Depuis la création de la Classe IMOCA en 1991, les skippers travaillent à créer des bateaux d’avant-garde, image de l’inspiration de leur époque et capables de tester leurs innovations sur l’Océan, dans des conditions extrêmes. Ces laboratoires technologiques ont contribué aux évolutions du maritime au sens large. Aéro et hydrodynamisme, matériaux, énergie, logiciels de navigation, on ne compte plus les découvertes transposées au monde de la plaisance, du transport et des bateaux de travail quels qu’ils soient. Cette vocation à innover rassemble marins, ingénieurs, chantiers à travers le monde. Face aux enjeux de la transition environnementale, la société s’interroge et le sport de haut niveau porte une part de cet enthousiasmant défi d’inventer les modèles d’avenir.

En 2018, les skippers IMOCA ont décidé d’inclure la transition environnementale dans leurs travaux. Pour se faire, la Classe a recruté une équipe afin de travailler ce sujet complexe toute l’année avec pour méthode, la mise en commun des expertises des équipes et de la filière technologique (architectes, chantiers, fournisseurs, etc.). Même si la compétition anime notre sport, c’est bien la collaboration qui prévaut en matière de développement durable. Et, en 2021, les skippers IMOCA ont voté les premières règles* de jauge allant dans le sens de l’action.

Le vent nous portera

Depuis 2005, 43 IMOCA ont vu le jour et ils sont 38 au départ de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe 2022, soit 88,5% de la flotte. De plus, deux autres 60 pieds (11th Hour Racing Team et Team Canada) sont aussi en activité. C’est donc 93% de la flotte qui sont exploités à l’heure actuelle sur les courses IMOCA. Par ailleurs, les bateaux en reconversion, passent entre les mains de plaisanciers, de régatiers et même certains deviennent des transporteurs à voiles.

C’est une évidence, mais les IMOCA ont vocation à faire plusieurs tours du monde, propulsés uniquement par le vent, et cela pendant 20 ans. Mis à l’eau en 2004, Kattan de François Guiffant est le plus vieux bateau IMOCA à Saint-Malo et Hubert, mené par Éric Bellion (COMMEUNSEULHOMME powered by Altavia) a six tours du monde à son actif (4 Vendée Globe et 2 Barcelona World Race) et de nombreuses transatlantiques, soit plus de 300 000 kilomètres sous la coque.

Par ailleurs, les IMOCA régatent loin du rivage et doivent être autonomes, notamment en énergie. Si la consommation électrique à bord a doublé en dix ans ; les skippers couvrent une majeure partie de leurs besoins grâce aux hydrogénérateurs, aux panneaux solaires et, pour certains, à l’éolien (surtout autour du monde). Le complément est fourni par du gasoil (60 litres consommés en moyenne par un IMOCA sur le Vendée Globe 2020). Cette électricité sert à la centrale de navigation, à la vie du bord, à la communication et à la sécurité.

Mieux connaître l’impact de la construction pour mieux la réduire

Le secteur maritime (toutes utilisations confondues) représente 4% du marché de la fibre de carbone mondiale (source CarbConsult), néanmoins la voile de compétition se mobilise pour décrypter son impact et le réduire. L’IMOCA n’est pas seule, d’autres Classes s’emparent de ces sujets avec une envie d’innover ensemble.

En 2021, les skippers IMOCA ont rendu obligatoire l’Analyse de Cycle de Vie** pour tout nouveau bateau et pour que ces études soient utiles, l’IMOCA a internalisé le process, mandaté Noémie Provost, architecte navale, et utilisé un même outil, le logiciel MarineShift360 créé spécifiquement pour la construction navale. Cet outil d’évaluation des impacts, certifié ISO14040:2006 et ISO14044:2006, tire ses sources de la base de données de référence mondiale Ecoinvent. Développé par 11th Hour Racing, le logiciel a notamment permis à son équipe IMOCA d’être la première à publier un rapport complet en 2021 sur la construction d’un bateau de nouvelle génération, leur plan Verdier Mālama.

