Il a moins de pression que Quentin Vlamynck (Arkema), certes vainqueur du Pro Sailing Tour 2022 mais qui s’élance sur sa première transat en solitaire en multicoque après sa Mini Transat en 2017 (6e) ; plus d’expérience au large en multicoque qu’un Sébastien Rogues (Primonial) ; et un bateau plus polyvalent que celui d’Eric Péron (Komilfo).

Si c’est l’expérience de l’Ocean Fifty qui est récompensée cette année, la prime va sans doute à Erwan Le Roux. Même si son Koesio n’est peut-être pas à 100% de son développement, il est performant et Erwan a déjà remporté l’épreuve (2014), ce qui n’est pas le cas de Gilles Lamiré (Groupe GCA – 1001 Sourires) dont l’expérience sur le format reste indiscutable. Attention aussi à Thibaut Vauchel-Camus (Solidaires en Peloton – ARSEP), un peu juste sans doute en budget mais très percutant et qui a une revanche à prendre. C’est aussi le seul des skippers d’Ocean Fifty à repartir cette année sur le même bateau qu’en 2018, ça compte. Quant à Armel Tripon (Les P’tits Doudous), le doublé semble plus difficile pour celui qui a chaviré cette année, n’a récupéré un mât qu’à la dernière minute, le privant d’un entraînement précieux cette saison, sur un bateau qu’il sait très exigeant.

IMOCA : 38 solitaires et 3 niveaux de bagarres

Il y avait 9 IMOCA inscrits à La Route du Rhum – Destination Guadeloupe en 2010 et en 2014. En 2018, ils étaient 20. Pour cette 12e édition, 38 skippers (dont quatre femmes) sont engagés dans cette classe ultradynamique, présente sur l’épreuve depuis 1994. Sept marins naviguent sur des bateaux de dernière génération, mis à l’eau en 2022 : Kevin Escoffier (Holcim – PRB), Maxime Sorel (V and B – Monbana – Mayenne), Jérémie Beyou (Charal), Boris Herrmann (Malizia – Seaexplorer), Sam Davies (Initiatives-Cœur), Yannick Bestaven (Maître CoQ V) et Paul Meilhat (Biotherm). Du fait de la jeunesse de leurs machines, ces concurrents ne seront pas forcément les grands favoris à la victoire. « Selon moi, Charlie Dalin et Thomas Ruyant sont les mieux placés avec leurs IMOCA très fiabilisés. Surtout Charlie qui a tout gagné cette année et qui a même battu des équipages (sur le Défi Azimut, NDLR). C’est beau à voir, souligne Boris Herrmann, résumant bien l’opinion générale. Il y a un risque que les bateaux neufs n’arrivent pas tous en Guadeloupe à cause de problèmes de jeunesse. Je n’ai vraiment pas envie de faire partie de ceux qui tirent la barre pour rentrer à la maison. La météo ne s’annonce pas simple, ça va être une vraie aventure. » Charlie Dalin (Apivia) et Thomas Ruyant (Linkedout) assument totalement leur statut de favoris mais des marins comme Jérémie Beyou (Charal) et Louis Burton (Bureau Vallée) sont également très ambitieux, et ils ne sont pas les seuls. La classe IMOCA est très diverse et on peut globalement dégager trois divisions : les projets capables de gagner, ceux des sérieux outsiders et ceux des « aventuriers ». A chaque niveau de la flotte, la régate s’annonce serrée. On surveillera notamment le match officieux entre les IMOCA à dérives droites, qui concerne 13 concurrents de cette Route du Rhum – Destination Guadeloupe.

