La Baie de Seine pour premier juge de paix !
A une nuit relativement paisible, passée à glisser au petit trot et sous gennaker le long des falaises de craie de la côte d’Opale, a brutalement succédé ce matin, à peine parée la bouée Daffodils devant Dieppe, le début des premières grandes manœuvres de cette troisième étape de La Solitaire du Figaro, entre Dunkerque et la Loire-Atlantique (492 milles). Premier à annoncer clairement ses intentions, un certain Yann Eliès (Quéguiner Matériaux – Leucémie Espoir) qui poussait franchement sa barre dans le vent de Sud Est déjà mollissant, pour pointer son étrave vers le centre Manche et s’écarter de la côte. Loïs Berrehar (Bretagne CMB Performance), leader jusqu’à Dieppe suite à une glissade nocturne parfaitement maitrisée, choisissait lui de rester à la côte. Entre ces deux options désormais distantes de plus de 25 milles en latitude, ils étaient quelques uns, et non des moins côtés, Armel Le Cléac’h (Banque Populaire), Eric Péron (French Touch) à choisir une route médiane. Objet de ces mises, l’arrivée en Baie de Seine d’une vaste « langue » déventée, excroissance anticyclonique, marais barométrique étiré en travers de la route vers la pointe du Cotentin. Du vent de Nord Est-Est attendu, faible dans un premier temps, puis allant forcissant, en fin d’après-midi. Les jeux sont faits. Reste à savoir qui des Nordistes ou des Sudistes touchera en premier la manne.
La Baie de Seine est un lac….
Yann Eliès l’avait annoncé, il souhaitait s’inspirer d’Armel Le Cléac’h pour suivre ses instincts, et pousser ses coups à fond. « L’étape s’y prête parfaitement » renchérissait Francis Le Goff, directeur de course. « La configuration météo, doublée du jeu si décisif des marées du Cotentin, pousseront les coureurs à des choix draconiens. » Cela semble bien être le cas dans la négociation cet après-midi des calmes « blancs » qui assomment les parages de la pointe Cauchoise et jusqu’aux plages du Calvados. « La mer est un lac » décrit Le Goff, « mais un lac parsemé d’une quantité invraisemblable d’algues. » Une autre composante de ce jeu déjà si délicat et si risqué du placement sur l’eau et de l’évolution des Figaro Bénéteau 3 dans la pétole, le souci d’avoir à tout moment à se battre pour libérer autour des appendices ces longues algues brunâtres. Mais ces vicissitudes bien présentes dans les esprits des 2 femmes et des 31 hommes encore en course, sont aussi très probablement occultées par l’enjeu réel des prochaines heures à venir, l’atterrissage sur la pointe du Cotentin, ses deux caps de Barfleur et de la Hague, indissociables des raz de Barfleur et Blanchard. Avec une petite soixantaine de milles à parcourir pour traverser la Baie de Seine, les solitaires espèrent attraper le bon wagon de la marée toujours en phase descendante et donc favorable. « Attraper le courant à Barfleur semble jouable » analyse Francis Le Goff. « Mais enchaîner avec Blanchard semble plus aléatoire… »
Course contre la montre pour bénéficier des courants…
On l’aura compris, les heures de pétole à venir sont cruciales, et chaque minute compte désormais. Le retour du vent par le Nord-Est pose en ce milieu d’après-midi, deux questions. Qui des Sudistes et des Nordistes le touchera en premier ? Mais surtout, les Nordistes, toujours crédités à l’heure où nous écrivons ces lignes d’une légère avance de 4 à 5 milles sur le peloton, auront-ils suffisamment engrangé pour contrer le retour des Sudistes mieux placés pour progresser avec un meilleur angle au vent de Nord-Est vers le Nord Cotentin ?
Tels sont les enjeux des quêtes de placement observées cet après-midi au large du Pays de Caux. Il faudra attendre tard ce soir pour comptabiliser véritablement les gagnants et les perdants de ces options pleines de risque et de panache. Cette étape de tous les dangers, de toutes les difficultés est aussi celle de toutes les prises de risques, des coups de chance et des manques de pot si typiques de ce qu’est la course au large en monotype Figaro Bénéteau 3.