Tout faire pour éviter les collisions avec les baleines
À bord de Newrest – Art & Fenêtres, Fabrice Amedeo disposera de deux systèmes, OSCAR et Whale Shield, destinés à éviter les collisions avec les OFNI (objets flottants non identifiés) et avec les cétacés. Des avancées technologiques pleines de promesses, mais aussi un saut dans l’inconnu car rien ne garantit aujourd’hui qu’ils fonctionnent. Pour en savoir plus, le skipper a fait appel à Olivier Adam, bio-acousticien spécialiste des émissions sonores des cétacés.
Il s’agit d’une inquiétude majeure chez tous les skippers qui s’apprêtent à parcourir les mers du globe. Dans le jargon, on les appelle les OFNI, les objets flottants non-identifiés, responsables de nombreux abandons dans l’histoire de la course au large. Ils peuvent être des bouées égarées, des billes de bois, des conteneurs mais aussi et dans la plupart des cas : des cétacés. « Il y a une vraie omerta sur le sujet, explique Fabrice Amedeo. Les chocs avec les cétacés sont malheureusement fréquents et, à chaque fois, les marins invoquent un choc avec un OFNI pour des raisons d’image. Nous ne voulons pas passer pour des tueurs de baleines. Je pense au contraire qu’il faut en parler car si 30 IMOCA lancés autour du monde n’échappent pas à des chocs avec des cétacés, qu’en est-il de la flotte de commerce mondiale ? ».
Pour faire face à cette menace pour leurs bateaux et pour l’environnement, les marins de la classe IMOCA sont de plus en plus nombreux à s’équiper. « C’est une bonne initiative, commente Catherine Chabaud, première femme à avoir bouclé le Vendée Globe et aujourd’hui députée européen. Le sujet des filets de pêche et de la protection des dauphins est une préoccupation de la commission européenne et notamment du commissaire européen à l’Environnement, Virginijus Sinkevičius, qui a lancé un groupe de travail auquel je participe. Pour les cétacés, le sujet est également très important et la course au large a un rôle à jouer en termes d’exemplarité mais aussi dans la recherche de solutions innovantes qui pourraient ensuite être déployées sur les navires de commerce. J’avais lancé un groupe de travail sur le sujet avec des skippers au ministère de l’écologie après le dernier Vendée Globe, et c’est une réelle satisfaction de voir que les marins prennent le sujet à bras le corps aujourd’hui et vont plus loin ».
OSCAR, une portée de détection de 600 mètres
L’une des solutions développées récemment pour se protéger des OFNI est le système OSCAR : un boitier rectangulaire placé en tête de mât. Il est composé de deux caméras, une qui identifie les formes en surface et l’autre thermique, qui identifie les contrastes de températures. Elle pourrait donc détecter le corps chaud d’un mammifère marin. Sa portée de détection s’étend jusqu’à 600 mètres. « Si OSCAR détecte un animal ou un objet à la surface de l’eau, sur la route du bateau, une alarme se déclenche instantanément, explique Fabrice. C’est un outil relativement récent qui compte beaucoup sur l’acquisition de données. En somme, plus il y a de bateaux équipés, plus il sera performant ». La moitié de la flotte au départ du Vendée Globe en est équipée.
« De tels systèmes de caméras thermiques avaient déjà été développés et testés sur des éditions précédentes du Vendée Globe, à l’instar de Marc Guillemot qui avait travaillé sur le sujet avec Safran, explique Catherine Chabaud. Mais jamais autant d’ambition n’avait été mise dans un projet anti-collision et surtout avec autant de skippers ».
Whale Shield, pour écarter les cétacés à proximité
A l’initiative d’Alex Thomson en début d’année, une deuxième solution a été proposée aux skippers : le Whale Shield. Il s’agit d’un pinger installé à l’avant du bulbe de quille, à 4,50 mètres de profondeur, qui émet un ultra-son supposé écarter les cétacés. Ce système a été développé par une société australienne, Future Oceans, afin d’équiper les filets de pêche pour éviter que les dauphins ne se retrouvent coincés. Cinq bateaux en sont équipés au départ du Vendée Globe. Des questions se posent sur l’efficacité de ce nouveau système qui a besoin de retours d’expériences, et sur la pertinence de le mettre en marche ou pas et dans quelles conditions.
Une démarche constructive
Fabrice ne s’est pas contenté d’installer ces deux technologies sur son IMOCA. « Il y a toujours un doute de savoir si ces systèmes fonctionnent réellement, explique-t-il. Tant que nous n’avons pas d’accident, on se dit que ça marche peut-être et le jour où l’on aura un accident, on se dira que ça ne marchait pas ». Afin d’en savoir plus sur la pertinence et l’efficacité du Whale Shield, le skipper a fait appel à Olivier Adam, bio-acousticien, Professeur à l’Université de la Sorbonne, spécialiste des émissions sonores des cétacés.
Selon le spécialiste, si un navire a une « signature acoustique forte », autrement dit : fait du bruit quand il passe dans l’océan, il n’est pas insensé d’ajouter du bruit pour faire fuir les cétacés sur sa trajectoire. En revanche, s’il a une « signature acoustique faible », autrement dit s’il est quasiment furtif, mieux vaut ne pas donner d’indications aux cétacés sur la présence du bateau.
Pour en avoir le cœur net, Fabrice Amedeo et Olivier Adam ont procédé à une série d’enregistrements du monocoque Newrest – Art & Fenêtres au moyen d’un hydrophone. « Olivier a été surpris que l’IMOCA fasse si peu de bruit en navigation, décrypte Fabrice. Le résultat de cet enregistrement est toutefois à relativiser : le bateau avançait à une vitesse moyenne sur mer plate ». Le bio-acousticien poursuit : « C’est plutôt une bonne nouvelle parce que c’est un indicateur de performance, d’abord, et parce que le bateau de Fabrice ne devrait pas attirer les cétacés puisque très silencieux et considéré comme furtif dans ces conditions de mer plate et vent moyen ». Et s’interroge : « un doute sur la génération acoustique persiste, notamment sur les différences qu’il pourrait y avoir entre les catégories de bateaux et selon l’état de la mer et les conditions météorologiques. Il serait intéressant de refaire des enregistrements acoustiques pour tenter de mettre en évidence des sons spécifiques (sifflements, frappes de la coque dans les vagues, transmission du bruit du mât à travers la coque) qui pourraient attirer les cétacés. »
Selon Olivier Adam, il y a 89 espèces de cétacés qui ont toutes des réactions différentes : certaines vont s’éloigner des bateaux, d’autres vont s’approcher et interagir comme les dauphins. « Quand un supertanker ou un ferry percute une baleine, la version officielle est que c’est un accident. Ça peut arriver évidemment… Mais si on va un peu plus loin sur des études de comportement, on s’aperçoit qu’il y a notamment quatre espèces, les cachalots, les baleines à bosses, le rorqual commun et éventuellement la baleine bleue, qui sont particulièrement imposantes, peu manœuvrantes, qui n’ont pas peur de venir à proximité des bateaux et sont curieuses de voir ce qu’il se passe à la surface », explique-t-il. C’est un vrai sujet sur lequel les scientifiques travaillent depuis les vingt dernières années. En course au large, il s’agit de comprendre comment se passent les collisions avec des bateaux potentiellement silencieux et furtifs. Fabrice a cette démarche constructive, il comprend la mer, les problématiques sur l’environnement, donc je trouve que c’est réellement très intéressant. »