De la théorie à la pratique
Comme il aime le faire, le skipper de Sodebo Ultim 3 prend ici le temps de raconter la magie et le privilège de naviguer sur un multicoque de dernière génération. Thomas Coville explique la complexité et les enjeux de la mise au point d’un prototype de Classe Ultim 32/23.
Cela fait presque six mois que les trois coques de Sodebo Ultim 3 ont touché l’eau pour la première fois. Des mois studieux que Thomas et son équipe ont passé en majorité sur l’eau. Pour tester et valider les choix structurels et techniques, – ceux là même qui appartenaient au monde théorique il y a quelques mois -, ils ont suivi scrupuleusement le programme établi. Il fallait aussi confirmer les bénéfices réels de certains partis pris radicaux comme celui d’installer le cockpit de manœuvres à l’avant du bateau.
Au printemps, il ne s’agissait que de tests. Les sorties ont pris une autre tournure à trois mois du départ de la course Brest Atlantiques (3 nov), première grande confrontation au large et sans escale entre les trimarans géants à travers l’Atlantique nord et sud. Depuis début août, le bateau quitte régulièrement le port de La Trinité sur Mer pour des séances d’entraînements. L’équipage largue alors les amarres pour une seule journée ou pour plusieurs jours comme ce fut le cas la semaine dernière afin d’aller chercher du mauvais temps et de la mer formée vers l’Irlande.
Chaque navigation apporte une bonne dose d’enthousiasme à toute l’équipe.
« Le plan se déroule dans le bon timing avec des surprises mais sans mauvaises surprises. Il y a une seule inconnue : l’influence qu’aura le plan porteur de dérive que nous n’avons pas encore sur le bateau.»
LA QUESTION DU VOL
Bien sûr que Thomas Coville aurait aimé avoir un plan porteur de dérive dès la mise à l’eau. « Ces six mois étaient nécessaires pour confirmer et valider certains choix. Tout est prévu techniquement pour installer ce fameux plan porteur de dérive. C’est lui qui va nous permettre d’accéder au vol intégral et de gagner en vitesse pure – jusqu’à 5 nœuds – à certaines allures. J’avoue que c’est frustrant de devoir faire les choses les unes après les autres mais je me serais peut être pris les pieds dans le tapis et surtout je n’aurais pas su quel était le bon plan porteur pour pousser et faire décoller la coque centrale de Sodebo Ultim 3. Il y a six mois, je ne connaissais pas la variable d’ajustement d’un plan porteur de dérive. Cela me paraissait très ambitieux d’avoir un bateau complétement volant dès la mise à l’eau. Maintenant que nous avons les données, nous en avons dessiné plusieurs avec comme objectif d’avoir une première version de ce plan porteur de dérive en mars 2020, soit un an après la mise à l’eau ».
UN BATEAU BIEN NÉ
Quand Sodebo Ultim 3 a touché l’eau pour la première fois le 18 mars 2019, Thomas Coville a partagé son soulagement. Le bateau était dans ses lignes. Et aujourd’hui, il confirme cette première impression : « Oui, le bateau est bien né. Rien à redire sur la position du mât et sur celle des foils. Idem sur la taille des safrans et sur leur emplacement. Au départ, il s’agissait de concepts théoriques qui sont devenus des partis pris, puis des choix et ce n’était pas évident à faire. Maintenant, pour que ce soit crédible, il va falloir concrétiser tout ça en résultats sportifs.»
ACCEPTER DE NE PAS SAVOIR
« Dans ce que l’on entreprend avec ces bateaux, une des choses difficiles consiste à accepter de ne pas savoir même en ayant des convictions. Pour certains, c’est angoissant. Ne pas savoir, ce n’est jamais facile.
Depuis le mois de mars, nous avons beaucoup appris. Si nous prenons l’exemple de la gestion des foils, nous n’avions pas tout de suite compris les interactions entre les appendices. C’est ce qui nous a conduit à changer les réglages. Nous faisons évoluer les foils avec une V2 même s’ils ont parfaitement répondu au cahier des charges quand le bateau va entre 23 et 48 nœuds ! Un œil non averti ne verra pas l’évolution !
Sur un prototype comme un Ultim, la complexité combinatoire est permanente. Pour l’énergie à bord, nous avons découvert de nouvelles choses quand on est volant ou demi volant … comme par exemple, comment refroidir un moteur. Nous développons aussi notre plan de voilure avec Norths Sails. On ne mesure pas encore aujourd’hui l’effet de plaque mis en place.»
TOUS LES SUPERLATIFS
« Avec ces bateaux, nous sommes dans le superlatif. Il ne faut pas avoir froid aux yeux pour naviguer en Ultim. Même si cela semble très épuré, c’est de l’effort de voler. Tu es sur des vitesses impressionnantes. J’ai repris énormément de plaisir à barrer avec l’enthousiasme de découvrir quelque chose à chaque fois. J’ai ressenti l’émotion du petit geste quand tu décolles et que tu maintiens le bateau en l’air sur ses foils même sans plan porteur de dérive pour le stabiliser en vol. Pendant toutes ces heures et tous ces mois d’entraînements, j’ai beaucoup barré parce que je suis référent. Mais disons-le, en paramètres, le pilote automatique est le meilleur ! »
PAS POUR TOUT LE MONDE !
Thomas insiste sur la « férocité » de la navigation en Ultim : « Quand on va plus vite, c’est forcément plus chaud même si les manoeuvres sont plutôt simples avec ce cockpit avancé. Avec la vitesse, on s’expose. C’est violent et agressif. Entre 30 et 40 nœuds de vitesse pure, il y a un step (une étape) ! Les bruits, les mouvements, les appendices qui sifflent et qui sont bruyants, tout cela participe à l’exigence de naviguer en Ultim.»
UNE ÉPOQUE FORMIDABLE
Les confrontations en course dans l’Armen Race et pendant la Rolex Fastnet Race avec les coureurs de la Classe ont apporté des réponses à tout un tas de questions.
« Aujourd’hui, je comprends mieux les choix de nos concurrents. Ils sont trop brillants pour ne pas les observer. On se bat contre des équipes qui optimisent leurs bateaux depuis plusieurs années. On ne sait pas qui a raison aujourd’hui. Nous vivons un moment phénoménal.
Antoine de Saint-Exupéry a peut-être eu cette sensation à son époque avec l’aéropostale. Cet homme avait un tel appétit qui a pu être pris pour de l’arrogance notamment par ceux auxquels ils se confrontaient. J’adore la situation dans laquelle je suis, mes choix de vie et l’époque dans laquelle je vis. Je suis heureux dans la liberté de ce que je tente. Je n’aurais jamais pensé qu’on en serait là après seulement six mois … »