En fin de semaine dernière, l’équipe du trimaran SVR-Lazartigue, par les voix de son armateur, Didier Tabary – PDG du Groupe Kresk -, et de son skipper, François Gabart, a souhaité porter à la connaissance de tous, les tensions qui l’opposent depuis de longues semaines aux acteurs de la Classe Ultim 32 / 23. Le différend portant sur la non-conformité du trimaran depuis sa conception et sa sortie du chantier MerConcept en juillet 2021. La Classe Ultim 32/23 et ses skippers contestent les déclarations qui ont été faites dans la presse et réaffirment leur souhait de trouver une issue à ce différend qui permette à tous de courir la prochaine Route du Rhum ainsi que toutes les courses à suivre reconnues par la classe.

La Classe Ultim 32/23 classe est composée de bateaux innovants fruits d’une histoire riche en progrès technologiques, armés par des sponsors anciens et reconnus et parfois historiques de la voile océanique. Elle accueille des skippers parmi les plus titrés qui comme leurs sponsors ont toujours défendu les valeurs du sport et celle de la voile.

Aux vues des investissements financiers et humains pour parvenir à mettre au point de telles machines au plus haut niveau, le souhait de tous, est naturellement de se mesurer les uns aux autres et de réunir le plateau le plus important possible. C’est dans le respect de cet état d’esprit que le sport révèle toute sa quintessence.

D’une seule voix

Armateurs et skippers parlent ici collégialement pour défendre deux grands principes fondateurs et cardinaux de leurs engagements :

le respects des règles telles que établies par les autorités de tutelle de la voile française et internationale, et tout particulièrement celles qui ont pour objet de renforcer la sécurité des marins et des passionnés qui les entourent.
l’équité sportive, qui passe en premier lieu par le respect de règles communes à tous, et les propos tenus par François Gabart et son équipe, au prétexte que sa plateforme serait si performante qu’elle effraierait la concurrence, sont pour le moins surprenants et regrettables car ils laissent planer un climat très éloigné de l’esprit de la course au large. C’est bien la qualité du plateau humain et l’attrait technologique et innovant de ces grands bateaux qui rendent la Classe Ultim 32 / 23 unique et passionnante. Mais l’innovation et le respect des règles sont deux sujets bien différents et distincts pour lesquels l’amalgame ou l’approximation sont impossibles.

Une dérogation avant des travaux et une mise en conformité

Dernier-né des trimarans Ultim, le trimaran SVR-Lazartigue a été mis à l’eau en juillet 2021. Pour participer à sa première course quelques mois plus tard, la Transat Jacques Vabre, Francois Gabart et son équipe ont dû obtenir une dérogation de la Fédération Française de Voile, leur bateau ne remplissant pas toutes les conditions d’obtention du certificat de jauge. Pour rappel, cette demande a dû être formulée auprès de la FFVoile; le trimaran SVR-Lazartigue n’étant, d’une part, pas adhérent de la Classe Ultim 32 /23 et, d’autre part, puisque la Transat Jacques Vabre se courrait en catégorie et non en classe. Compte tenu des délais très courts, qui n’autorisaient pas de pouvoir procéder à la mise en conformité, mais surtout dans un esprit sportif, constructif et de collégialité, aucun armateur ne s’est alors opposé à cette demande. Cependant il avait clairement été énoncé à MerConcept, dès le mois d’Octobre dernier, qu’il devrait procéder aux travaux nécessaires le temps de leur chantier d’hiver post-course pour rejoindre la Classe et s’inscrire ainsi aux régates des calendriers 2022 puis 2023.

Un refus de réaliser des modifications

À date, et malgré de nombreux échanges et réunions de travail qui ont rassemblé toutes les parties, le trimaran SVR-Lazartigue ne réunit toujours pas les conditions requises. En effet, la conformité du trimaran à certaines règles, notamment la règle 3.11 des OSR (Offshore Special Regulations de World Sailing), n’est pas établie et a été réfutée par les instances du World Sailing en date du 23 février 2022. Par conséquent, la Classe ne peut l’admettre et lui délivrer son certificat de jauge nécessaire pour son inscription à la Route du Rhum – Destination Guadeloupe.

Pour un dialogue nourri mais exigeant

La Classe Ultim 32/23, ses armateurs, ses skippers et l’ensemble des membres des maxi-trimarans regrettent cette situation, préjudiciable pour tous, et au-delà, tout en étant fortement éloignée de leurs valeurs. Les échanges demeurent néanmoins ouverts, avec la volonté affichée de trouver une solution rapide, garante de la sécurité et sportivement équitable, pour autant que François Gabart soit prêt à se conformer aux règles que tous les acteurs respectent à ce jour.

