Le succès de la Rolex Fastnet Race en France
Au-delà de la longue et étroite « entente cordiale » entre le Royal Ocean Racing Club (RORC) du Royaume-Uni et l’Union Nationale pour la Course au Large (UNCL), les équipes françaises ont toujours adoré se mesurer aux Anglais dans les courses à la voile. Dans aucune autre compétition, ce plaisir n’a été aussi évident que dans la Rolex Fastnet Race, qui a si bien réussi aux équipes françaises ces dernières années.
Toujours spectaculaire.
Connue à l’origine sous le nom de « The Ocean Race », la Fastnet Race a été organisée pour la première fois en 1925, inspirée par une autre course au large de 600 miles, la Newport-Bermudes. Peu après sa première édition, l’Ocean Race a conduit à la création du RORC. Elle a été organisée chaque année jusqu’en 1931, date à laquelle elle est passée à son format biennal actuel.
Ce n’est qu’en 1928 que la course a connu son premier engagé tricolore – le cotre L’Oiseau Bleu, propriété de Léon Diot, mais la France avait déjà inscrit sa marque puisque c’est Joli Brise qui remporte la première édition. Ce cotre, construit en 1913 par le chantier Albert Paumelle, était un bateau de travail mais sa carrière a pris fin avec l’avènement de la vapeur. C’est le Britannique Georges Martin qui le rachète en 1923 et l’aménage en yacht privé. À son bord, Martin ne se contente pas de remporter la première course océanique puisqu’il s’imposera à nouveau en 1929 et 1930. Aujourd’hui encore, Joli Brise reste le seul bateau à avoir signé un tel triplé.
C’est en 1965 qu’un bateau français s’impose pour la première fois de l’histoire de la course. Il s’agit du Sangermani Gitana IV du Baron Edmond de Rothschild, long de 28 m, qui a établi un temps de 3 jours 9 heures et 40 minutes. Ce record – qui a tenu 19 ans – fait partie de l’héritage laissé par le banquier franco-suisse. L’année dernière, le trimaran Ultime Edmond de Rothschild (Gitana 17), long de 32 mètres, skippé par Franck Cammas et Charles Caudrelier, s’est imposé avec un nouveau record de course en 1 jour et 4 heures.
Les grandes heures de Tabarly
Ce n’est qu’en 1967 que la course a véritablement connu son premier vainqueur français en temps compensé. Il s’agissait inévitablement du grand Eric Tabarly, à bord de Pen Duick III, la goélette de 17,45 m de long qu’il avait conçue. Fait remarquable, cette même année, le célèbre officier de marine français a également remporté les courses Round Gotland et Sydney Hobart.
30 ans plus tard, à 66 ans, Tabarly est revenu participer à la Fastnet Race, à bord d’un plan tout aussi novateur, l’Aquitaine Innovation d’Yves Parlier (le premier monocoque à mât-aile soutenu par des outriggers, etc), remportant la classe Open 60 de la course. Parlier et Tabarly ont répété cette performance plus tard dans l’année, lors de la Transat Jacques Vabre. Malheureusement, ce sera la dernière course du marin français. L’année suivante, il disparaît en mer lors d’un convoyage.
La Fastnet Race a acquis sa réputation internationale au cours des années 1970 et 1980. C’était en partie pour une tragédie. Le troisième jour de la course de 1979, la flotte de plus de 300 bateaux a été prise dans une tempête qui s’est avérée bien pire qu’annoncée. Le bilan fut terrible avec 19 morts, dont quatre sauveteurs. Cela reste aujourd’hui encore la plus grande mission de sauvetage jamais organisée en temps de paix.
Pendant cette période, la course a également constitué l’ultime étape de l’une des plus grandes compétitions de voile internationale : l’Admiral’s Cup. Cette compétition nationale par équipes de trois bateaux était le championnat du monde non officiel de course au large et avait déjà des liens étroits avec la France par l’intermédiaire de son sponsor de longue date, Champagne Mumm. En 1991, alors que les équipes italienne et danoise étaient favorites, l’équipe française a remporté la victoire grâce à sa performance exceptionnelle dans le Fastnet Race. Ayant pris le départ de cette dernière course de l’Admiral’s Cup à la quatrième place au classement général, leur Corum Saphir de 50 pieds était confortablement installé à la première place tandis que leur Corum Diamant One Tonner a fait exploser la flotte en terminant parmi les Two Tonners, pourtant plus imposants. L’équipe française a ainsi remporté sa première et unique victoire dans l’Admiral’s Cup, et ce par la plus petite des marges, 138,75 points, contre 138,13 pour l’équipe italienne, deuxième.
