La 9ème édition du Vendée Globe qui partira dimanche 8 novembre prochain des Sables d’Olonne, à 13 heures 02, a déjà un pied dans la grande histoire de la course au large. Elle mettra en effet en scène un nombre record de 33 navigateurs et navigatrices solitaires à bord de montures aux profils diamétralement différents. 19 voiliers partiront en effet équipés de ces fameux foils, ces appendices mobiles fixés sur chaque bord, et qui viennent sustenter la coque centrale, jouant, à des degrés divers, un peu le rôle des flotteurs sur les trimarans.

Pour 8 de ces foilers de la toute dernière génération, dont LinkedOut de Thomas Ruyant, la bascule dans une toute autre dimension de la navigation à voile est radicale, extrême et, n’ayons pas peur des mots, révolutionnaire. Au delà de l’aspect visuel éminemment spectaculaire de ces monocoques navigants au dessus des flots, appuyés sur leurs immenses ailes, les performances déjà réalisées sont tout simplement époustouflantes, et les écarts dès les premières heures de course avec les voiliers plus « traditionnels » seront impressionnants, rédhibitoires au point de scinder la flotte en deux, voire en trois championnats.

Mais pour parvenir à ces ébouriffants résultats, c’est bien toute l’appréhension de la manière de naviguer au large et au plus haut niveau qui a été réinventé. De l’ergonomie extrême d’un Hugo Boss et son cockpit fermé, aux formes futuristes des coques et carènes, avec une informatisation poussée des systèmes, c’est aussi le « moteur » des voiliers, leur plan de voilure qu’il a fallu profondément repenser, pour harmoniser l’aérien au maritime, au point de modifier de manière révolutionnaire non seulement la manière de mener les bateaux, mais leurs trajectoires et leur rapport aux éléments.

Révolution !

Confronté à l’énorme potentiel de sa nouvelle carène et à la puissance de ses appendices, Thomas Ruyant est rapidement parvenu à la conclusion que les plans de voilure traditionnellement étudiés pour les Imoca ne convenaient plus aux exigences de son plan Verdier.

« Cela fait partie des retours d’expérience que j’ai eues avec Antoine Koch et Laurent Bourguès » explique le skipper du voilier de la course au changement. « Après avoir beaucoup navigué, notamment sur Malizia de Boris Herrmann lors de la Transat Jacques Vabre en 2017, j’ai constaté combien les bateaux avaient fortement évolué, non seulement leur plateforme mais aussi les foils. Pourtant, les jeux de voiles restaient un peu figés. On ne les avait pas fait évoluer au même rythme. Alors qu’on a, à présent, des voiliers qui naviguent comme les trimarans, avec énormément de vent apparent, des bateaux qui créent leur propre vent, il convenait de se pencher sérieusement sur la question. C’est ce que j’ai fait en parallèle de la construction du bateau avec Antoine Koch. La combinaison foils-jeu de voiles de multicoque constitue une véritable révolution en soi. »

Des voiles plus plates, mais aussi plus… petites !

« Nos voiles sont très différentes de celles des autres. On voit que les V2 de nos adversaires se rapprochent de nos choix. Nous disposons sur LinkedOut d’un jeu de voiles qui se rapproche fortement d’un jeu de voiles de multicoque, des voiles plus plates et plus petites. Dans 15 noeuds de vent, on navigue déjà à plus de 20 noeuds, au lieu de 13 ou 15 sur un Imoca ancienne génération. Le vent apparent* prend plus de place dans notre fonctionnement. Les bateaux sont plus exigeants au réglage, mais une fois les hautes vitesses atteintes, on ne peut plus s’arrêter. Il nous faut un jeu de voile plus pointu, plus précis, et en l’occurrence plus plat et plus petit car il n’y a plus besoin de toujours plus de puissance. On en crée suffisamment. On se rend compte qu’une même voile peut couvrir plus d’angles ! A 80° du vent à 20-25 noeuds, si on abat de 20 à 30 degrés, on n’a plus besoin de choquer la voile d’avant, le bateau continue d’accélérer et on n’a pas besoin de modifier les réglages. En mode foiler, on navigue à présent avec des voiles plus petites et plus plates, pour une utilisation efficace plus longtemps, et avec de plus grandes variations d’angle de vent. »

Des voiles plus polyvalentes… et une gîte calculée.