La jauge de la Classe Ultim 32 / 23

À la création de la Classe, fin 2013, le sujet de la jauge a été débattu entre les teams doublés d’architectes, de jaugeurs, d’autres navigants et de la FFVoile pendant 17 mois. Les choix possibles vont de la contrainte la plus importante à une forme de liberté totale mis à part, évidemment, le respect, à minima, des règles internationales (OSR / World Sailing), pour ne pas être interdit de naviguer dans les courses à grande majorité régies par les OSR.

François Gabart, tout comme l’ensemble des membres fondateurs de la Classe, ont co-écrit la jauge en vigueur aujourd’hui.

Par ses choix, la Classe voulait des règles :

  • ouvertes, pour permettre et encourager l’innovation
  • évolutives, tous les 4 ans, pour éviter une obsolescence trop rapide des bateaux, maintenir une compétition intéressante et permettre un certain maintien de leurs valeurs
  • optimisant, le plus possible, les paramètres de sécurité des marins

Du comité d’experts au World Sailing, chronologie des faits

À l’issue de la Transat Jacques Vabre, courue sous dérogation pour SVR, les acteurs de la classe ont fait valoir la demande de conformité du trimaran. Fin décembre 2021, et face à l’impasse des négociations pour tenter de résoudre les divergences, un comité d’experts a été mandaté par la Classe Ultim 32 / 23 sur proposition de la FFVoile. L’interprétation des experts ne menant toujours pas à un consensus auprès des armateurs d’Ultims, une dernière alternative a été proposée et validée par tous le 16 février 2022 lors d’une réunion rassemblant l’ensemble des armateurs Ultims sous la médiation de la FFVoile : faire appel à l’arbitrage international des OSR pour trancher. Didier Tabary naturellement présent lors de cette réunion avait donné son accord pour suivre le jugement des OSR pour autant qu’il soit rendu avant le 4 mars afin de permettre aux équipes de MerConcept de réaliser des modifications avant la remise à l’eau de leur trimaran.

Le 23 février, le World Sailing a rendu un avis négatif arguant que SVR-Lazartigue ne remplissait pas les critères de conformité requis pour faire valoir l’obtention de son certificat de jauge par la Classe. Face à ce jugement défavorable, MerConcept et le Groupe Kresk ont finalement choisi de ne pas tenir les engagements pris le 16 février, compromettant ainsi leur entrée dans la classe et leur participation à la Route du Rhum.

LES RÉACTIONS

Patricia Brochard – Présidente de la Classe Ultime 32/23

« En tant que Classe, nous avons, entre autres, la responsabilité de maximiser les conditions de sécurité des marins et des bateaux et d’assurer l’équité sportive. Ce sont ces deux raisons, majeures, qui nous ont conduit, dès 2014, à produire un cadre architectural, puis une jauge, en s’appuyant, notamment, sur des règles internationales (World Sailing) ; règles applicables à tous les marins, du plaisancier à la marine marchande. L’équité sportive permet d’assurer l’intérêt des confrontations, comme dans tout sport et ne réduit, en aucun cas, la capacité d’innovation. Aujourd’hui, il y a un différend qui remonte à la construction du trimaran SVR-Lazartigue sur le non-respect de règles dont une en particulier. Malgré des discussions engagées avec MerConcept pour la mise en conformité de leur bateau ; clause essentielle pour rentrer dans la classe, les échanges sont toujours en cours mais non aboutis. Nous ne pouvons que regretter, que pour faire pression, le Groupe Kresk et François Gabart aient souhaité utiliser le débat public avec tous les préjudices qu’il peut engendrer. »

Samuel Tual – Président Actual Leader group

« Nos Ultims volants sont de véritables concentrés de technologie qui nous permettent d’atteindre des vitesses jamais égalées. Pour autant cette recherche de performance et d’innovation s’est toujours inscrite dans un cadre très strict de sécurité, nécessaire pour préserver nos marins et l’environnement sur lequel ils évoluent. Ces règles de sécurité, affirmées et acceptées par tous à la création de la classe s’appuient notamment sur les règles internationales (OSR / World Sailing). Dernier-né des trimarans Ultim, le trimaran SVR-Lazartigue ne garantit pas à ce stade les conditions de sécurité requises pour le marin et son environnement. Cela a été confirmé par un avis très clair du world Sailing le 23 février dernier. Nous attendons désormais une nouvelle proposition du Groupe Kresk et de François Gabart pour s’y conformer en souhaitant ardemment que cette situation puisse se résoudre en bonne intelligence dans l’intérêt de notre sport et de tous les passionnés de course au large. »

