À l’occasion de la onzième édition de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe, la marina du Bas-du-Fort fête aussi ses quarante ans ! Depuis 1978, cette transat en solitaire a marqué le paysage de la voile océanique dans le monde entier mais aussi le décor de Pointe-à-Pitre… De Mike Birch à Francis Joyon, retour sur une épreuve qui a sacré une pléiade de skippers haut en couleurs.

Il n’y a quasiment jamais eu de modification de parcours depuis la création par Michel Étevenon de cette course en réaction aux décisions restrictives de la transat anglaise. Une seule fois, le tracé entre Saint-Malo et Pointe-à-Pitre est passé par le Sud de la Martinique (1982) et en 2002, le départ était décalé d’une journée entre monocoques et multicoques qui ne devaient plus effectuer le tour de l’île papillon. Pour le reste : une ligne de départ au large de Saint-Malo, devant la pointe du Grouin, une bouée à virer devant le cap Fréhel, l’îlot de la Tête à l’Anglais (Nord Guadeloupe) à laisser à bâbord, une bouée mouillée devant Basse-Terre et une ligne d’arrivée avant l’îlet à Cochons. Soit 3 542 milles en ligne directe…

Une évolution exponentielle

Mais en quarante ans, il s’en est passé des choses ! D’abord sur le type de voilier puisque la première édition montrait que les multicoques étaient définitivement plus rapides sur une traversée de l’océan Atlantique d’Est en Ouest avec la victoire du petit trimaran jaune de Mike Birch (Olympus Photo). Puis les catamarans ont dominé la course au large avec celui de Marc Pajot (Elf Aquitaine) en 1982 où la taille démontrait aussi qu’elle était liée à la performance et à la capacité à affronter le mauvais temps. Mais dès 1986, le trimaran s’imposait avec Philippe Poupon (Fleury Michon VIII) qui mettait aussi en valeur le routage à terre et la fiabilité des pilotes automatiques.

1990 était l’année d’une femme, Florence Arthaud (Groupe Pierre 1er) qui marquait son empreinte sur des multicoques désormais limités à 60 pieds pendant vingt ans. Suivait toute une génération de trimarans ORMA comme celui de Laurent Bourgnon (Primagaz) seul vainqueur par deux fois en temps réel en 1994 et 1998. L’année 2002 sera un tournant puisque sur les dix-huit partants en trimarans, seuls trois arrivaient à Pointe-à-Pitre avec la victoire de Michel Desjoyeaux (Géant). Et l’édition suivante couronnera un outsider en la personne de Lionel Lemonchois (Gitana 11) qui survola la course en pulvérisant le temps de parcours !

En 2006, l’organisation étant dorénavant confié à Pen Duick, les principes fondateurs revinrent au goût du jour avec une catégorie Ultime ouverte à toutes les tailles et lorsque Franck Cammas (Groupama 3) se présentait avec un trimaran de 30 mètres, peu étaient ceux qui l’imaginaient vainqueur en Guadeloupe… Et pourtant, le mouvement était lancé avec une nouvelle génération de machines qui finalement n’arrivaient pas à déboulonner ce plan VPLP qui s’imposait de nouveau aux mains de Loïck Peyron ((Banque Populaire VII) puis cet automne grâce à Francis Joyon (IDEC Sport) en se permettant d’établir le temps de référence de la course : 7j 14h 21’ 47’’ !

Une participation croissante

Mais la Route du Rhum-Destination Guadeloupe, c’est aussi et avant tout des femmes et des hommes qui traversent l’Atlantique sur des voiliers de 39 à 110 pieds ! Et de ce point de vue, le troisième millénaire démontre que la participation n’a fait que croître : 58 partants en 2002, 74 en 2006, 85 en 2010, 91 en 2014 et 123 en 2018… La course qui a confirmé encore lors de cette onzième édition, qu’elle reste une redoutable épreuve pour les bateaux comme pour les marins, est désormais ancrée dans le cœur des Français mais aussi des autres pays du monde entier puisqu’ils étaient 23 étrangers au départ de Saint-Malo !

Et ce lien maritime émergeant de la course se traduit aussi par l’engagement de la Région Guadeloupe : après la marina qui fut inaugurée lors de la première édition, c’est au pied du Mémorial ACTe que tous les solitaires ont posé leur pied à l’arrivée à Pointe-à-Pitre… Un symbole de maturité et d’échanges avec le public guadeloupéen toujours présent pour accueillir les marins après une traversée atlantique mouvementée comme le fut cette onzième édition !