« Sur LinkedOut, je conserve à bord un spi de 380 m2 qui va me servir dans moins de 15 noeuds de vent et sur des allures très abattues, à 145° du vent, en VMG*. Mais à 15 noeuds de vent, je vais affaler mon spi au profit d’une voile beaucoup plus petite, pour aller chercher des angles complètement différents. On n’a plus besoin de grands gennakers. Après mon spi, ma plus grande voile ne fait que 240 m2. On passe du mode archimédien sous spi au mode foiler en lofant de 140° du vent à 130°, et le bateau va accélérer, « debout » sur ses foils, avec des angles beaucoup plus fermés. Une fois que le bateau démarre, il crée son vent et demande des régulations précises pour sa gite, afin de garder un maximum de surface de foils à plat. Il me faut 15° de gîte pour bien avancer. »

Des options plus tranchées et un Atlantique déterminant.

« LinkedOut accélère fort sur ses foils, avec des angles plus fermés. En termes de navigation en course, on va pouvoir demeurer dans des systèmes météos plus longtemps. C’est pourquoi la première partie de course en Atlantique Nord puis Sud, sera déterminante. Le premier concurrent à toucher les grandes dépressions des mers du Sud sera en position pour créer de grands écarts. Dans cette édition du Vendée Globe, il va falloir entrer tout de suite dans le vif du sujet pour arriver bien placé dans le Sud. Car la sanction sera terrible si on n’est pas dans le même système météo que les leaders. »

*Vent réel, vent apparent et vent de vitesse

Le vent que l’on perçoit sur un bateau s’appelle le vent apparent. Celui que l’on ressent à terre est le vent réel. Lorsque vous êtes à vélo et que vous pédalez, le vent que vous ressentez sur votre visage est le vent apparent. De la même manière, lorsqu’en voiture vous passez votre main par la fenêtre, il s’agit encore une fois du vent apparent. En bateau, il se traduit par le vent que vous ressentez lorsque vous naviguez. En avançant, le bateau crée son propre vent, comme en voiture ou en vélo ; c’est ce que l’on appelle le vent de vitesse.

*La VMG se traduit par « Velocity Made Good ». C’est la vitesse dans le lit du vent.

Une carène futuriste signée Verdier

«Une nouvelle ère a débuté avec ces nouveaux foïlers qui révolutionnent véritablement la manière d’appréhender la navigation en monocoque. » Thomas Ruyant évolue désormais dans une toute nouvelle dimension, jamais jusqu’alors appréhendé par les marins de course au large. Son prototype Imoca LinkedOut s’inscrit dans la vision futuriste de machines destinées à échapper le plus souvent possible à la trainée et à l’élément liquide, en appui sur d’immenses foïls. La genèse du projet a pris racine voici deux ans avec l’opportunité proposée par l’architecte Guillaume Verdier d’utiliser et de profiter des études poussées réalisées par son cabinet en réponse à l’appel d’offre lancé par la Classe Volvo pour la création d’un Open Sixty. « Fort intelligemment, Guillaume a adapté ses plans et ses études à nos désirs d’Imoca » explique Laurent Bourguès, directeur de projet chez TR Racing et vieux complice de Thomas.  » Nous avons pu profiter des moules pour lancer dès octobre 2018 la stratification de la coque. Nos réflexions par rapport au projet Open Sixty ont porté sur une modification de la forme de la carène à l’avant du bateau et sur l’abaissement du centre de gravité du voilier pour plus de stabilité, d’où ce pont en forme d’aile de mouette, ou de bassine. »

Le résultat est un foïler véritable, et non pas un Imoca à foïls, comme les voiliers apparus depuis 2015. « On a créé un bateau fougueux et oui, violent ! » avoue Ruyant.

Lignes tendues, centre de gravité rabaissé, plan de voilure reculé et typé « multicoque », bas de franc bord avec ce pont « en bassine », LinkedOut ne présente pourtant pas la carène la plus extrême. « Le bateau est innovant sur de nombreux aspects et tout n’est pas issu de Guillaume Verdier. Il y a eu aussi un gros travail de notre bureau d’études, qui a apporté son vécu propre et son expérience, combinés à mes envies. » poursuit Thomas.