Class40 : Une bataille aussi indécise que passionnante

Ils n’ont jamais été aussi nombreux (55) et leur course n’a jamais été aussi indécise ! Chez les Class40, personne ne s’évertue à faire des pronostics même si la liste d’une bonne dizaine de prétendants au sacre revient en boucle. « Mais il y a tellement d’outsiders autour que tout est possible. Dommage que les paris soient interdits, » souligne avec une légitime satisfaction Halvard Mabire, le président de cette classe à la vitalité renouvelée. Tant du côté des bateaux (dont 30 scows reconnaissables à leur étrave ronde) que des skippers, la quantité va de pair avec la qualité pour définir les contours d’un plateau de tout premier choix. « Les deux tiers des très nombreux bateaux neufs au design abouti sont menés par des skippers de grand talent, » confirme Antoine Carpentier (Redman). Fort de ses trois victoires sur la Transat Jacques Vabre, le Trinitain, de retour pour une 2e Route du Rhum – Destination Guadeloupe, est bien placé pour mesurer que « ça fait beaucoup de monde pour la victoire et le top 5 ! » Un avis partagé par Yoann Richomme (Paprec Arkea), tenant du titre, qui souligne que « les paramètres qui rentrent en compte sont tellement nombreux qu’il n’y a pas de formule magique. » Aux côtés de ce double vainqueur de la Solitaire du Figaro, les spécialistes du circuit monotype, ne seront pas en reste pour lui donner la réplique tout au long de la course. Mais c’est sans compter avec une escouade de 23 solitaires, qui ont forgé leur talent sur le circuit de la Mini-Transat. Les Ian Lipinski (Crédit Mutuel), Luke Berry (Lamotte – Module Création), Ambrogio Beccaria (AllaGrande Pirelli), Axel Trehin (Project Rescue Ocean), Amélie Grassi (La Boulangère Bio), et tous les autres jurent d’être au rendez-vous… « Pour aller chercher la victoire, cela ne va pas être les doigts dans le nez ! » Ça, c’est Xavier Macaire (Groupe SNEF), l’une des plus fines lames du Figaro qui le dit. On veut bien le croire…

Rhum Mono : À la poursuite de Jean-Pierre Dick !

Tous les regards seront tournés vers Jean-Pierre Dick et son plan Verdier (Notre Méditerranée – Ville de Nice). Après quatre Vendée Globe, deux victoires sur la Barcelona World Race, quatre sur la Transat Jacques Vabre en IMOCA, le Niçois revient ici avec une ambition décuplée sur une course qui manque à son édifiant palmarès : « Ma soif de compétition et mon goût de la haute mer sont toujours intacts. J’ai envie de remporter enfin cette épreuve, car mon meilleur résultat est 3è en 2006 face à des marins légendaires que sont Roland Jourdain et Jean le Cam ».
Mais ses onze petits camarades n’ont pas du tout l’intention de s’en laisser compter à l’instar de Wilfrid Clerton (Cap au Cap Location), qui lui aussi vise clairement le podium : « Sur les éditions précédentes je suis passé très près du podium après avoir mené une grosse partie de la course [4è en 2014 et 5è en 2018]. Je sais donc que moi et mon bateau avons la capacité de rendre une belle copie. J’ai une revanche à prendre, je suis prêt, mon bateau l’est aussi. Et je viens de la filière olympique où on a les dents longues et où on ne lâche rien ! Il ne faut pas oublier non plus qu’en course tout peut arriver : celui qui fera le moins d’erreurs ou qui aura le plus de réussite s’imposera en Guadeloupe. Il faut aussi compter sur sa chance » conclut le Rochelais, philosophe.

Rhum Multi : Vers un grand match atlantique entre têtes d’affiche et amoureux du grand large

Avec son ancien Orma 60, Philippe Poupon (Flo) a, sur le papier, le bateau le plus rapide de la flotte des Rhum Multi. Mais pour cet ancien vainqueur, l’objectif premier est « d’arriver au bout et de raconter une belle histoire ». Une perspective qui ouvre largement le jeu dans une catégorie (16 concurrents) où personne n’a envie de céder sa place. « J’ai bien compris que je n’étais pas le seul à viser la victoire, confirme Marc Guillemot (METAROM MG5). Pas mal de skippers arrivent avec des bateaux à peu près similaires et de vraies ambitions sportives. C’est assez excitant et ça promet du match sur l’eau « .
Les quatre Multi50 (Interaction, Trilogik – Dys de Cœur, Rayon Vert, Ille et Vilaine – Cap vers l’inclusion) devraient logiquement se situer également aux avant-postes d’une course qui s’annonce donc très ouverte. D’autant qu’à bord de son trimaran de 40 pieds, Gilles Buekenhout (Jess) se verrait bien lui aussi jouer les trouble-fêtes : “Même si la première compétition se joue vis-à-vis de moi-même, je me verrais bien dans les cinq. Nous sommes plusieurs à pouvoir rivaliser avec l’armada de catamarans des Roland Jourdain, Marc Guillemot, Loïc Escoffier, Gwen Chapalain… Je vais essayer de tirer mon épingle du jeu ! ”

