L’échappée belle
Finalement, cette première nuit en mer aura plutôt été favorable à la glisse pour les 34 skippers de La Solitaire du Figaro. Sous spi, dans un flux relativement stable d’une dizaine de nœuds de sud-est, les bateaux ont parcouru plus de 200 milles depuis leur départ, hier de la Baie de Morlaix, progressant à bon train vers le mythique phare du Fastnet.
Sur l’eau, le moindre petit décalage peut créer de gros écarts. Xavier Macaire (Groupe SNEF) l’avait bien anticipé la nuit dernière. D’entrée de jeu, il se positionne à l’ouest, sous le vent de la flotte et tient fermement sa position. Un entêtement heureux puisque Xavier est le premier skipper à aborder la pointe occidentale des Cornouailles au lever du jour, avec près de 20 minutes d’avance sur ses concurrents. Dans une brume à couper au couteau, hors de portée d’AIS, le sablais ne pouvait pas se douter que, plus au sud, se fomentait une tentative plus cavalière.
Alors que le groupe principal s’élance au plus près des côtes anglaises, Maël Garnier (Ageas – Team Baie de Saint-Brieuc) et Philippe Hartz (Marine Nationale – Fondation de la Mer), tous deux bizuths, emmenés par l’irlandais Tom Dolan (Smurfit Kappa – Kingspan) choisissent de faire bande à part et de passer entre le DST de Land’s End et l’archipel des Scilly. “Tout le monde a lofé et j’ai décidé de rester sur ma route. J’ai fait ce que j’avais décidé au départ, c’est-à-dire de ne pas me laisser influencer et ça a l’air de payer” détaillait Philippe Hartz à la VHF ce matin.
L’option s’avère effectivement fructueuse : les trois mousquetaires, en bénéficiant d’un petit peu plus de pression, sont les premiers à s’élancer vers le Fastnet avec, de surcroît, un confortable petit matelas d’environ 7 milles sur les partisans de la route nord. Cet avantage certes confortable ne leur permettra pourtant certainement pas de dormir sur leurs deux oreilles durant les prochaines heures.
Tom Dolan dispose toutefois d’un autre atout dans son sac à bouts. En effet, celui qui a été désigné par ses pairs comme marin irlandais de l’année 2020 connaît assez bien l’endroit pour y avoir enseigné la voile à Baltimore, cité balnéaire éclairée chaque nuit par la lumière du phare. Un avantage que Tom préférait pourtant relativiser hier avant le départ : « Je me sens souvent bien quand je vais au Fastnet, j’ai l’impression de rentrer chez moi, ne serait-ce que pour entendre* les prévisions météorologiques avec un bel accent irlandais, en sachant que les Français ne comprendront rien ! Cela dit je ne pense pas avoir une connaissance locale supplémentaire, ou alors ce sera léger, et la plupart de ces gars sont, eux aussi, venus ici plusieurs fois. »
*Pour rappel, les marins de la Solitaire du Figaro n’ont pas directement accès, à bord, aux fichiers météo. En revanche, depuis les bateaux accompagnateurs, la direction de course émet deux fois par jour (à 9h et 21h) un bulletin actualisé. Enfin, les concurrents peuvent capter à l’approche des côtes et comme n’importe quel plaisancier, les informations diffusées par les Cross locaux via leur VHF.
Fastnet en ligne de mire
Dans la soirée, le vent toujours de secteur est-sud-est va légèrement faiblir. Surtout, une grande houle d’ouest jusqu’à 2 mètres rentrera progressivement sur zone. La suite est beaucoup moins claire en termes de conditions. La flotte va devoir évoluer entre 2 systèmes météo. En attendant que le flux de nord-ouest s’établisse franchement, il va falloir à nos marins tricoter dans un vent instable en force et en direction, en espérant ne pas rester scotché au Fastnet dans ces zones perturbées.
Le phare mythique devrait voir se pointer les étraves des Figaro Bénéteau 3 dans la nuit, entre 2h30 et 5h du matin (heure française).
Tom Dolan (Smurfit Kappa – Kingspan) joint en fin d’après-midi par le bateau accompagnateur Express
« Je m’attendais un peu à ce classement suite à ma trajectoire dans l’ouest du DST. Je savais que j’étais devant mais je ne savais pas de combien. C’est super cette position surtout en arrivant en Irlande, à la maison. J’avais vu sur les fichiers qu’il y avait plus de vent dans l’ouest et qu’il y avait quelque chose à faire.
J’avais perdu tout le monde avec le brouillard hier soir et l’AIS qui ne fonctionnait pas. J’avais des doutes, je pensais que j’étais le seul à aller là-bas. Mais il y a aussi Philippe (Hartz) et Maël (Garnier) je pense, car je les ai entendus parler.
Le Fastnet, j’ai dû le doubler une cinquantaine de fois car j’ai habité pas mal d’années à Baltimore, et on y allait souvent. En ce moment, il y a un peu de soleil, c’est chouette et c’est rare en cette période de l’année. J’ai peur qu’il n’y ait plus beaucoup de vent en arrivant au phare. Je navigue sous grand spi, génois et grand-voile haute, et je vais entre 11 et 13 nœuds, parfois 14 selon les vagues qui relancent le bateau. Je vais doubler le Fastnet cette nuit. C’est dommage je pensais que je verrais l’Irlande. Ce matin, j’ai beaucoup dormi et là, je barre pour aller vite au Fastnet car je voudrais passer avant l’arrivée du vent foireux. A une heure près je suis dans le bon timing je pense ! Je croise les doigts, j’aurais peut-être des bonnes ondes de l’Irlande. »