Ce matin à 5h39 (heure française) c’était au tour de Charlie Dalin de franchir le dernier des trois sommets du tour du monde, 15 heures derrière la coque rouge de Maître CoQ IV. Premier à Bonne Espérance, premier à Leeuwin, deuxième au cap Horn… le skipper d’Apivia est proche du sans faute. Le combat singulier qui va l’opposer à Yannick Bestaven tout au long d’une remontée de l’Atlantique très complexe s’annonce passionnant. En attendant, les deux hommes sont passés en l’espace de quelques heures d’un extrême à l’autre. De la tempête au calme. Du désert maritime aux îles et aux côtes. Du portant musclé à la stratégie fine. De la survie à la régate. Malgré l’immense fatigue accumulée après un mois de maltraitance dans les mers du Sud, il leur faut pourtant se remettre très vite dans de nouvelles dispositions…

Apivia est passé à sept milles du promontoire rocheux. Dans la pénombre des hautes latitudes australes, son skipper a aperçu l’ombre du rocher et les lumières de la côte. Il a même pu échanger quelques mots avec le gardien de phare installé sur la base de l’île Horn. « C’est un bonheur tout simplement. Un moment fort. Je suis aussi heureux de ne plus avoir cette grosse mer qui nous accompagnait depuis plusieurs jours » déclarait ce dimanche matin le marin de 36 ans, engagé dans le premier tour du monde de sa vie. Perfectionniste et optimaliste – capacité à faire au mieux avec ce que l’on a – … c’est ainsi que Charlie se décrivait avant de quitter les Sables d’Olonne. Il faut certainement une forte dose de ces deux qualités – et quelques autres- pour exceller dans le Vendée Globe. De fait, Charlie doit composer depuis le 16 décembre avec un foil bâbord défaillant qui lui a coûté le leadership à l’entrée du Pacifique.

Le soulagement, c’est maintenant (ou pour bientôt)

Le cri poussé par Bestaven, hier, au moment où il passait le cap Dur, trahit l’intensité de son soulagement. « De ma vie de marin, c’est la plus grosse tempête que j’ai jamais essuyée. Une mer démentielle, des rafales à 60 nœuds. Je n’avais jamais vu aussi gros. C’est un soulagement énorme, car ça a été très dur ». Joint dans l’émission de ce dimanche et congratulé par l’écrivain Erik Orsenna, Yannick, emmitouflé dans une grosse doudoune de ski rouge, avait les yeux hagards et l’air épuisé. « Me retrouver au calme m’a assommé » avoue-t-il. Un mois à vivre K.O debout sous les uppercuts incessants du Grand Sud a de quoi vous amocher le plus fringant des navigateurs. Une fois passée la pointe de l’Amérique du Sud, le contrecoup est donc énorme.

Pourtant, tous appellent cette délivrance de leurs vœux. À commencer par Thomas Ruyant, prochain sur la liste avec Damien Seguin. « L’Antarctique n’est pas loin, on aperçoit la sortie du tunnel! Le moral remonte à la surface parce qu’on sait que c’est la fin d’un gros morceau » confesse Ruyant qui souffre du froid par 58 degrés Sud. « Si j’avais du beurre à bord, j’aurais du mal à l’étaler sur ma tartine » plaisante-t-il.

Ce froid mordant est tombé sur la tête de Maxime Sorel, 10e. En l’espace de quelques minutes, un énorme grain chargé de grésil a recouvert le pont de son bateau vert de paillettes de glace blanche.

Jean le Cam, qui s’apprête à passer le Horn pour la 7e fois de sa longue et belle carrière a hâte, lui aussi, d’en finir avec la baston : « on a affronté des conditions exécrables pendant plus d’un mois. Le cap Horn, c’est aussi la route vers la maison et le chaud. Ce n’est pas qu’un symbole, c’est beaucoup de choses physiques ».

Ruyant et Seguin sont attendus dans le sud de l’Ile Horn aux premières heures du 4 janvier. Dutreux, le Cam et leurs poursuivants une demi-journée plus tard. À partir de lundi soir, il pourrait y avoir embouteillage au cap Horn !

L’ombre du vent

En attendant, les deux leaders sont passés dans un autre monde. Longtemps arrêté dans le vaste dévent qui s’étend sur 350 milles dans le Sud-Est de la pointe de l’Argentine, Yannick Bestaven en a certainement profité pour procéder à une vérification complète de son bateau et pour se reposer. Il a aussi perdu la moitié de son avance sur Charlie Dalin. Ce dernier est désormais à la chasse du bateau rouge, dans un combat singulier qui risque de tenir tout le monde en haleine, car les deux hommes pourraient emprunter des routes bien différentes pour leur remontée de l’Atlantique Sud.

Proche des côtes, Dalin embouquait cet après-midi le détroit de Le Maire, petit couloir de 16 milles entre la Terre de Feu, au sud de l’Argentine et l’île des États. Tandis que Bestaven traçait vers l’Est, presque parallèlement à la barrière des glaces. Tous deux vont essayer de trouver le meilleur passage pour traverser un anticyclone qui se forme au nord des Falkland et qui contrarie leur progression vers le Nord…

1 000 milles derrière eux et pratiquement jusqu’aux derniers concurrents, les conditions anticycloniques qui régnaient dans le Pacifique cèdent la place au train de dépressions plus commun dans ces contrées. Il y a du vent, beaucoup de vent pour presque tout le monde. Le Grand Sud va retrouver son visage habituel pendant toute la semaine à venir.

Source

Articles connexes