Au terme d’une Route du Rhum haletante et pleine de rebondissements, Paul Meilhat a remporté sa première grande victoire en solitaire. A tête reposée, il analyse sa course et celle de ses concurrents, puis évoque ses perspectives futures en IMOCA

« Paul a ressenti une forme d’osmose avec son bateau », disait Gwénolé Gahinet dans sa chronique IMOCA ! Tu confirmes ?

« Oui ! J’ai énormément navigué sur SMA, l’équivalent de plus de deux tours du monde. C’est un bateau que j’arrive à bien écouter et tant mieux car il est assez fin au niveau des réglages : il suffit par exemple de jouer sur des petits détails de vrillage de voile pour qu’il accélère de suite.
J’ai été immobilisé pendant trois mois avant la Route du Rhum, à cause d’une blessure et pourtant quand je suis remonté à bord j’ai tout de suite retrouvé mes sensations. Tout ce que j’ai appris en double, j’ai réussi à le transposer en solitaire et développé des vrais automatismes. Je me suis parfois surpris moi-même, à la fin de la Route du Rhum j’étais tellement en phase avec le bateau que je faisais les empannages de nuit sans frontale, en ayant l’impression que les bouts venaient automatiquement dans ma main.
J’ai totale confiance en cet IMOCA et en ma capacité à le manœuvrer dans des conditions rudes. Quand il y avait 45 nœuds de vent sur le Rhum, j’arrivais à dormir sans problème. Le risque d’avarie ne m’a jamais effleuré l’esprit. Et au final je n’ai pas eu de casse majeure, juste des petites bidouilles comme à chaque course. »

Refaisons le fil de ta course. Les premières heures sont déjà primordiales…

« Effectivement. Dès la première nuit, il faut négocier une traversée de dépression extrêmement compliquée. On l’avait peut-être un peu sous estimée avant le départ. Nous négocions bien cette phase avec Vincent Riou. Nous restons tribord amure et avec un peu de réussite, nous touchons le nouveau vent les premiers, ce qui nous permet de créer des gros écarts, notamment sur Yann Eliès. Dans le même temps, Alex Thomson suit son option dans l’Ouest, qui est très intéressante mais pas du tout adaptée aux polaires de mon bateau. »

S’engage alors une course de vitesse face à Vincent Riou, jusqu’à la latitude de Madère. Es-tu surpris de ne pas te faire « déposer » par son foiler ?

« Oui. Nous sommes à des allures qui lui sont favorables. Et pourtant nous restons quasiment aussi rapides l’un que l’autre, on se double mutuellement. Au début je me dis qu’il y va mollo avec ses foils car il y a beaucoup de mer. Après le passage de la deuxième dépression, Vincent continue à ne pas aller très vite. Je me doute qu’il a un souci technique, sans savoir qu’il s’agit de ses aériens. Juste avant Madère, il faut gérer le passage d’une dorsale avant de toucher les alizés. Je suis l’un des premiers à buter dedans. Yann revient fort, Alex croise devant nous. »

« On a joué avec le feu »

C’est le début du match à quatre dans les alizés…

« Oui c’est la deuxième partie de la course qui commence. Je suis dans le bon paquet mais je me doute que ce sera compliqué pour moi de tenir le rythme si l’alizé est fort. Au final on se retrouve dans 20 nœuds et une houle du Nord énorme qui rend compliquée la navigation sous spi. Extrêmement performant à ces allures, Alex est intouchable. En gros, il va 15 % plus vite que moi au portant VMG. Je sais en revanche que le différentiel de vitesse avec Yann n’est pas énorme. Et Vincent n’est pas à 100 % à cause de ses problèmes techniques.
Yann se décale fortement dans le Sud. Pour moi le plus intéressant est de jouer l’intérieur, la courbure de l’anticyclone. Je fais un choix de navigation plus bas comme mon bateau le demande, en jouant les bascules de vent. Tous les jours Vincent et Yann reviennent un peu, mais parfois ils perdent du terrain aussi. Ce qui me fait peur, c’est de me retrouver hors cadre et d’avoir des bords lofés à faire. Si on navigue à 140 degrés du vent, je sais que les foilers sont plus performants. Au final, nous restons VMG jusqu’au bout ce qui me sauve bien la mise. »

Alex étant loin devant, c’est la 2e place que tu vises ?

« Oui ! Déjà, quand je vois qu’on se bat à quatre dans les alizés, mon objectif est le podium. Sur la fin de course, Alex file vers la victoire et je vois que Vincent lâche. Il révèle ses problèmes d’aérien. Il semble extrêmement fatigué, il a besoin de dormir donc il va moins vite. Ca devient très compliqué pour lui. Là je commence à croire à la 2eplace même si Yann met la pression. Je sais que le tour de l’île peut être décisif. Je me mets donc dans l’optique de ne rien lâcher, je me dis que gagner quelques centaines de mètres pourra aider dans le final… »

Comment apprends-tu la mésaventure d’Alex Thomson et comment réagis-tu ?