Vêtue de son uniforme jaune et blanc, l’équipe française Corum, dirigée par Luc Gellusseau, était très en avance sur son temps, ressemblant à une équipe de voile professionnelle des temps modernes. Elle a bénéficié de la présence dans son équipe de certains des navigateurs de course au large les plus talentueux du monde, tels que Jean-Yves Bernot et Marcel van Triest, ainsi que de coureurs de haut niveau comme Bertrand Pacé, Pierre Mas, Luc Pillot ou encore Marc Bouet.
Chabaud, première femme victorieuse
Après Tabarly, il a fallu attendre 1999 pour voir une nouvelle victoire française au classement général. C’est Catherine Chabaud, deux Vendée Globe à son actif, qui s’est imposé à bord de son IMOCA Whirlpool – Europe 2. Aujourd’hui, les IMOCA 60 (et d’autres classes telles que les Ultimes et les Class40) concourent en dehors de la flotte principale de handicap, mais ce n’était pas le cas en 1999 – le premier Fastnet à être organisé dans le cadre du RORC et de la nouvelle règle de jauge de l’UNCL, l’IRC. Chabaud a gagné avec un équipage réduit composé notamment du futur vainqueur de la Route du Rhum, Lionel Lemonchois. Chabaud reste la première et, à ce jour, le seule femme à avoir remporté la course au classement général.
En 2019, Chabaud est revenue à Cowes à bord du Cigare Rouge, le mince yawl Open 60, à bord duquel elle avait fait son tout premier Vendée Globe. Pour la Rolex Fastnet Race, elle était à bord avec son fils et son mari, Jean-Marie Patier, qui avait été chargé de remettre le bateau en état et de le faire courir en solitaire à travers l’Atlantique lors de la Route du Rhum 2018.
Les vainqueurs de la Rolex Fastnet Race ne sont pas toujours des professionnels célèbres à bord des bateaux les plus rapides de l’événement. En 2005, la météo a fait de cette édition une « course de petits bateaux » et ce fut le tour du Nicholson 33, Iromiguy, couru par le médecin de Saint-Malo, Jean-Yves Chateau. Il s’agissait de sa quatrième participation. L’Iromiguy, 30 ans, que Chateau avait acheté 20 ans plus tôt, était également l’un des bateaux les moins chers de la course – son skipper a plaisanté en disant que ses voiles valaient plus que le bateau. Cependant, parmi son équipage amateur, beaucoup avaient évolué au plus haut niveau en match racing ou encore au Tour de France à la Voile.
Au cours des deux dernières décennies, les grandes flottes professionnelles françaises ont été attirées par la Rolex Fastnet Race en nombre toujours plus important, car il s’agit d’un événement simple et peu coûteux – la plupart des participants se présentent au départ et repartent à l’arrivée sans jamais toucher terre ! Il est cependant peu probable que ça soit le cas en 2021 avec une arrivée à Cherbourg !
Au cours de cette période, ces classes ont été séparées de la flotte principale de l’IRC et ont attiré la plupart des meilleurs navigateurs français. En 1999, Loïck Peyron, sur son trimaran ORMA 60, Fujicolor, a établi un nouveau record de course de seulement 1 jour 16 heures et 27 minutes. Puis en 2011, quelques mois avant qu’il n’établisse un nouveau Trophée Jules Verne pour le tour du monde à la voile sans escale, Peyron est revenu cette fois à bord du trimaran géant Banque Populaire V de 40 m de long, réduisant le temps de référence à seulement 1 jour, 8 heures et 48 minutes. Ce bateau a ensuite été vendu à Yann Guichard et Dona Bertarelli, rebaptisé Spindrift 2 et a répété son succès en 2013 et 2015. Le record de Peyron a finalement été battu par l’Ultime Edmond de Rothschild en 2019.
Alors que les multicoques avaient eu déjà leur propre classe les IMOCA du Vendée Globe ont pris leur propre départ en 2005 lorsqu’ils ont été remportés par Virbac-Paprec de Jean-Pierre Dick devant Cheminées Poujoulat de Bernard Stamm. Les Class40 sont rentrés dans la course en 2009 avec une édition remportée par Initiatives Saveurs – Novedia de Tanguy de Lamotte, également vainqueur en 2011. Aujourd’hui, c’est toujours le cas et en 2019, Jérémie Beyou et Christopher Pratt ont remporté la classe IMOCA 60 à bord de Charal et le Franco-Britannique Luke Berry sur Lamotte-Module Création a remporté le prix Class40. La Rolex Fastnet Race fait désormais partie du calendrier officiel des deux classes.
