Isabelle Joschke : « Les épreuves font grandir »
L’épidémie de coronavirus a mis le monde du sport à l’arrêt. Comme les trente-quatre autres candidats à la course autour du monde en solitaire, Isabelle Joschke a vu ses plans bouleversés du jour au lendemain. Depuis le 17 mars, le confinement freine l’avancement du projet MACSF : la mise à l’eau du bateau est retardée, le chantier au ralenti et toute navigation interdite. Pourtant, malgré cette situation totalement inédite, la navigatrice poursuit ses préparatifs, sereine, et plus perfectionniste que jamais.
Apprendre à faire face à l’imprévu
Les sportifs de haut niveau ont l’habitude d’avoir le contrôle sur leur quotidien. Séances d’entrainement, calendrier des compétitions, objectifs… Tout est connu et programmé des mois à l’avance pour leur permettre d’optimiser leur performance. Avec la crise sanitaire, les cartes ont été complètement rebattues. Il n’y a plus de certitudes, ni points de repères. Obligée de passer du mode accéléré à la pause forcée, Isabelle Joschke a mis l’accent sur le travail mental pour reprendre la main sur son destin.
« Je passe mes journées à la maison alors que je devrais être en train de m’entrainer sur l’eau. C’est un changement radical par rapport au plan de route initial. Le risque au début, c’était de tomber dans une espèce de panique, la peur du vide. Tout s’arrête, qu’est-ce que je vais faire ? Ces questionnements, je les ai eus. Dans la course au large, on est confronté en permanence à des situations inattendues, à des problèmes techniques qu’on n’a pas anticipés. Ce que l’on traverse actuellement, c’est la même chose mais à l’échelle de la vie. Je me dis que je dois apprendre à gérer ces bouleversements, pour, une fois en mer, savoir faire face à l’imprévisible. Au début du confinement, une des premières choses que j’ai mise en place avec mon préparateur mental, c’est le travail sur ces problématiques. Je pense que la capacité d’adaptation que je peux gagner maintenant me sera utile plus tard. A l’inverse, toute l’expérience que j’ai déjà acquise dans mon métier m’aide aujourd’hui à relativiser ce que je vis ».
Tirer profit de la situation pour avancer autrement
Le confinement a agi comme un rappel à l’ordre pour la navigatrice qui a décidé de remettre à plat son fonctionnement et de revoir certaines de ses priorités. Depuis la mi-mars, elle accorde une place centrale à la récupération et au sommeil, leviers essentiels à la performance, pour arriver régénérée sur le Vendée Globe, une course de fond qui va durer près de trois mois sur les océans !
« N’étant pas autorisée à prendre la mer, je me suis demandé ce qui allait être le plus utile à mon projet. L’évidence, c’était de me reposer. Quand on prépare un Vendée Globe sur un bateau qui est toujours en transformation, il faut à chaque fois réapprendre à naviguer dessus. C’est un boulot colossal qui prend un temps fou. Dans ce contexte, le sommeil est souvent sacrifié. C’est une erreur. Contrairement à ce qu’on peut croire, récupérer des heures de sommeil et de repos, c’est bénéfique. Peut-être pas sur le moment mais à terme c’est payant. La situation actuelle a aussi été une invitation à ralentir la cadence. J’en ai profité pour adopter des pratiques plus apaisantes et ressourçantes. Dans mon sport, on déplace des montagnes, il faut aller toujours très vite. C’était l’occasion d’apporter des petits changements. Je prends désormais le temps de bien faire les choses. En temps normal, comme on est débordé, on se précipite. Là je suis à 100% dans ce que je fais, je me pose et je me mets vraiment dedans. J’ai l’impression d’employer mon temps au mieux. Quelque part je nourris une partie de moi dont je n’arrivais jamais à prendre soin ».
Des journées confinées, denses et rythmées
Si les premiers jours du confinement ont été synonymes de break pour Isabelle Joschke, ses journées se sont rapidement remplies avec une organisation désormais bien rôdée. Les matinées sont consacrées au bien-être et à l’entrainement physique. L’après-midi, place à la théorie avec les cours météo et les sessions d’informatique.
« Je me lève entre 6 et 7 heures tous les matins. Je débute ma journée par de la méditation et du mouvement sensoriel puis j’enchaîne avec l’activité physique. Je fais du rameur et des exercices de Pilates qui m’apportent force intérieure et endurance. L’après-midi, je suis des cours météo. Je passe aussi pas mal de temps sur les logiciels de navigation. Comme il s’agit de technologie, leur fonctionnement évolue vite. Une fois la formation terminée, je me consacre aux autres sujets en lien avec la préparation de la saison. Notre équipe continue à travailler à vitesse très réduite sur le bateau. Le projet reste notre priorité. Je suis aussi en contact régulier avec les organisateurs de course et les responsables de la classe IMOCA. En parallèle, j’avance sur les questions de l’avitaillement (le matériel à embarquer), sur le choix des vêtements, le nombre de change, ou encore la sélection des menus déshydratés. L’effort en mer est tellement brutal pour le corps que je ne veux pas m’alimenter mal. On avait pris le parti de se pencher sur ces sujets plus tard mais avec la nouvelle donne, il a fallu s’adapter ».
Les vertus du confinement
Si la crise sanitaire constitue un coup de frein pour le projet MACSF, Isabelle Joschke ne considère pas cette période comme une perte de temps ou un handicap, loin de là. La skipper franco-allemande envisage même avec confiance les prochains mois qui doivent la mener au départ du Vendée Globe aux Sables d’Olonne.
« Quand on pourra sortir, on aura accumulé du retard. Il y aura eu moins d’entrainements sur l’eau, moins d’expérience acquise, moins d’habitude à faire des manœuvres, c’est certain. Ce constat est vrai pour tous les skippers. Après je suis persuadée qu’en étant ressourcée, plus lucide, j’aurai l’énergie nécessaire pour employer au mieux le temps qui nous reste. Depuis plusieurs semaines, j’apprends potentiellement à être plus sereine au départ d’une course où je serai moins bien préparée. C’est assez contradictoire. On sait que les épreuves font grandir. »