« Je souhaite encore voir la mer quand je navigue et je n’ai pas opté pour un cockpit totalement fermé. J’ai préféré ajouter un hublot qui me permet d’observer l’avant du bateau tout en effectuant mes manoeuvres. » Les manoeuvres, un des mots clé dans la réflexion sophistiquée du skipper nordiste.

« Ces bateaux sont terriblement exigeants, et nous avons beaucoup réfléchi à comment nous faciliter le travail, en ramenant toutes les manoeuvres vers une colonne centrale par exemple. Ceci limite également les frictions et donc l’usure du matériel. »

Carène moins extrême, robustesse des systèmes, ergonomie pensée pour Thomas, avec ce poste de veille « dos à la route », c’est bien du côté des foïls et du plan de voilure que TR Racing a joué la carte des choix les plus extrêmes.

« Nous avons musclé la coque, en renforçant les zones autour des foils, et en optant pour ce pont en bassine qui apporte de la rigidité. Cela nous autorise à voir plus grand en matière de foils qui sont vraiment immenses. » Et cette orientation a été indissociable d’une profonde réflexion menée conjointement avec Antoine Koch autour du plan de voilure. « Celui-ci est très reculé. » explique Thomas. « Il est surtout très inspiré des multicoques, puisque nous allons naviguer à des vitesses proches de celles des voiliers à plusieurs coques. Nos outriggers limitent habituellement le réglage de nos voiles d’avant. Nous les avons voulu plus petites et plus plates, mieux adaptées aux angles que nous serons amenés à choisir en appui sur nos foils… »

Thomas Ruyant, un marin en Nord

Thomas Ruyant avance à pas comptés et mesurés dans une carrière de navigateur pourtant souvent faite de creux et de bosses. A l’enthousiasme et à l’inépuisable débauche d’énergie de ses premières navigations, l’entrepreneur – skipper de 39 ans a allié la réflexion, l’astuce et le discernement, pour construire en une démarche toute personnelle un projet en capacité de jouer la victoire dans la plus belle, la plus majuscule des courses à la voile, le Vendée Globe. Souvenons-nous ; le 21 décembre 2016, il mettait un terme, contraint et forcé, à sa première expérience sur ce tour du monde en solitaire, sans escale ni assistance, amarrant en Nouvelle Zélande son « Souffle du Nord » démantibulé, fracassé par un OFNI, mais héroïquement sauvé et ramené à bon port.

Une victoire plus tard, dans la transat en double AG2R La Mondiale aux côtés d’Adrien Hardy, Thomas posait avec un bel entêtement les jalons du seul projet tangible à ses yeux, celui de la construction d’une machine capable de l’aider à revenir sur cette épreuve majuscule avec des prétentions crédibles à la victoire. Un pari culotté car « je n’ai pas de plan B » affirmait-t’il alors. Point d’échappatoire, mais une vraie recette, celle de la fidélité en amitié. Il s’attache, à chaque poste clé de son ambition, les services des hommes en adéquation avec ses idées, son histoire et sa personnalité. Alexandre Fayeulle, Marcus Hutchinson, Laurent Bourguès, François Pernelle, Lucas Montagne… Ruyant fait du Ruyant, sans modèle ni mentor, assumant et construisant avec conviction un projet à son image, ambitieux, volontaire, innovant.

De ses victoires (vainqueur de la Mini Transat, de la Route du Rhum en Class 40 notamment), nombreuses, de ses échecs, plus rares, il s’est forgé une méthode, basée sur l’exigence du résultat, fruit d’un pragmatisme bien Nordique qui ne laisse aucune place à l’esbroufe. Ruyant ne joue pas, Ruyant ne transige pas. Son rêve de Vendée Globe, c’est en survivant au Pacifique, à bord de son Imoca disloqué qu’il l’a imaginé voici quatre années déjà. Place à l’excellence, à la rigueur. L’ère nouvelle des bateaux « qui volent » ne laisse aucune place aux compromis et aux « à peu près ». Cela tombe bien ! Thomas n’envisage plus son métier de marin qu’en terme de perfection. Oui il a grandi Thomas. Son rêve aussi, qui arrive à présent à maturité avec le soutien indéfectible d’Advens et l’ambition de changer les comportements en matière d’inclusion avec LinkedOut, prêt pour la grande aventure, pour que se délite définitivement l’aigreur de 2016.

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