« Je me rends compte très vite qu’il y a un problème car je regardais les positions de mes concurrents toutes les heures sur la cartographie. Je vois sur sa trace qu’il a percuté la Guadeloupe, puis qu’il est reparti. D’ailleurs, je fais une petite parenthèse pour dire que je trouve dommage que les classements aient été actualisés toutes les heure dans cette Route du Rhum. Mine de rien, ça enlève une grande part de stratégie car on entre dans une logique de contrôle. Je pense que revenir à un classement toutes les 4 heures serait une bonne chose.
Quand Alex se prend la falaise, la donne change complètement. Je n’ai pas regardé le tableau des pénalités mais je me doute bien que le jury ne peut pas laisser Alex gagner la course alors qu’il a utilisé son moteur. Dans ma tête, c’est très clair : avec Yann, on ne joue plus la 2e place mais la victoire ! Cela ajoute une bonne dose de stress. La mésaventure d’Alex nous calme un peu. On réalise qu’on a un sans doute un peu trop attaqué, qu’on a joué avec le feu. »

Avoir Yann Eliès à ses trousses n’est pas une situation confortable dans le tour de la Guadeloupe…

« Clairement ! S’il y a un mec qui est capable de te mettre la pression jusqu’au bout c’est bien Yann Eliès. Je sais qu’il ne lâchera pas, il ne part jamais pour faire 2esur une course. Cette fin de parcours est très physique, stressante, avec beaucoup de manœuvres et de choix stratégiques à effectuer. Heureusement nous arrivons à une bonne heure et le vent est plutôt établi. Je suis ralenti sous le vent de l’île, mais Yann aussi. Je m’applique, je fais les choses tranquillement, j’essaye de ne pas faire d’erreur. »

Comment gères-tu le fait de remporter la course sur « tapis vert » ?

« Sur le dernier bord, je sais que j’ai course gagnée. Je descends en tension. Je prends alors mon téléphone, je regarde un peu ce qui se dit sur les réseaux pour savoir comment va se gérer cette arrivée. Je vois qu’Alex a fait des déclarations extraordinaires, qu’il a été top, il a calmé la polémique tout de suite. Je suis rassuré quant à mon arrivée. De tout façon je ne compte pas fanfaronner car ce n’est pas mon style. »

As-tu pu échanger avec Alex depuis ton arrivée ?

« Il n’a pas voulu venir à mon arrivée, ce qui était la bonne décision. Le 3ede la course qui vient accueillir le vainqueur : l’image n’aurait pas eu de sens. Mais nous avons depuis beaucoup discuté, oui. Il m’a dit à plusieurs reprises que c’était la plus grosse connerie de sa vie et qu’il ne méritait pas de gagner la course en faisant une telle erreur. »

« C’est très beau de voir des gens se donner autant… »

Vous êtes tous arrivés en Guadeloupe dans un état de fatigue extrême, Vincent Riou a même lâché quelques larmes…

« Nous sommes allés hyper loin. Le début de course a été compliqué puis il est assez rare de se retrouver à quatre bateaux si proches dans les alizés. En fait il n’y a eu aucun moment de répit. Nous étions tous bien préparés. Nous sommes capable d’aller très loin dans la fatigue car nous avons construit des automatismes. Vu la qualité de mes adversaires, je savais qu’il fallait tout donner pour espérer gagner. On était en mode Figaro. C’est très beau de voir des gens se donner autant. Boris a aussi fait une très belle Route du Rhum pour son baptême du feu en solitaire. Il a marqué des points mentalement en vue du Vendée Globe. »

As-tu suivi les concurrents plus en arrière ?

« Oui j’ai regardé le trio infernal composé de Damien Seguin, Alan Roura et Stéphane Le Diraison. Ce sont trois mecs très sympas que j’apprécie énormément, j’étais heureux d’être à leurs arrivées. Ils ont des projets assez similaires en termes de bateaux et de budgets. Ils se sont battus avec leurs armes, en déployant la même énergie que nous. J’observe aussi que des concurrents ont souffert et ont dû faire escale pour réparer. Tous ceux qui le pouvaient sont repartis, même si sportivement il n’y a plus rien à jouer. C’est une belle leçon, cela met en avant les valeurs des marins. Je suis triste de l’abandon de Sam Davies, elle aurait dû jouer aux avant-postes avec nous. »

Ton partenariat avec SMA s’arrête et tu pars donc en quête de nouveaux partenaires pour relancer un projet IMOCA. Que proposes-tu aux éventuels sponsors ?

« Je propose deux choses, à commencer par la construction d’un IMOCA neuf. Selon moi, on a encore le temps à deux ans du Vendée Globe. J’ai beaucoup navigué, j’ai l’expérience de l’IMOCA et surtout j’ai une équipe technique en place qui est très compétente. On peut encore faire un truc super. L’autre plan est de garder le bateau actuel et de le modifier, notamment en ajoutant des foils. On sait ce qu’il y à faire en ce sens, et on sait aussi que ça marche ! Mais chaque chose en son temps, il faut déjà trouver les financements. »

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