Premiers frimas
Alors que la première dépression australe pousse certains puissamment vers le cap de Bonne-Espérance, d’autres pataugent encore dans les métastases d’un anticyclone de Sainte-Hélène fort peu coopératif. Charlie Dalin mène toujours le bal, mais Louis Burton et Sam Davies ont été les premiers à toucher le vent nouveau portant… Les écarts qui étaient d’une centaine de milles au passage de l’équateur ont tout de même grimpé à plus de 500 milles en une semaine !
C’est parti ! Du moins pour certains et cette journée d’avant le dernier week-end de novembre, s’annonce capitale pour la suite de la course. Même si les leaders n’ont parcouru qu’un peu plus d’un cinquième des 24 296 milles orthodromiques (milles sur la route la plus directe) de ce neuvième Vendée Globe…
Bref, d’un côté, ça « allume » fort à près de vingt nœuds de moyenne, de l’autre ça virevolte dans les méandres sirupeux des hautes pressions de l’Atlantique Sud. Mais surtout, le différentiel Celsius est conséquent : quand le dernier de la flotte, Jérémie Beyou (Charal), suffoque encore dans un pot au noir collant et visqueux avec plus de 30°C à l’ombre, le leader Charlie Dalin (Apivia) s’emmitoufle de polaires et cagoule pour supporter les premiers frimas des Quarantièmes Rugissants : à peine 10°C au cœur de cette nuit et bientôt 3°C aux abords des Kerguelen…
Des signes qui ne trompent pas
Les premiers indicateurs de ce changement de temps (mais aussi de monde), ce sont les oiseaux. Quelques albatros fendent les airs au loin, puis viennent les pétrels, les puffins et les sternes lorsque les terres australes approchent (en Atlantique Sud, les îles Nightingale, Inaccessible, Gough, Tristan da Cunha)… Le ciel n’est déjà plus le même : les lumières sont plus perçantes et les étoiles plus brillantes, quand la mer prend des nuances plus sombres et moins dociles. C’est le Sud !
Le mot est jeté : les Quarantièmes sont là et pour un bout de temps encore… Jusqu’à la sortie, au bout du bout de la terre, à la pointe de l’Amérique du Sud, dans ce détroit qui porte le nom du corsaire de Sa Majesté la Reine Élisabeth 1ère, Francis Drake ! A quelques 12 000 milles de l’étrave du leader, Charlie Dalin. Car le skipper d’Apivia est désormais largement en tête d’un peloton qui s’étire sur plus de 1 000 milles jusqu’au 19e, Stéphane Le Diraison (Time for Oceans) !
Certes, le code a changé : les cellules anticycloniques qui ont rondement freiné la progression de plus de la moitié de la flotte depuis le cap Frio (pointe Sud-Est du Brésil), phagocytent encore quelques solitaires, à l’image de Thomas Ruyant (LinkedOut), certes handicapé par son foil bâbord, mais aussi dans une moindre mesure, de Jean Le Cam (Yes We Cam!), « dernier des premiers » à avoir plongé vers les latitudes australes…
La solution passerait-elle par l’Ouest ?
Car il y a trois jours déjà, Louis Burton (Bureau Vallée 2) était l’ouvreur de la voie méridionale, le premier à piquer vers le Sud pour tenter de contourner la « pieuvre anticyclonique ». Suivi quelques heures plus tard par Samantha Davies (Initiative Cœur), entraînant le revirement de certains qui suivaient les traces des leaders, et le détournement de leurs poursuivants qui comprenaient rapidement que la « cuillère australe », cette grande et longue courbe pour atteindre les abords des Quarantièmes avant de tourner l’étrave vers l’océan Indien, était nettement plus favorable. Une sorte de route inspirée par les navires d’antan, quand le sextant permettait de se positionner avant le GPS satellitaire, quand les Pilot Charts inspiraient encore les navigateurs…
Mais qui donc va s’en sortir le mieux ? Les plus méridionaux très certainement ! Car si une dépression argentine vient (enfin !) bouleverser ce marasme éolien qui a bloqué la tête de la flotte depuis une petite semaine, le temps de pousser ce vaste plateau de hautes pressions vers l’Afrique est loin d’être compté : seuls les plus en pointe vont pouvoir devancer ce front pendant quelques jours : Sam Davies et Louis Burton, peut-être Alex Thomson, probablement Sébastien Simon avec quelques heures de décalage, et le trio Herrmann-Escoffier-Bestaven avec une petite demi-journée de delta…
Dans l’attente d’une nouvelle dépression…
Pour les autres (Dutreux-Pedote-Seguin, et encore plus loin, Joschke, Sorel, Attanasio, Roura, Crémer), c’est une autre perturbation qui pourrait les porter… mais seulement à partir de la fin du week-end ! Quant à Thomas Ruyant empêtré dans les reliquats de l’anticyclone, il devrait voir le leader s’échapper (déjà 200 milles de débours) et ses poursuivants revenir du diable Vauvert alors que Jean Le Cam risque fort de se repositionner devant une armada filant « carène en mer », vers l’océan Indien.
Il faudra certes attendre la fin du week-end pour apprécier ce changement de tempo, mais avant même le passage du premier à la longitude du cap de Bonne-Espérance, ce sont des milliers de milles qui vont séparer le leader, du groupe des « Brésiliens » emmené par Amedeo, Barrier et Merron ! L’Atlantique Nord a créé des fissures, l’Atlantique Sud a initié des fractures…