Armel Le Cléac’h – Skipper du Maxi Banque Populaire XI

« Dans les régates, il y a des règles qui existent qui sont les mêmes pour tous, celui qui l’emporte, il a toute la joie de gagner car il a aussi respecté les règles. L’équité sportive, je l’ai connue à travers différents supports, j’ai fait du dériveur, je me suis ensuite dirigé vers la course en large avec le FIGARO où là nous courrons tous à armes égales, les bateaux sont identiques et les règles sont précises. C’est la même chose en IMOCA, il y a aussi un règlement qui est prédéfini avec des modifications possibles tous les 4 ans après chaque Vendée Globe. Avec la Classe Ultim 32/23, c’est aussi ce que nous avons voulu faire en écrivant – tous ensemble y compris François Gabart – une jauge qui est assez simple mais où il y a quand même un cadre à respecter. Nous avons voulu justement avec la Classe Ultim 32/23, créer cette jauge pour éviter des débordements. Aujourd’hui, le trimaran SVR-Lazartigue ne la respecte pas et ne respecte donc pas l’équité sportive. C’est dommage, nous avons tous envie de courir contre François (Gabart), d’avoir de nombreux bateaux sur la ligne de départ. Mais la priorité, avant tout, c’est de respecter les règles du jeu pour qu’ensuite le meilleur gagne sur l’eau avec son bateau, sa stratégie et sa préparation. C’est ça l’esprit sportif. »

Thomas Coville – Skipper de Sodebo Ultim 3

« Nos bateaux sont fabuleux et j’ai envie de courir contre François Gabart, là n’est pas le problème. La classe l’a d’ailleurs laissé courir la Jacques Vabre avec une dérogation, ce qui témoigne de l’état d’esprit constructif dans lequel nous nous inscrivons. Mais c’est aussi la preuve qu’une ou plusieurs règles étaient alors enfreintes par SVR-Lazartigue. Et nous lui avions signifié à l’époque que pour rentrer dans la Classe Ultim, il devrait se mettre en conformité. Il y a des règles qui encadrent notre Classe et que nous avons co-construites ensemble depuis l’origine. François était présent et a signé comme nous. En tant qu’athlète, je suis attaché aux valeurs d’équité et je trouve normal de vouloir que tout le monde applique la règle. S’il y a un désaccord sur une interprétation, on en réfère à l’arbitre qui régule et est habilité à nous mettre d’accord. L’arbitre a toujours raison et je m’en remettrai à son avis et c’est donc à François Gabart de s’accorder avec le World Sailing. En moins planétaire, évidemment, mais cela me fait penser à la posture de ce grand joueur de tennis, Novak Djokovic, qui se positionne en victime alors que, tout simplement, il ne respecte pas les règles. »

Charles Caudrelier – Skipper du Maxi Edmond de Rothschild

« Il y a une règle fondamentale dans la marine que tout marin doit respecter : tu dois être en capacité d’assurer une veille visuelle depuis la passerelle ou nous concernant le pont de travail. C’est une règle de base qui vaut aussi bien dans la Marine Marchande – que je connais bien car de formation je suis officier de Marine Marchande – dans la pêche et naturellement dans la course au large. Le concept architectural choisi par François et SVR pose problème quant à cette règle fondamentale de sécurité qui est occultée dans un but de performance aérodynamique. Quand François est à l’intérieur de son bateau il ne voit rien. François n’a une vision directe de son pont que lorsqu’il est à la barre. Seulement nous le savons tous, en solitaire, nous sommes 90 % du temps sous pilote automatique, assis dans le cockpit près des winchs et donc pas à la barre. Dans ce cas, le marin se réfère uniquement à des caméras et à des systèmes, que nous avons tous, mais nous savons aussi d’expérience que rien ne vaut l’œil humain. À titre d’exemple, depuis que je suis skipper du Maxi Edmond de Rothschild (2019, ndlr) nous avons failli avoir quatre collisions dangereuses. Systématiquement c’est le regard humain et non les systèmes, qui sont une assistance, qui nous a permis d’éviter la collision. Nous parlons bien ici de sécurité et non de performance. L’innovation et le respect des règles sont tout à fait compatibles, Gitana 17 en est la preuve ! Le Gitana Team a été le premier à penser et à mettre au point un bateau volant de course au large en 2017. La révolution est venue d’ici ! Pour cela, l’équipe et ses architectes ont dû faire preuve d’une incroyable innovation mais en respectant un cadre et des règles qui sont les mêmes pour tous. Si on compare aux sports automobiles, les ingénieurs des écuries savent tous comment faire une voiture plus performante en théorie mais encore faut-il que les contraintes de design imposées à tous soient respectées pour y parvenir . »

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