« La recherche de la performance durable ne se fait pas du jour au lendemain. C’est un travail méticuleux d’analyse de notre situation actuelle et de la manière dont nous allons y parvenir », déclare Noémie Provost. Dans cet audit, l’IMOCA s’est concentré sur la partie « gros œuvre » – ce qui pèse le plus lourd – et l’outillage de fabrication, c’est-à-dire les moules. Trois éléments standardisés ont été passés au crible : mât, bôme et quille ; ainsi que les pièces prototypes : coque, pont, structure, safrans et foils. Après un an, 34 chantiers dans 6 pays collaborent et 102 pièces ont été déjà analysées.

Six critères sont pris en compte : le potentiel de réchauffement climatique (kgCO2e), l’épuisement des ressources (kgCue), l’eutrophisation marine (kgNe), la consommation d’eau (m3), la consommation d’énergie (MJ) et les déchets (kg).

La campagne ACV donne déjà des premiers résultats même s’il faudra attendre l’étude consolidée en 2023. Il s’avère que les déchets sont un point chaud avec un fort potentiel de réduction (86% de l’impact de la construction d’une coque pontée) autour duquel la filière travaille déjà. Il est donc très probable que les déchets soit, par exemple, pris en compte dans les prochaines règles de jauge.

Nouveaux matériaux : la méthode essai-erreur

Les skippers IMOCA ont aussi voté une règle leur permettant d’expérimenter de nouveaux matériaux. Une approche qui vise un avenir où les composites en fibre de carbone ne constitueront pas la totalité de la construction des bateaux. Les équipes sont donc autorisées à faire preuve de créativité avec des fibres nouvelles ou alternatives (lin, chanvre, carbone recyclé), des bio-résines ou des thermoplastiques et différents éléments de base comme le balsa, le PET recyclé ou le liège, pour construire des pièces amovibles comme une table à cartes ou un siège de navigation par exemple.

Pour l’instant, les équipes sont incitées à fabriquer un maximum de 100 kg de ces pièces, qui seront déduites du poids total de jauge de l’IMOCA – ce qui ajoute un petit avantage concurrentiel. Ainsi, Biotherm, Bureau Vallée, Groupe APICIL, Team Malizia ou encore V and B-Monbana-Mayenne sont quelques-unes des équipes qui ont saisi l’occasion de tester cette nouvelle règle.

L’équipe de Damien Seguin, Groupe APICIL, a spécifiquement engagé l’ingénieure Marie Van Den Heede pour créer des pièces sur mesure : « Nous n’avons pas seulement réalisé des supports de composants électroniques mais aussi tout le plancher de matossage à l’arrière. Nous avons également commencé à caractériser les matériaux, car les propriétés de la fibre de lin sont très variables. Ces données seront ensuite partagées avec l’ensemble de la Classe, ce qui nous permettra d’améliorer nos connaissances sur ces matériaux alternatifs ».

Chez Team Malizia, l’équipe de Boris Herrmann a travaillé avec GreenBoats, un fabricant de composites durables basé à Brême, en Allemagne. Leur expertise porte sur les composites renforcés de fibres naturelles (NFC), mais c’est en travaillant avec le Team Malizia qu’ils ont pu aligner leur process avec les exigences de la compétition, allant jusqu’à créer des pièces plus légères qu’un équivalent en carbone.

Propulser l’industrie du recyclage du carbone

La fibre de carbone est chargée de propriétés qui améliorent les performances, la sécurité et la longévité. Même si la durée de vie d’un produit en carbone est relativement longue, il y a toujours une fin et, là encore, il est possible d’innover.

Actuellement, le recyclage est possible et se développe. Cependant, de nombreuses industries (aérospatiale, éolienne, etc.) ne s’en préoccupent pas encore. Sur les 56 000 tonnes de déchets de fibre de carbone produites dans le monde l’année dernière, moins de 1 000 ont été recyclées.

