En 13h55’37’’ (*), le Trimaran SVR-Lazartigue, mené par François Gabart, a battu ce dimanche le record de traversée de la Méditerranée en équipage détenu depuis 12 ans par Pascal Bidégorry, également à bord au côté du skipper. Un premier record pour ce bateau qui n’a pas encore fêté son premier anniversaire (mise à l’eau en juillet dernier) mais qui confirme tout le potentiel entrevu depuis plusieurs mois avec notamment la deuxième place, en novembre dernier, lors de la Transat Jacques-Vabre, sa première compétition.

Naviguer c’est être à l’affût de toutes les opportunités, et savoir s’engouffrer dans la moindre fenêtre météo. A bord du Trimaran SVR-Lazartigue, François Gabart, accompagné de quatre membres d’équipage (Pascal Bidégorry, Antoine Gautier et Émilien Lavigne, directeur et ingénieur de son bureau d’études, Guillaume Gatefait, médiaman) l’a une fois encore parfaitement démontré en s’offrant dans la nuit de samedi à dimanche le record de la Méditerranée entre l’ancien sémaphore de Frioul au large de Marseille et le phare de Sidi Bou Saïd à Carthage, à l’entrée de la baie de Tunis (455 miles théoriques). En 13h55’37’’ (moyenne de 33,7 nœuds/heure soit environ 62,5 km/h), il efface des tablettes la précédente marque détenue depuis mai 2010 par Pascal Bidegorry et ses 11 coéquipiers à bord de Banque Populaire V.

Rien n’avait pourtant été prémédité. Le Trimaran SVR-Lazartigue était en effet au cœur d’une tournée méditerranéenne à destination des différents collaborateurs du groupe KRESK. « Nous devons être à Tunis ce dimanche et il se trouve qu’un épisode de mistral se présente, expliquait Gabart, 39 ans, juste avant de prendre le départ. En regardant les données on pense qu’on est capable de traverser dans des temps plutôt corrects, même jouer le record. Alors pourquoi ne pas tenter. Dans tous les cas on doit aller à Tunis, c’est prévu dans le programme, on va donc essayer d’y aller de la plus jolie des façons c’est à dire en poussant le bateau au maximum. »

Aussitôt dit, aussitôt fait !

Samedi, à 15h49’33’’ TU (17h49’33’’, heure locale), le bateau-volant coupait la ligne de départ de la traversée. Une nuit à profiter des conditions météorologiques et ce dimanche, à 5h4510’’ TU*, les cinq marins franchissaient la ligne d’arrivée. « Je suis content et fier de ce joli premier record avec le trimaran, se réjouit le skipper. D’autant plus que ce n’était pas prévu. Il fallait saisir l’opportunité avec cette belle fenêtre. Ce n’était pas si évident car le bateau était encore en configuration « relations publiques » à Gênes deux jours avant et qu’il le sera d’ailleurs à nouveau ce dimanche, à Tunis. Je suis content d’avoir eu l’audace de tenter ça. On a tourné à trois à la barre avec Pascal, Antoine et moi, alors que Guillaume et Emilien étaient surtout aux réglages. On est quand même en navigation côtière ce qui est rare pour nos bateaux avec en plus, en Méditerranée, des effets côtiers qui peuvent être assez forts. Une heure avant notre départ, il y avait 40 nœuds de vent. Ce record est très court et rapide. Il ne faut pas se louper avec une mauvaise voile ou une manœuvre en trop. Ce n’est pas simple de partir à fond la caisse tout de suite dans du vent fort, on n’a pas de transition. Il y a pas mal de choses à gérer, ce n’est pas un record simple même s’il est largement améliorable avec nos bateaux. On peut toujours faire mieux mais pour une première on a bien navigué. J’espère qu’il marque le début d’une grande lignée. »

(*) : en attente de l’homologation de la WSSRC (World Sailing Speed Record Council)

Pascal Bidégorry : « C’est extraordinaire de voir l’évolution des bateaux »

C’est une des belles histoires de la voile. Détenteur du record depuis 12 ans, Pascal Bidegorry était cette fois aux côtés de François Gabart à l’assaut de sa propre marque. « Je suis content, c’était vraiment sympa, confie-t-il. C’est toujours bien d’améliorer des records. Et puis 12 ans, ça commençait à suffire. Il était temps d’améliorer ce record. C’est un sentiment agréable. On a l’impression de traverser le temps et de voir qu’on n’est pas encore complètement ‘’carbo’’. »