Les onze vainqueurs en temps réel de la Route du Rhum

  • 1978-Mike Birch (Olympus Photo) 23j 06h 59′ 35″
  • 1982-Marc Pajot (Elf Aquitaine) 18j 01h 38’
  • 1986-Philippe Poupon (Fleury Michon VIII) 14j 15h 57′ 15″
  • 1990-Florence Arthaud (Groupe Pierre 1er) 14j 10h 08’ 28’’
  • 1994-Laurent Bourgnon (Primagaz) 14j 06h 28′ 29″
  • 1998-Laurent Bourgnon (Primagaz) 12j 08h 41’ 06
  • 2002-Michel Desjoyeaux (Géant) 13j 07h 53’
  • 2006-Lionel Lemonchoix (Gitana 11) 7j 17h 19’ 06’’
  • 2010-Franck Cammas (Groupama 3) 9j 03h 14’ 47’’
  • 2014-Loïck Peyron (Banque Populaire VII) 7j 15h 08’ 32’’
  • 2018-Francis Joyon (IDEC Sport) 7j 14h 21’ 47’’

Ils ont dit (vacation 6h)

Morgane Ursault-Poupon (Class40-Fleury Michon Bio) :

« Je viens de passer sous la barre des 500 milles ! Mais j’ai passé une nuit assez mouvementée : il y avait pas mal de grains et le bateau est parti au lof. Le côté positif, c’est qu’il y a du vent, avec 20 nœuds et le bateau avance bien. Et puis j’essaye de gratter des milles pour semer mes concurrents qui me suivent de près, dont Carl (Chipotel). Mais la fin est proche et je profite des derniers moments à bord. Le bateau et moi-même, nous sommes plutôt en forme… J’ai une estimation d’atterrissage sur le Nord de l’île samedi matin vers 1h00, ce qui me ferait terminer dans la journée.

C’est tout de même les quarante ans de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe et je crois qu’elle restera comme une édition particulière ! Pour plein de points de vue : de par la météo, de par la difficulté de cette course, de par son historique : j’ai hâte de voir ce que cela va être à l’arrivée ! Et moi, j’ai appris énormément de choses sur cette course : je n’avais que quatre jours de solitaire à bord… Et ce n’est pas le plus dur, les dépressions, mais en revanche apprendre la régate, c’est génial. Surtout que c’est plutôt enrichissant d’être toute seule sur l’océan. Il y a tellement de paysages très contrastés d’un jour à l’autre : les ambiances, la mer, la couleur de l’eau ! J’adore. »

Cédric de Kervenoal (Class40-Grizzly Barber Shop) :

« Ce fut une nuit assez agitée : je me suis fait prendre par un grain qui m’a fait partir au tas et j’ai enroulé le spinnaker autour de l’étai. A quatre heures du matin, c’est rodéo ! Et puis je n’arrête pas de traverser des plaques d’algues sargasses qui se prennent surtout dans mon hydro-générateur. Elles ont d’ailleurs cassé une pale. Je n’avais quasiment pas utilisé le moteur pour éviter la consommation de carburant, mais là, je ne vais pas y couper ! Je reste quand même impatient d’arriver parce qu’il y a tout de même un sentiment d’isolement bien qu’il y ait encore du match ici. Tactiquement, cela devient intéressant parce que nous sommes plusieurs à atterrir dans la même journée. Je devrais voir la Tête à l’Anglais d’ici deux jours et dix heures… »

Message de Manuel Cousin (IMOCA-Groupe Sétin) :

« Nuit un peu mouvementée sur Groupe Sétin, perturbée par deux gros grains à 30 nœuds avec grand-voile haute et grand gennaker, un peu tendu mais c’est passé ! Ce matin, je suis partagé entre la joie immense de bientôt finir ma première Route du Rhum, et la déception d’une arrivée quasi certaine de nuit entre jeudi et vendredi. En même temps ça rajoute de la magie à tout ça… Bref, c’est tempête sous un crâne ce matin. La fatigue, les innombrables manœuvres commencent à tirer un peu dans mes réserves, mais après un bon petit déjeuner, j’y verrai plus clair ! »

Message de Marc Dubos (Class40-Esprit Scout) :

« Voilà, j’arrive à la fin de ce long bord bâbord amure : ce soir il va falloir empanner. Quitter ses habitudes, tout changer de côté et trouver de nouveaux repères. L’empannage, c’est comme déménager, transborder ce qui est à bâbord à tribord puis affaler le spi, changer les voiles de côté, renvoyer le spi, régler et c’est reparti, soit une heure de travail au bas mot. Dans les surfs pour la première fois, j’entends vibrer la quille. Whaoooouuuhhh!!! on doit aller vraiment vite, mais non pas tant que cela. Mais qu’est-ce donc ? Les sargasses, ces algues brunes ont envahi la mer, il y en a partout, dans la quille et les safrans. Il paraît que l’origine est la déforestation et la surexploitation des terres entraînant les engrais dans la mer et de fait ,la quantité des sargasses est impressionnante.

C’est aussi le monde des poissons volants, le bateau les fait fuir à tire d’aile dans de longs vols, mais la nuit ils finissent parfois sur le pont ou dans les bailles à bouts. A vérifier de temps en temps la présence de poissons sinon bonjour l’odeur ! Les dauphins sont venus nous saluer ce matin ainsi qu’un voilier de croisière se dirigeant vers la Grenade, qui est passé dans le sillage d’Esprit scout. Quelques départs au lof cette nuit du fait d’une mer forte et des sargasses dans le safran = réveil en catastrophe pour choquer la grand-voile. Aujourd’hui, une journée tranquille dans les alizés. »

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