Loïck Peyron : La pandémie peut aider les skippers à « rentrer dans la course »
Dans le troisième épisode de notre série d’articles en préambule du Vendée Globe, Ed Gorman nous livre son entretien avec Loïck Peyron, triple participant au célèbre tour du monde. Chacun est bien conscient que cette saison demeure sans précédent pour les événements internationaux. Les restrictions et les difficultés causées par la pandémie de Covid-19 ont conduit à une préparation de Vendée Globe totalement inédite. Pour autant, tout le monde ne voit pas cela de façon complètement négative. Il suffit d’interroger Loïck Peyron, le marin qui a disputé trois Vendée Globe et terminé deuxième de l’édition inaugurale en 1989-90.
Loïck qui suivra cette course à terre, depuis sa maison du Pouliguen, est pleinement conscient que la pandémie éprouve le monde entier. Cependant, il met en avant un point positif dans ce nuage qui plane au-dessus des skippers du Vendée Globe. En effet, les restrictions auxquelles ils seront confrontés dans les jours précédant le départ du 8 novembre, estime-t-il, peuvent en fait aider dans la mesure où elles permettront aux marins de se concentrer sans distraction pour le défi majeur qui les attend.
« Pour autant que je sache, pendant la semaine précédant le départ, les marins ne pourront pas voir beaucoup de monde. Ils ne seront pas autorisés à se mêler au public ni même aux journalistes, » déclare Loïck Peyron. « Ce n’est pas seulement un aspect négatif pour eux car avant tout départ de course, et surtout quand on part en solitaire autour du monde, vous naviguez déjà dans votre tête bien avant le départ. »
« La meilleure façon de se préparer, c’est de ne pas être seul, mais d’avoir le minimum de personnes autour de vous, le minimum de pression. C’est ici tout le paradoxe de la pandémie car elle facilite cela. »
Peyron se souvient de la Transat B to B, de Salvador de Bahia (Brésil) à Port-la-Forêt (France) en 2007, où il n’y avait presque personne au départ et il avait beaucoup aimé ça – Il avait aussi gagné la course d’ailleurs. « Vous avez moins de pression, mois de choses à faire, ce qui permet d’être plus concentré sur votre bateau, votre navigation, sur le parcours, » dit-il.
Le Français, qui a remporté des courses en multicoques et en monocoques et a établi le record du Trophée Jules Verne, sait qu’une partie des 33 partants du Vendée Globe ne terminera pas la course. Pour lui, la préparation difficile ne sera pas la cause principale des abandons. Ce sera le risque de collision pour une flotte d’IMOCA dont certains sont plus larges que jamais.
« Quand on pense aux foils et aux appendices dans l’eau, la largeur augmente mathématiquement le risque de heurter quelque chose, » explique-t-il. « C’est la principale raison pour laquelle on est stressé quand on est skipper d’un bateau rapide, que ce soit sur un monocoque ou un multicoque. La plus grande préoccupation n’est pas de casser, mais bien de ne pas heurter quelque chose. »
Loïck Peyron pense qu’il faudrait limiter la largeur hors-tout des bateaux de la Classe IMOCA afin d’essayer de réduire les risques de collision.
« Il n’y a pas de limite aujourd’hui et la limite théorique est d’avoir le couple de redressement maximum. Pour y parvenir, on augmente la largeur du bateau. Cela a un coût, augmente les risques et l’inconfort en navigation, » explique-t-il.
Loïck Peyron a navigué la semaine dernière sur le plan Juan Kouyoumdjian de Nicolas Troussel – CORUM L’Épargne. Il évoque sa surprise face à l’inconfort en navigation. Il affirme que les grands multicoques ne sont plus les bateaux les plus inconfortables – la Classe IMOCA ayant volé le trophée !
« J’ai eu la chance de naviguer pendant 24 heures sur CORUM L’Épargne et je sais maintenant ce que cela implique, » confie Loïck Peyron. « Les conditions météorologiques étaient absolument parfaites et même dans ces conditions, c’était déjà un cauchemar… Ces bateaux sont beaucoup plus larges, ils tapent énormément, les foils sont super bruyants et les mouvements font grincer la coque. » Il ajoute, avec une pointe d’humour, que la pièce maitresse à bord d’un IMOCA sur le Vendée Globe, sera dorénavant le casque antibruit.
Et à propos des marins ? Peyron affirme que le niveau des Français est très impressionnant mais cela pourrait lui plaire si un skipper étranger gagnait pour la première fois la course. Il pense évidemment au skipper d’HUGO BOSS, Alex Thomson.
« Je peux juste espérer qu’un marin étranger gagne cette course, » explique-t-il. « Il y a assez peu de skippers étrangers dans la flotte – en fait, pas assez – et je pense que ce serait une bonne chose. J’attends cela avec impatience depuis de nombreuses années ! Cela ne s’est pas produit sur la Solitaire du Figaro, même si Sam Goodchild n’était pas loin et a vraiment navigué très très bien. Sur le Vendée Globe, cela pourrait être Alex, à coup sûr. »
Selon Peyron, il est important pour la course au large en solitaire que les vainqueurs du Vendée Globe soient de différentes nations.
« Ce serait symbolique et cela démontrerait que les marins français ne sont pas les seuls à pouvoir gagner des courses en solitaire. »
S’il est convaincu que Thomson est capable de gagner, il affirme que les principaux skippers français sont à un « super-haut niveau » parmi lesquels, Jérémie Beyou (Charal) qui « gagne tout ».
« C’est une sorte de spécialité française, très bien incarnée par les Français eux-mêmes d’ailleurs et c’est aussi une bonne chose, » ajoute-t-il.
Si la bagarre en tête s’annonce intense, elle le sera tout autant entre les bateaux plus anciens, dont au moins l’un d’entre eux pourrait monter sur le podium, d’après lui. « Sur le papier, il y a des bateaux plus rapides et d’autres plus lents, mais un gars comme Kevin Escoffier (PRB) est un marin formidable et dans une course aussi courte que les 48 heures du Défi Azimut, nous avons vu aussi trois femmes extrêmement performantes – deux sont d’ailleurs montées sur le podium (Sam Davies et Isabelle Joschke) et une autre (Clarisse Crémer) a terminé quatrième, ce qui était vraiment bien. Donc tout peut arriver et c’est la beauté du sport. »
« Tout d’abord, vous n’avez pas besoin de gagner pour réussir et nous espérons qu’ils réussiront, car nous voulons tous partager leurs histoires, quelle que soit leur place au classement. Et on ne sait jamais avant l’arrivée ce qui va se passer. »
Et donc, Peyron – aujourd’hui âgé de 60 ans – voudrait-il lui-même participer à ce Vendée Globe ? Est-il jaloux de cette jeune génération de marins qui sont sur le point de réaliser leur rêve ?
« Non merci », dit l’ancien skipper de Fujicolor II. « Quand j’ai navigué à bord de CORUM L’Épargne, les premières heures étaient très intéressantes… Mais après, je me suis dit « non, c’est bien là » ! Je suis heureux de faire le compte à rebours, je me refroidis lentement mais sûrement. Je vais suivre le Vendée Globe avec intérêt, comme toutes les autres courses que j’aime suivre. »
En fait, Loïck Peyron pourrait bien être au départ des Sables d’Olonne pour assister au départ de la flotte le 8 novembre en apportant son œil d’expert aux commentaires en direct.