D’un point de vue plus stratégique, le marin de 54 ans, compare les deux records. « Nous n’avons pas du tout eu les mêmes fenêtres météo, analyse-t-il. En 2010, nous avions eu du vent bien plus fort, jusqu’à 55 nœuds, et plus de vent arrière. La dépression était plus dans le golfe de Gênes avec du coup du vent nord-ouest. Du coup on avait tout fait VMG avec un empannage d’une heure. Ça avait été un record très dur avec des conditions de vent et de mer très violentes malgré notre maxi bateau qui faisait 40 mètres. Nous étions cette fois dans des conditions bien différentes avec un centre dépressionnaire qui s’est calé dans l’ouest de la Corse et donc des vents qui tournaient finalement super ouest. C’était assez inespéré d’avoir une fenêtre comme ça : du vent moins fort, beaucoup moins de mer mais par contre des angles super sympas. »

À bord des deux bateaux « record », le marin est idéalement placé pour constater l’évolution de ces dernières années. « À l’époque nous avions pensé le bateau pour un tour du monde en équipage, se souvient Bidegorry. Nous n’avions pas non plus de pilote automatique. Aujourd’hui, nous sommes sur des bateaux cinq ou six tonnes plus légers. Avant ça restait du sport de combat, on était sur le pont, on en prenait plein la poire avec la grande barre à roue, les gros winches et 4 ou 5 mecs aux colonnes à tourner les manivelles pour régler le bateau en permanence. Aujourd’hui, c’est du pilotage complet, il faut corriger en permanence l’assiette du bateau, à se servir du pilote, à réguler sous les appendices pour faire voler le bateau. Ce sont des bateaux volants qui donnent parfois l’impression d’être davantage dans un cockpit d’avion que dans celui d’un bateau. On se sent super protégés. On a une vue à 360° malgré les voiles super basses. Je trouve ça super sympa. Les choses ont évolué mais dans le bon sens. Tout est devenu plus pointu. Aujourd’hui, naviguer sur ces bateaux, c’est du haut niveau dans l’utilisation. Tout se joue sur des petits détails avec de multiples datas qu’il faut optimiser pour stabiliser le vol du bateau dans son attitude sur l’eau et sa capacité à aller vite. C’est extraordinaire de voir cette évolution des bateaux. » Pascal Bidegorry va désormais rentrer en Bretagne « faire du bateau et saisir toutes les belles opportunités pour avoir un beau projet ».

Un premier record qui ouvre l’appétit

Au-delà du record et de sa satisfaction immédiate, François Gabart, détenteur du record du tour du monde en solitaire depuis 2017 (42j16h40’35’’) et vainqueur de très grandes épreuves comme le Vendée Globe en 2012-2013, se réjouit également sur le plus long terme. « C’était hyper intéressant d’avoir un run de vitesse au portant dans du vent fort, estime-t-il. Ce sont par exemple des conditions que l’on peut retrouver dans les mers du sud avec certes de l’eau plus froide, moins de côtes et de bateaux autour, mais c’est une bonne entame. D’un point de vue symbolique, c’est chouette de commencer avec ce record qui est un des records les plus courts. Avec ce bateau, on a l’ambition de gagner des courses mais aussi de battre d’autres records. Il y en a plein qui nous font rêver notamment le plus grand, le Trophée Jules Verne (tour du monde en équipage sans escale, record détenu par Francis Joyon sur Idec Sport, en 40j23h30’30’’ depuis janvier 2017). Dans cette perspective, on apprend plein de choses à chacune des sorties et notamment dans ce genre de run. »

Après une dernière étape auprès des collaborateurs du groupe KRESK ce dimanche à Tunis, le bateau va reprendre le chemin de Concarneau, son port d’attache. « Je vais rentrer en Bretagne en mode solo, précise Gabart. L’objectif est de continuer à travailler sur le bateau, faire de la veille. C’est un autre exercice. Les manœuvres vont cette fois aller beaucoup moins vite. Je suis très heureux de repasser en solo et surtout d’avoir conclu cette partie équipage de la plus belle des façons. »

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