Avec le franchissement de l’équateur par Jérémie Beyou (Charal), la totalité de la flotte en course s’étire désormais dans l’Atlantique Sud. Et si Charlie Dalin (Apivia) a conquis un quart de la route et qu’il est en passe de s’affranchir des affres de cet océan pour négocier avec les rudesses d’un autre, l’Indien, dès demain, le reste de la flotte aura aussi vécu la route qui sépare l’Amérique du Sud de l’Afrique du Sud avec la conscience du changement.

Depuis que Jérémie Beyou, invité du Vendée Live ce midi, a fait passer la frontière imaginaire de l’équateur à son Charal, 32 des 33 IMOCA engagés dans ce Vendée Globe ont rejoint l’hémisphère Sud. Seul manque à l’appel CORUM L’Epargne, stoppé au Cap-Vert par un démâtage.

L’hémisphère Sud, c’est une descente aux marches irrégulières, façonnées cette année par des alizés contrariés, des veines de vents erratiques le long des côtes brésiliennes, un anticyclone de Sainte-Hélène d’humeur double, tant et si bien que Charlie Dalin, leader depuis bientôt une semaine, devrait donc aborder le premier des trois caps mythiques du Vendée Globe avec un retard conséquent sur le record non officiel établi par Alex Thomson (HUGO BOSS) en 2016 : 17 jours 22 heures et 58 minutes.

Lundi à l’heure du déjeuner, Charlie Dalin devrait faire croiser à son Apivia la longitude du cap de Bonne-Espérance après plus ou moins 22 jours de course, à quelques heures près, soit un temps légèrement inférieur à celui qu’a mis Armel Le Cléac’h à boucler le même tronçon en 2012.

A un rythme rendu lent par les conditions de vent, le skipper havrais a tout de même déjà effacé un quart de la distance qui le sépare des Sables d’Olonne depuis… le départ des Sables d’Olonne le 8 novembre dernier, à 14h20. Devant l’étrave de son IMOCA, 18 000 milles restaient à parcourir ce dimanche à 15 heures. En théorie, le leader avait déjà parcouru, à la même heure, 6245 milles.

Ce petit trot – l’image est exagérée, bien entendu – n’aura pas épargné les solitaires des problèmes techniques et des coups de chaud. Entre hooks récalcitrants, fuites d’huile issues du vérin de quille (Alan Roura samedi), départs au tas (Benjamin Dutreux), délaminage de foil (à bâbord chez Thomas Ruyant), réparations structures (Charal en début de course, Alex Thomson le long de l’Amérique du Sud, Bureau Vallée un peu plus tard) et casses techniques irréparables (le safran tribord d’Alex Thomson vendredi, condamné au renoncement), le Vendée Globe n’aura pas épargné la flotte.

Et pourtant, depuis trois jours pour les leaders, deux jours pour le gruppetto et bientôt pour le troisième groupe, c’est une toute autre aventure qui s’ouvre sitôt que les bateaux mettent la barre à l’Est avec, dans le viseur, le cap de Bonne-Espérance.

12e, Benjamin Dutreux (OMIA – Water Family) résumait bien le sentiment général : « C’est fini les vacances ! Enfin là, c’est un peu ambiance ‘vacances à la neige’. Il fait plus frais, il fait une petite dizaine de degrés. J’ai attaqué fort au début et petit à petit, j’essaye d’être un peu plus raisonnable, de lever un peu le pied de l’accélérateur. On touche des premiers bouts de dépressions. J’essaye d’écouter le bateau pour savoir jusqu’où je peux le pousser. J’essaye de garder mes affaires au sec, de trouver des solutions pour dormir, j’ai ressorti le duvet. J’essaye de m’adapter ».
La navigatrice britannique Pip Hare (Medallia), 24e de la flotte, n’y est pas encore, dans ce fameux Sud, mais elle s’y prépare psychologiquement et tactiquement : « Nous venons d’entrer dans la quatrième semaine de course et cette semaine, je vais faire un saut dans l’inconnu. Quand je tournerai à gauche et que je me dirigerai vers l’Est et vers l’océan austral, je rentrerai dans l’inconnu. C’est nouveau pour moi et je suis nerveuse. La route vers le Sud est loin d’être simple et chaque jour, j’ai observé avec intérêt les trajectoires de l’avant de la flotte ».

Porté par la clarté de la pleine lune sur l’Atlantique, Maxime Sorel (V and B – Mayenne) a partagé ses états d’âme dans un long, et charmant, écrit : « Moi qui, à terre, passe mon temps à courir après le temps en me disant que 24 heures, c’est un peu court pour une journée, là je dois faire face à ce que je fuis le plus à terre alors que je suis confiné dans une boîte en carbone que l’on secoue en permanence, seul à des milliers de kilomètres au milieu des océans ! (…) là, seul à bord, seul face à moi-même, sans aucune possibilité de m’évader l’esprit (du moins beaucoup plus difficilement qu’à terre), quand quelque chose m’obnubile, je suis obligé d’y faire face. A ce moment-là, plus de tricheries, plus de concessions. Pas d’autre choix que de t’affronter toi-même. (…) Le confinement (…) nous offre la possibilité d’un voyage intérieur qui ne nous coûtera pas un centime et qui vaudra spirituellement bien plus que n’importe quel voyage. Je le découvre ainsi : le parcours du Vendée Globe, c’est finalement quatre caps et pas trois ».

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