Benoît Marie complètement givré !
Ces derniers jours, le skipper Benoît Marie était à Orsa en Suède pour disputer le Championnat du Monde et d’Europe de DN (char à glace). Seul Français en lice sur 137 concurrents, tous habitués des surfaces gelés, ce circuit est devenu un rendez-vous annuel dans son agenda et complète parfaitement ses entrainements sur l’eau grâce à la recherche de vitesse et de technicités complémentaires sur la glace.
La météo a malheureusement écourté les championnats : faute de vent pour le Mondial les coureurs se sont contentés de deux jours de régate. Et l’Européen qui a subi les conséquences du réchauffement climatique et n’a pas pu être couru : le seul lac gelé d’Europe fissurait et la dangerosité des conditions a contraint l’organisation à annuler le championnat.
Benoit a tout de même pu naviguer deux jours à hautes vitesses pour reprendre ses sensations sur ce support extrêmement rapide. Le char à glace est une discipline exigeante qui demande une observation du plan d’eau accrue, le vent ne marquant pas la glace à la différence de l’eau, les variations de vent se ressentent « à l’aveugle ».
Interview de Benoit Marie à son retour en France et analyse post-championnat :
Benoit, chaque année tu décides de partir vers le grand Nord pour aller faire de l’Ice Boat, en quoi cette expérience sur glace est-elle complémentaire à ton programme de navigateur sur l’eau ?
« Aller naviguer sur la glace, ça me permet de naviguer les phases de championnats l’hiver, à un moment où l’activité sportive est creuse sur l’eau. Cela me permet de travailler le mental, la gestion du stress, la gestion de la flotte et des trajectoires à haut niveau, et donc de maintenir mes réflexes à hautes vitesses (puisque le bateau navigue deux fois plus rapidement que n’importe quel bateau de haute performance sur foils).
Cela me permet également de travailler et d’affiner mes sensations de ressenti du vent puisque sur la glace le vent ne marquant pas, il faut en ressentir ses variations grâce à d’autres capteurs.
Et rencontrer d’autres marins avec d’autres cultures est important pour moi afin de garder l’esprit ouvert aux autres et se confronter à la différence. C’est une grande richesse. »
Tu as participé au Championnat du Monde de DN pour la 3ème fois consécutive, peux-tu nous raconter ton championnat ?
Cet hiver, il n’y a pas eu de glace du tout sur toute l’Europe. Ils ont navigué en Finlande et en Suède deux semaines avant le championnat mais je n’ai pas pu y aller car je n’ai pas pu m’absenter autant de temps pour des contraintes professionnelles. J’ai pris le dernier avion pour Tallinn et j’ai rejoint l’équipe estonienne formée de Vaiko, son fils d’Argo et Joonas le fabricant de voiles. Ils m’ont récupéré pour un voyage en ferry vers Stockholm puis route vers Orsa, le seul lac gelé au milieu de la Suède, à 400km au Nord Ouest de la capitale.
Là on a déchargé les bateaux et on est allés se dégourdir les patins directement en arrivant avant le coucher de soleil. Le lendemain c’était la tempête donc on est restés au sec alors que la pluie faisait fondre la couche de neige pour y laisser… une couche d’eau bien froide de quelques centimètres sur la glace.
Le lendemain pour le premier jour de championnat on avait donc les pieds mouillés et bien gelés! Le vent oscillait entre peu de vent et des fortes bourrasques donc c’était un beau challenge de trouver ses marques… Le lendemain pareil mais la couche d’eau avait gelée pour laisser place sur la gauche du plan d’eau à une surface irrégulière avec de la glace double (c’est-à-dire que la couche d’eau gèle finement en surface emprisonnant une couche d’eau, et c’est dangereux car si la croute casse ça peut tordre le patin et la planche et tout casser…) donc il fallait composer entre les différences de surfaces et le vent qui passait d’un extrême à un l’autre. Le problème étant qu’on doit normalement changer la voile et les patins en fonction des conditions, pour garder l’accroche et la voile pour gérer la puissance et continuer à accélérer en réduisant la trainée avec la voile plate dans le vent fort. Là c’était vraiment chaud de garder le contrôle avec la voile puissante et les patins qui dérapaient à plus de 40 noeuds… Mais quelle satisfaction de voir les compteurs de vitesse s’activer au max ! Je m’en suis sorti, même si j’ai ressenti le manque de navigation sur glace en amont mais je suis content d’avoir saisi l’opportunité !
Pendant les quatre jours suivants on a attendu le vent sur le lac gelé mais en vain. On a pu faire 2 tours d’entraînement sur les deux premiers jours, de quoi travailler les départs et le réglage de gréement, mais pas assez pour courir. Un peu frustrant ! Mais quand-même édifiant ! »
Tu termines 34ème sur 137, sur quels points penses-tu avoir progressé cette année et qu’est-ce que cela t’a apporté ?
« Malgré les mauvaises conditions météo, j’ai pu encore progresser sur le réglage du gréement qui est auto-régulant. J’ai pas mal joué avec tous les paramètres : position de pied de mât, longueur et tension de haubans, quête du mât, hauteur de la voile, rotation du mât en changeant la position des poulies sur la bôme… L’objectif étant d’avoir un gréement auto-régulant la puissance dans les surventes et avec la variation de vent apparent, avec le patin au vent juste décollé de la glace mais qui ne monte pas plus haut… Un bon feeling ! Je suis content d’avoir pu me hisser dans le rond or, pour naviguer avec les meilleurs, avec une jolie manche de 6ème à la clé ! »
As-tu identifié des axes d’amélioration pour l’avenir ?
