Audinet / Delapierre, pionniers olympiques du vol !
Vous pourrez objecter que la Dream Team volait par-dessus le parquet de Los Angeles en 1984 ; que Jonathan « le goéland » Edwards a passé bien du temps en suspension dans les airs lors de son titre olympique à Athènes 2000 en triple saut ; que Simone Biles, la prodigieuse gymnaste déjà quatre fois médaillée d’or olympique, défie l’air plus que la terre et que le vol à voile fut en démonstration lors des funestes JO de Berlin 1936, cela ne nous enlèvera pas de l’esprit que Manon Audinet et Quentin Delapierre briguent une médaille dans la première compétition officielle pour qui la recherche du maintien du vol est la quête fondamentale.
À bord du Nacra17, catamaran doté de foils – ces dérives incurvées qui permettent au bateau de s’extraire de l’eau et de rester en suspension, passé une certaine vitesse – le tandem mixte va donc chercher à voler par-dessus le plan d’eau de Eno-shima, petite île à 50 kilomètres dans le sud de Tokyo. Reliée à la terre par deux ponts (un pour les piétons, un pour les autos), « l’île du Dragon » sera le port d’attache des flottes des 10 séries olympiques.
Quentin Delapierre appelé à la barre
Membre de l’équipe de France olympique depuis 2013, spécialiste du catamaran de sport, la Rochelaise concrétise son rêve olympique avec Quentin Delapierre, qu’elle a elle-même appelé à la barre après la fin de son aventure sportive avec Moana Vaireaux, vécue sous la domination des intouchables Billy Besson et Marie Riou. « Je ne voulais pas m’arrêter. Il fallait que je trouve un autre barreur avec qui mener un sprint jusqu’à la sélection olympique. Quentin avait ce profil, selon moi… et je ne me suis pas trompée ».
Il se dit du talent de Quentin Delapierre qu’il est aussi large que son sourire et aussi fort que son tempérament dans la confrontation. Né sur un multicoque comme tout enfant du golfe du Morbihan, Quentin a dominé plusieurs années le Tour Voile en Diam24, frôlant la victoire lorsqu’il ne s’y imposait pas (2016, 2018). Champion d’Europe de J80, champion du monde Jeunes en Laser SB20, le touche-à-tout navigue aussi régulièrement sur le trimaran Ultim’ 32/23 de Thomas Coville.
Genèse d’un tandem
L’olympisme, Manon Audinet en connaît toutes les exigences depuis 2013, mais il a fallu convaincre Quentin Delapierre de ses petits bonheurs. Jusqu’à lui vendre du rêve ? « J’ai essayé, rit-elle, il fallait qu’il dise oui ! Mais je l’ai secoué en lui disant que l’objectif était Tokyo 2020. Au début, il avait une vision à plus long terme… On a commencé à s’entraîner en août 2018 et l’épreuve de sélection pour le test-event à Eno-Shima était fixée à mars 2019. Cela nous laissait peu de temps pour nous mettre en route… »
Les Jeux taquinaient Quentin Delapierre depuis un petit moment : dans son équipe du Tour Voile brillait déjà Kevin Péponnet, qui disputera ses premiers JO cet été également dans la série mythique du 470, avec Jérémie Mion. « Cela faisait un moment qu’on échangeait sur l’olympisme, avec ‘Kepon’. Lors de la dernière année Lorina, il faisait des sauts entre le Diam24 et le 470, et il est devenu champion du monde. Moi, je voulais un projet avec quelqu’un de performant, avec de l’expérience. Manon m’a proposé le projet idéal ». Depuis, Quentin a découvert les voyages incessants, les plans d’eau à travers la planète, les sacrifices des proches… et les ambitions de médaille.