C’est là que l’IMOCA a commencé à jouer un rôle intéressant. Grâce à l’impulsion de 11th Hour Racing Team, l’accent a été mis sur un projet de recherche qui permet aux recycleurs de fibres de carbone comme Gen2Carbon d’améliorer leurs techniques de recyclage. « Le secteur maritime offre une opportunité d’être des pionniers en matière de déchets en aidant à développer une compréhension des besoins de traitement des matériaux en fin de vie, des problèmes que cela soulève et du rôle potentiel des fibres recyclées dans une économie circulaire, » confie Mark Hitchmough, PDG de Gen2Carbon.

Jusqu’à présent, des équipes comme MACSF, CORUM L’Épargne, 11th Hour Racing Team et des fournisseurs comme C3 technologies et Avel Robotics ont fourni 10 tonnes de déchets de fibres prêtes à être recyclées. Mais cela ne s’arrête pas là. La fibre de carbone recyclée sera utilisée directement sur les pièces amovibles de l’IMOCA ou dans les moules, ce qui nous ramène à la case départ et souligne une fois de plus le rôle de laboratoire de nos bateaux.

N’oublions pas de rêver

Mesurons aussi la voile à son impact émotionnel. À sa magie, à sa capacité à amener les fans, de compétition comme d’aventure, à tourner leur regard vers la mer. Que ce soit dans les écoles, sur les pontons, en régatant virtuellement ou en partageant les histoires de ces audacieux(ses), cet élan populaire est notre source commune d’énergie renouvelable.

C’est une fierté et une responsabilité. A Saint-Malo, plusieurs dizaines d’équipes toutes Classes confondues comme l’événement lui-même portent les couleurs d’associations, d’ONG, et de causes qui ont besoin de lumière. En mer, rien qu’en IMOCA, cinq skippers traverseront l’Atlantique avec des instruments de mesure afin de permettre aux scientifiques de mieux connaître l’océan et sa fragilité. C’est bien ensemble que nous continuerons à alimenter le rêve. Contribuer, humblement, un moteur quotidien de notre petit monde de grands marins. Rendez-vous à Saint-Malo !

*Règles de jauge 2024-25, votées en 2021

  1.  Il devient obligatoire de procéder à une Analyse de Cycle de Vie pour toute construction d’un nouveau bateau. L’objectif est de récolter des données comparables afin de mieux connaître notre impact et de déterminer, de façon concrète, les objectifs de réduction.
  2.  La jauge favorise l’utilisation de matériaux alternatifs pour les éléments non structurels et démontables du bateau (table à cartes, sièges, bannettes, cales, etc.) qui seront supprimés du poids de jauge du bateau dans la limite de 100 kilos. C’était déjà le cas pour les panneaux solaires, les systèmes d’énergie verte et les instruments scientifiques.
  3.  La Classe a rédigé la Charte Teams IMOCA qui se concentre sur sept thématiques de la vie quotidienne des projets. Une obligation de mise en place de moyens au sein des équipes a été adoptée.
  4.  D’ici 2023, chaque concurrent devra embarquer une Green Sail parmi les huit autorisées sur les courses du Championnat IMOCA GLOBE SERIES. Les critères de cette voile seront à déterminer au préalable par les membres.
  5.  Un IMOCA navigue autour du monde en quasi autonomie énergétique grâce aux hydrogénérateurs et à l’énergie solaire et éolienne. Le moteur diesel est gardé pour la sécurité, mais la règle permet à une équipe qui aurait une solution de motorisation alternative de la proposer en étude pour obtenir une exception à la jauge.

**Analyse de Cycle de Vie
C’est une étude qui recense et quantifie, de la fabrication à la fin de vie des produits, les flux physiques de matière et d’énergie associés aux activités humaines.

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