C’est une évidence que l’on reviendra
Après un peu plus de 16 jours de mer, Thomas Coville a pris la décision vendredi avec son équipage de ne pas poursuivre la tentative sur le Trophée Jules Verne. Après avoir essayé de réparer le safran tribord de Sodebo Ultim 3 avec François Duguet, le boat-captain et le reste de l’équipe, le skipper a choisi d’agir en bon marin et de ne pas « tenter le diable ». Le trimaran fait actuellement route vers La Réunion où il est attendu en fin de semaine prochaine.
C’est une journée de vendredi particulière qu’auront vécue, à des milliers de kilomètres de distance, les huit équipiers de Sodebo Ultm 3 en plein milieu de l’océan Indien, et les membres du team dans la base de Lorient. Tout a commencé par des premiers retours de deux des barreurs du bord, François Morvan et Matthieu Vandame. « Après une réflexion de François et de Matthieu sur leurs quarts qui avaient été difficiles à la barre dans du vent fort au portant, on s’est rendu compte lors d’un contrôle de routine qu’on avait un problème de direction, de safran, de gouvernail », explique Thomas Coville.
Après un premier diagnostic, le skipper décide de ralentir pour tenter de réparer le safran du flotteur tribord. Du côté de Lorient, l’équipe à terre se mobilise, comme le raconte Jean-Christophe Moussard, le team-manager : « On a un document spécial qui nous permet de gérer ces moments anxiogènes, pendant lesquels il y a beaucoup de choses à faire en même temps. Il faut notamment que les responsables techniques des pièces touchées rejoignent la cellule routage pour une coordination rapide et efficace avec le bateau. De notre côté, on est arrivé à la conclusion qu’après la réparation, le bateau ne serait plus à 100%. Mais, le dernier mot revient au skipper et à son équipage. »
A bord, Thomas Coville, après six heures passées avec François Duguet dans l’inconfort du flotteur tribord de Sodebo Ultim 3, se rend à l’évidence : « Le problème était plus sérieux qu’on ne le pensait au départ, si bien qu’il n’était plus possible de diriger le bateau avec les mêmes ambitions et surtout la même sécurité. » Le skipper, après avoir échangé avec la terre, réunit son équipage pour lui annoncer sa décision de renoncer à poursuivre cette tentative : « C’est super dur de vous dire ça mais c’est aussi mon job de vous ramener et de ramener le bateau à son armateur. On n’est pas « out », on a fait un truc super jusqu’aux Kerguelen, on était devant, je ne pense pas qu’il faille tenter le diable avec un bateau qui n’est pas à 100%. »
Pour Jean-Christophe Moussard, « Thomas a pris la décision qui s’imposait, c’est un homme d’expérience, il sait que le Pacifique est un « no man’s land », où personne ne vient te chercher. Prendre ce genre de décision après six heures passées dans le flotteur, il faut être costaud. »
Les équipiers accusent forcément le coup, certains yeux sont rougis, mélange de fatigue et d’une déception légitime après 16 jours de navigation intense. Interrogé samedi matin par Martin Keruzoré, Thomas Coville résume : « Le fait de prendre cette décision quasiment à mi-chemin a été plus qu’une déception. Quand vous êtes dans une spirale, que vous avez quelque chose qui vous prend les tripes et que tout le groupe est dans cette même atmosphère, arrêter ça, c’est arrêter quelque chose de trop beau. Je n’étais pas uniquement dans la projection de battre le Jules Verne, je voulais aussi continuer à vivre ce moment, cette expérience, ce voyage, qui étaient tels que je l’avais imaginé avec ce groupe qu’on a formé. Je n’avais pas envie que ça s’arrête. »
S’il parle « d’une école d’humilité », le skipper de Sodebo Ultim 3 sait aussi tout le beau chemin qui a été accompli jusque-là : « Le prix à payer est un peu fort, je suis très déçu, mais je ne suis pas abattu parce que c’est une évidence : on reviendra. On a un groupe et un bateau pour le faire, on a un partenaire qui veut bien y retourner aussi, donc l’avenir est devant nous. On écrira d’autres histoires, mais on continuera d’abord celle-là, tellement elle a bien démarré, ce n’est pas fini ! »
Ce périple n’est en effet pas terminé puisque le trimaran fait désormais route vers La Réunion, où il sera rejoint par une petite équipe technique pour remplacer les pièces défectueuses. « Nous avons choisi La Réunion plutôt que l’Australie pour plusieurs raisons, explique Jean-Christophe Moussard. D’abord parce que les conditions météo étaient plus favorables pour rejoindre la Réunion, ensuite parce qu’on pouvait envoyer plus facilement une équipe technique. Pour l’Australie, les conditions sanitaires actuelles imposaient une quatorzaine en isolement. La Réunion est un département français, c’est donc beaucoup plus simple pour s’organiser. Pour rentrer à Lorient en passant par le Cap de Bonne Espérance, les systèmes météo sont plus favorables. Dans les premiers échanges que nous avons avec les Réunionnais, on les sent déjà très enthousiastes pour nous aider et nous accueillir, on va vivre de beaux moments de partage. »
L’escale à Port Réunion au Nord-Ouest de l’île devrait durer quelques jours, après quoi l’équipage reprendra la mer pour environ trois semaines jusqu’à Lorient où il est espéré à la mi-janvier. Un nouveau départ pour le Trophée Jules Verne sera-t-il alors possible cet hiver ? « Non, on ne repartira pas, le bateau aura fait plus qu’un tour du monde en nombre de milles, il a besoin d’être révisé, inspecté sous toutes ses coutures, mais nous allons profiter du retour pour continuer à travailler sur la connaissance et la performance de ce jeune bateau mis à l’eau en Mars 2019 », conclut le team-manager.