« N’ayant que 3 jeux de patins (on est loin des 35 paires des meilleurs!) c’est impossible d’avoir les bons sets en permanence. Donc à l’avenir il faudrait investir dans de nouveaux patins, en faisant varier le métal, son épaisseur, son angle de taille (entre 90 et 110° ça s’enfonce plus ou moins dans la glace en fonction de la dureté liée à la température. Son histoire entre également en jeu à savoir si elle contient de l’air ou pas). L’affûtage joue également énormément sur la performance ! »
Est-ce que ces technologies sur glace nourrissent tes recherches d’ingénieur ?
« La réflexion scientifique, appliquée à la compréhension des phénomènes qui font avancer les bateaux, qu’ils naviguent sur l’eau ou sur la glace est une part conséquente de mon métier de coureur, sinon la principale. Donc de ce point de vue, l’ingénieur est comblé et nourri par ces technologies de voiliers sur glace. La souplesse du mât du DN lui confère une auto-régulation qui lui permet de garder une voile qui fonctionne entre 3 et 50 noeuds de vent apparent avec la même surface. C’est assez inédit ! Pour un voilier de course au large ou un dériveur, c’est une approche qui peut apporter énormément.
Imaginez un gréement qui s’adapte tout seul aux conditions rencontrées en procurant au bateau un couple de chavirage constant… On n’a plus besoin de réguler, plus besoin de changer de surface de voile, le bateau navigue toujours à l’optimum… C’est un peu simpliste vu comme cela mais pas si utopique ! Aujourd’hui on conçoit des voiliers toujours plus raides, pour transmettre les efforts directement et perdre le moins d’énergie possible, mais je pense que l’auto-régulation par le gréement peut apporter énormément de performance et de facilité d’utilisation.
Bien sûr il ne suffit pas de mettre un mât de DN sur un IMOCA pour gagner le Vendée Globe, ce n’est pas le sujet, mais de bien comprendre que cette auto-régulation sur le DN est pour moi capitale pour appréhender ce sujet et le transférer sur d’autres supports aux tailles, vitesses et enjeux différents.
Pour l’ingénieur que je suis qui souhaite améliorer les gréements, c’est indispensable d’aller sur la glace, et seule la compétition à haut niveau permet de comprendre cela en finesse. C’est en tout cas ce que j’en conclus de mon expérience. »
Tu es accueilli chaque année par l’équipe estonienne, peux-tu nous en dire plus sur ton F-1 ?
« Mon F-1 a été construit par Vaiko Voorema, champion de DN de père en fils. Pour la petite histoire son métier c’est aussi de réaliser des appendices d’Optimist et d’Europe, sous la marque « E&V foils »… Et j’ai réalisé que j’utilisais ses appendices sur mes Optimists et mes Europes quand j’étais petit ! Parfois l’histoire nous fait des clins d’oeil sympas ! Donc Vaiko me l’a construit, me l’entretient, le règle et le garde d’une année sur l’autre, n’ayant pas encore trouvé de glace en Bretagne… C’est beaucoup plus simple au niveau logistique et économique de le laisser à Haapsalu sur les rives de la Mer Baltique !
L’an dernier il a dû le reconstruire après mon gros crash, et le bateau est comme neuf. La coque est en bois de samba, un bois léger, et en fibre de verre, elle pèse 22kg. La planche qui relie les patins est également en composite bois / fibre de verre et sa souplesse doit coïncider avec le poids du skipper, toujours pour cette boucle d’auto-régulation et pour servir d’amortisseur… C’est artisanal car la jauge interdit toute dérive pour contrôler les coûts mais il y a beaucoup d’expérience qui rentre dans la fabrication.
Les patins, eux, pèsent une quinzaine de kilos ensemble et ont des épaisseurs, longueurs, formes et angles de coupes différents en fonction de l’aspect de la la glace : dure ou molle, rapide ou rugueuse, sèche ou recouverte d’eau ou de neige… Les Suisses utilisent des aciers au cobalt pour diminuer le coefficient de friction… Ce qui marche jusqu’à -5° mais pas en-dessous… bref là aussi il y a de quoi en perdre son latin !
Mais avant tout mon F-1 est le premier DN à courir sous les couleurs de la France et j’ai été extrêmement bien accepté par la communauté internationale. J’ai du créer l’association de DN Française dont je suis le président et j’ai porté fièrement notre drapeau pour la cérémonie d’ouverture ! En tout cas je me fais remarquer en étant « le seul pilote de F1 sur glace / à ne jamais m’être fait battre par Hamilton ou Vettel… » Blague à part, c’est un petit groupe de passionnés hyper bienveillants avec plein d’expériences et d’histoires incroyables ! Et comme c’est un sport d’expérience on se fait aussi battre par des petits papys ! J’adore ! »
Une anecdote ?
Sur la glace la compétition est rude et personne ne lâche rien. Les conditions sont rudes et on est emmitouflés de la tête au pied, sous un casque et un masque. Impossible de savoir à qui on a affaire ! Le soir on refait la course entre hommes au sauna et les commentaires vont bon train ! Alors un soir, quand on me présente pour la première fois, un Polonais me dit, « ah c’est toi F-1 ? Mais comment ces petites jambes peuvent-elles courir aussi vite ? ». Apparemment j’ai de la ressource sur les départs ! J’espère pouvoir faire plus d’heures à bord à l’avenir pour continuer à progresser et rentrer dans le haut du tableau ! »