Les Français reçus 9 sur 10
Les victoires françaises dans les classes « françaises » sont attendues mais c’est aussi dans la catégorie IRC que les bleus brillent aujourd’hui, même dans des flottes de plus de 300 bateaux. (la Rolex Fastnet Race est de loin la plus grande course de yacht au large du monde). En 2009, il y avait sept classes principales IRC en dehors du grand prix général IRC, dont les bateaux français ont remporté trois. Lors de la dernière Rolex Fastnet Race en 2019, les bateaux français ont remporté cinq des six prix de la classe IRC qui n’ont pas été attribués au prix général – bien que ce prix ait été attribué à un bateau français (à l’origine le vainqueur de la Volvo Ocean Race de Franck Cammas, Groupama 4, maintenant le Wizard des Américains David et Peter Askew). Si l’on ajoute à cela les quatre classes non IRC, les bateaux français ont remporté neuf des dix prix principaux de la course, ce qui est énorme.
Si les compétences dans la Rolex Fastnet Race sont indispensables pour s’imposer dans sa classe, remporter le classement overall demande aussi une navigation parfaite ainsi qu’un peu de réussite côté météo. Compte tenu du succès de la France dans le premier cas, les bateaux français ont remporté les Rolex Fastnet Races au classement général en 2013, 2015 et 2017. C’est la première fois qu’une nation s’assure trois victoires consécutives depuis les Britanniques dans les années 1950.
Les Loison dans l’histoire
Et quels vainqueurs ! La course a commencé en 2013 lorsque le Cherbourgeois Pascal Loison et son fils Alexis, navigateur en Figaro, à bord de leur JPK 10.10 Night and Day, sont devenus le premier et le seul équipage en double à remporter la course, battant tous les bateaux en équipage. Alexis a maintenant remporté la classe IRC en double à quatre reprises, dont trois avec son père et, en 2019, avec Jean Pierre Kelbert à bord du nouveau JPK 10.30 Léon.
Trentesaux, le fidèle du Fastnet
La course de 2015 a été remportée par l’un des plus grands navigateurs amateurs français, bien qu’ancien figariste et membre de l’équipe victorieuse de l’Admirals Cup. Géry Trentesaux a participé à sa première Fastnet Race en 1977 et a finalement remporté la course lors de sa 13ème tentative. La course à bord de son JPK 10.80 Courrier Du Leon a été exceptionnelle, puisqu’il a remporté l’IRC 3, mais sur l’eau, Courrier Du Leon a terminé devant tous les bateaux IRC 2, plus grands et soi-disant plus rapides. Au classement général, il a battu le JPK 10.80 d’Arnaud Delamare et d’Eric Mordret, deuxième, Dream Pearls, d’une avance substantielle de 2 heures 20 minutes. Trentesaux a remporté cette course alors qu’il avait raté son départ. Il avait en effet passé la ligne en avance et perdu 40 minutes pour réparer son erreur.
Le véritable hold up français a été réalisé en 2017 par Didier Gaudoux sur son JND39 Lann Ael 2. Par rapport aux deux précédents vainqueurs français, Didier Gaudoux n’avait pas l’expérience de la voile des cadors que sont les Loison et Trentesaux. Il a pris le temps de quitter son poste de directeur d’une société de capital-investissement parisienne pour faire la course. Cependant, avec lui à bord, en plus de son fils et de sa fille, se trouvait Fred Duthil, figariste renommé et vainqueur de la troisième étape de la Solitaire du Figaro de cette année.
La Rolex Fastnet Race a été très suivie à tel point que les inscriptions sont généralement complètes en moins de 5 minutes, comme pour un concert des Rolling Stones. Avec l’arrivée à Cherbourg en 2021, la limite de la flotte a été relevée, mais cela n’empêchera pas la ruée pour obtenir une place à l’ouverture des inscriptions le mardi 12 janvier 2021 à 10h00 UTC.
Alors que l’arrivée se jouera pour la première fois à Cherbourg, les équipes françaises sont plus que jamais prête pour défendre leur emprise sur cette course britannique.