Ils ont dit :

Thomas Coville (Sodebo Ultim 3) – Ultim 32/23

« Celui qui gagnera sera celui qui a su et qui aura pu conserver tous ses appendices jusqu’à l’arrivée. Les progrès sur les bateaux sont remarquables, l’affiche est fantastique et je me battrai avec mes armes. Nous avons fait sciemment des choix techniques notamment sur l’angulation des foils qui rendent le bateau très sain.

Je ne me dis pas que celle-ci est la mienne. Je suis dans une dynamique où je ne me mets pas beaucoup plus de pression que ma première Route du Rhum en ORMA en 2006. Je suis fier de cette édition où j’avais terminé troisième et lors des suivantes où j’ai eu des déboires, j’ai rebondi au-delà de mes espérances. Tout est possible, je sais juste qu’on va disputer une grande régate et je suis heureux d’y participer car c’est le résultat de quatre années extraordinaires où nous sommes allés au-delà de notre rêve ».

Sébastien Rogues (Primonial) – Ocean Fifty

« Le niveau est homogène. Ce qui fera le vainqueur, c’est d’être à 100% aux moments clés et à la fois de conserver le bateau à 100% jusqu’à Pointe-à-Pitre. Le plus dur va être de trouver son rythme pour 10 jours de course intense alors qu’on n’a pas fait de solo plus de 3 jours d’affilée cette année. Certains me citent parmi les favoris mais mon premier objectif est d’arriver. Je ne mettrai pas ma course en péril pour la gagne. Je serai prudent sur les départementales du golfe de Gascogne avant d’attraper l’autoroute des alizés ! ».

Louis Burton (Bureau Vallée) – IMOCA

« C’est dingue qu’il y ait autant de bateaux et autant de projets sérieux et compétitifs avec des marins exceptionnels. Il y a une dizaine de bateaux qui peuvent gagner, c’est une première dans la classe IMOCA. C’est un peu stressant, il va falloir trouver sa place. Je pense que dès le départ, il y aura beaucoup de pression du fait de ce tableau de concurrents au niveau de jeu très élevé. Car même si tu arrives à être devant, ce ne sera pas avec beaucoup d’avance, cela risque d’être hyper intense sur toute la durée de la course ».

Amélie Grassi (La Boulangère Bio) – Class40

« On a récupéré des concurrents redoutables cette année. Donner un score, c’est dur. Mais si je ne fais pas dans les dix, je serais sans doute super déçue. Honnêtement, j’aimerais bien faire dans les cinq et je me dis aussi : « pourquoi je ne pourrai pas gagner ? » En course au large, il faut toujours de l’humilité, mais cela n’empêche d’avoir un peu d’audace et de culot, cela ne tient souvent pas à grand-chose… »

Gwen Chapalain (Guyader – Savéol) – Rhum Multi

« Personnellement, je ne me mets aucune pression de résultat, en particulier parce qu’on ne s’est jamais réellement mesuré les uns aux autres et que nos bateaux sont finalement assez différents. C’est très difficile de savoir comment vont les uns et les autres d’un point de vue sportif. La météo a aussi son rôle à jouer : Rayon Vert [le Mulit50 d’Oren Nataf] est un coffre-fort ; dans le gros temps il passera mieux que nous… A contrario, dans 5 nœuds de vent, au portant, Charlie Capelle, Acapella, nous mettra probablement un caramel, car son bateau est ultra léger. Bref, le jeu est assez ouvert ! »

Rémy Gerin (FAIAOAHE) – Rhum Mono

« Faire la Route du Rhum pour moi et pour le bateau, c’est un réel défi. Le bateau affiche un petit 30 tonnes sur la balance, autant vous dire que je ne pars pas parmi les favoris de la catégorie ! Je vais faire de mon mieux mais j’ai même de grandes chances de finir bon dernier, mon défi sera d’arriver avant la clôture de la ligne à Pointe-à-Pitre, le 4 décembre prochain. »

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