Un projet mené tambour battant
Dès leurs premiers pas ensemble à bord du Nacra17, la fusion s’opère, au moins partiellement. Ultra rapide vent arrière, un peu moins véloce à la remontée du vent, le duo fait son trou malgré tout. « Au final, dit Quentin, on se battait bien pour revenir, avec la bonne grinta et la bonne cohésion. On a surpris le milieu en décrochant le ticket pour le test event, puis la sélection olympique, décrochée à Palma de Majorque en 2019. On s’est pris des murs, ensuite, mais on a continué à s’inscrire dans la progression ». Manon : « On a montré qu’on est là quand il faut être là, même si on est passé par tous les stades. Cet hiver, on a multiplié les heures à Lanzarote, au point de s’épuiser, mais je suis convaincue que cela a été hyper bénéfique : nous avons tout fait pour avoir les automatismes ».
Leur progression avait déjà pris forme : victoire lors des World Cup Series 2019, sur le plan d’eau japonais, là-même où se joueront les Jeux ; top 10 lors des Mondiaux 2019, à Auckland ; 4e place aux championnats du monde à Geelong (Australie) et enfin médaille d’argent lors des championnats d’Europe en octobre dernier en Autriche. Le bilan est posé par Quentin Delapierre : « C’est cool de découvrir que les adversaires cherchent à savoir où tu t’entraînes ou te proposent des partenariats : cela veut dire qu’on est entré dans leur tête. On n’est pas les favoris, et c’est très bien ainsi, mais on fait partie des outsiders dans cette série où 10 bateaux sont capables d’aller très vite ».
« Une énorme envie de ‘bouffer le plan d’eau’ »…
« On n’a plus de questions à se poser, assure Manon Audinet. On n’est pas satisfait à 100%, comme tout athlète olympique, mais il faut savoir être objectif sur le travail réalisé : on a toutes les cartes en mains, il faudra savoir les abattre pendant la semaine de compétition des Jeux ». « J’ai hâte d’y aller, et c’est un très bon sentiment pour moi, ajoute Quentin. Je suis du style à vouloir travailler chaque détail, pour arriver en pleine maîtrise. On a coché beaucoup d’axes de travail, sans laisser de côté un gros dossier. Je me sens libéré, avec une énorme envie de ‘bouffer le plan d’eau’ ! ».
… et quel plan d’eau !
Là, au sud du Japon, s’entremêlent tous les phénomènes marins et météo de la région. Le vent peut venir du nord-ouest comme du sud-est, voire du nord. Alors les phénomènes de site prennent de l’ampleur. La côte sud est le théâtre du courant Kuro-shio, le 2e plus grand courant de la planète après le Gulf Stream ; il court vers le nord-est.
Et puis le Japon est situé à la croisée de quatre grandes plaques lithosphériques : Okhotsk au nord, philippine au sud, pacifique à l’est et eurasiatique à l’ouest, elle-même scindée en trois sous-plaques (Amour, Okinawa, Yangtsé). De quoi lever la mer…
« C’est hallucinant le nombre de conditions qu’on peut y rencontrer, s’enthousiasme Manon. Il peut y avoir de la mer comme jamais, ou des conditions de lac en été. J’aime l’idée que la compétition demande de nous que nous soyons polyvalents ; Lanzarote a été un bon choix pour faire la préparation. Chaque manche sera différente, il faudra être très rapides dans l’adaptation ».
Pour nourrir cette capacité d’adaptation, le duo bénéficie de deux outils fondamentaux. Le premier a la voix de David Lanier, le monsieur Météo de l’équipe de France olympique, féru de voile et de régate ; c’est lui qui murmure les secrets de la lecture d’un nuage à l’oreille des régatiers.
Le second a la valeur de l’expérience commune. Il prend la forme d’un cahier où sont recensés tous les réglages, en fonction de toutes les conditions, pour ce bateau qui est « sans doute l’un des plus compliqués sur lesquels j’ai navigué », dit Quentin. « Personne n’en a fait le tour, prolonge Manon, personne n’en a toutes les clés pour être parfaitement performant tout le temps ». « La densité de l’air, la forme des vagues, les effets de site rendent tout compliqué, et c’est aussi un bateau très physique », salue le barreur, qui achève son propos par un éloge à son équipière et à la mixité : « J’ai testé le poste de Manon : il faut de la force, du cardio pour bouger en tirant les bouts, et accepter l’idée de se déplacer debout, même dans le vol… »