L’effet tampon
A l’avant de la flotte, l’Atlantique n’est pas totalement coopératif pour Charlie Dalin qui cumule seulement 160 milles d’avance sur Louis Burton. Dans une zone de vents plus instables et moins soutenus qu’il leur faudra traverser, les solitaires de tête vont peiner à s’extraire d’une situation météorologique attendue puisque l’anticyclone se décale vers l’Est… Une opportunité pour leurs poursuivants ?
Ça va tamponner, bloquer, bouchonner, coincer, bref ça ne va pas imprimer ! Les fichiers météo ont beau flasher toutes les données pour extraire une composition claire, il n’y a pas de bon à tirer… Car la rotative qui s’est installée au cœur de l’Atlantique glisse doucement vers l’archipel de Madère et les leaders ont beau façonné leur trajectoire, ils ne vont que tomber dans un pli anticyclonique sans pouvoir se relier aussi rapidement qu’ils ne l’avaient imaginé, au flux de Sud-Ouest qui balaye les Açores. Bref, les poursuivants vont se refaire une santé…
Et si ce n’est pas la panne sèche, ça sent la grève éolienne ! Et ce, jusqu’au lever du jour demain vendredi… Certes il y aura encore un souffle, mais nettement moins établi et franchement moins soutenu que ces derniers jours. Parce que l’Atlantique Nord s’est apaisé de ses soubresauts dépressionnaires, du moins sous le 40° Nord : un effet bascule, une situation d’alternance, une configuration tampon, un temps de limace, un rythme d’escargot, un pas de sénateur qui prédomine sur des flots pour le moins paisibles, voire carrément lissés au large des Canaries. Bref en tête de flotte, les alizés perdent doucement de leur superbe et en se déportant vers l’Est, l’anticyclone des Açores emporte dans sa besace une grande partie de la brise : elle s’oriente progressivement au secteur Sud-Est en mollissant à une dizaine de nœuds au-dessus du tropique du Cancer (23°26’ Nord). Et va progressivement basculer au Sud, puis au Sud-Ouest dès demain.
Non, rien de rien…
Alors comme le chantait Piaf, il ne faut rien regretter : par la droite ou par l’Ouest, il semble bien que les voies vers les Açores convergent à moyen terme, et entre Charlie Dalin (Apivia) le plus à l’Est et Louis Burton (Bureau Vallée 2) le plus à l’Ouest, le différentiel ne soit finalement pas suffisamment significatif. En tous cas, pas au point de mettre en ballottage le Malouin. Dans le monde réel, il y a bien 300 milles de décalage latéral, mais aussi 40 de bonus longitudinal… et les vitesses moyennes sur les quatre dernières heures indiquent que les deux compères sont dans une configuration météorologique quasiment similaire. Mais il ne faudrait pas pour autant mettre sur la touche les poursuivants !
Car à l’affût se nichent l’Allemand Boris Herrmann (SeaExplorer-Yacht Club de Monaco), le Nordiste Thomas Ruyant (LinkedOut) et l’Arcachonnais Yannick Bestaven (Maître CoQ IV) : certes ils sont plutôt dans la trace du leader, et non seulement ils vont au moins aussi vite, mais l’évolution de la situation météo leur est favorable… Car en glissant vers Madère, les hautes pressions emmènent la brise vers le continent, et donc le « virage » vers les Açores va être plus serré ! Moins de route plus vite, voilà de quoi remettre aux avant-postes nombre d’outsiders…
Et cela est aussi valable pour les autres : Damien Seguin (Groupe APICIL) et Giancarlo Pedote (Prysmian Group) sont certes plus éloignés du leader (160 à 200 milles), mais ils sont aussi plus à l’Est. Ils vont donc pouvoir « couper le fromage » en raccourcissant leur route vers les Sables d’Olonne ! Et il en sera de même pour Jean Le Cam (Yes We Cam!) et Benjamin Dutreux (OMIA-Water Family) qui reviennent aussi très fort dans des alizés toujours installés à cette latitude. Or ce n’est réellement qu’en cette fin de week-end que la situation va se décanter quand les premiers vont aborder l’archipel des Açores : par le Sud, par l’Ouest ou au milieu des îles ? La question reste ouverte…
Du cap Horn aux îles brésiliennes…
Pour Clarisse Crémer (Banque Populaire X), un nouvel horizon s’ouvre devant son étrave puisque la solitaire a franchi la ligne de démarcation des hémisphères ce jeudi à 4h42 (heure française) après 73 jours 14 heures et 22 minutes de course. Il va donc falloir maintenant traverser le pot au noir et se positionner pour le rush final qui pourrait être bien plus direct vers l’arrivée, en passant au large des Canaries et de Madère puisque les hautes pressions ont des velléités à se replier vers l’Espagne… Un plus court chemin vers Les Sables d’Olonne que pourrait aussi emprunter son poursuivant, Romain Attanasio (Pure-Best Western) la semaine prochaine, mais ce dernier doit désormais regarder dans son rétroviseur le retour de Jérémie Beyou (Charal) qui devrait allonger la foulée dans des alizés modérés.
Quant au duo Boissières-Roura, qui progresse doucement dans une excroissance de l’anticyclone de Sainte-Hélène, il pourrait bien flirter avec les îles de Martim Vaz et Trindade au large du Cabo Frio. Ce qui ne semble pas être le cas pour Pip Hare (Medallia) qui navigue plus proche des rives brésiliennes, tout comme Stéphane Le Diraison (Time for Oceans) qui a relégué le Catalan Didac Costa et le Japonais Kojiro Shiraishi à plus de 130 milles dans son Sud-Ouest. Et pour Manu Cousin (Groupe Sétin) comme pour Miranda Merron et Clément Giraud, la route vers le Nord-Est ne semble pas paver de mauvaises intentions avec une brise portante et des températures en hausse.
Ce qui n’est pas le cas pour Alexia Barrier (TSE-4myplanet) et pour le Finlandais Ari Huusela (STARK) qui ne passeront le cap Horn que ce week-end. Et pour l’instant à 1 000 milles de la Patagonie, il fait bien froid dans le Pacifique par 55° Sud ! Samantha Davies hors course (Initiatives Cœur) qui fait office d’ouvreuse à 200 milles devant la Méditerranéenne, signalait 2°C à l’extérieur du cockpit… Mais ce vent puissant venant de l’Antarctique, va heureusement faire place à un flux d’Ouest à Nord-Ouest, toujours soutenu certes, mais moins frigorifique. Les îles de l’Amérique du Sud devraient « égayer » cette porte de sortie des mers du Sud.