Ce vendredi, 11 IMOCA poursuivent leur chemin vers la Guadeloupe. Si Yannick Bestaven a malheureusement dû abandonner, Jérémie Beyou, Alexia Barrier, Fabrice Amedeo, Manuel Cousin et Romain Attanasio comptent bien reprendre la mer après leurs escales respectives. En avant de la course, un quatuor navigue dans les alizés et va se livrer une formidable bataille pour la victoire. Sauf coups de théâtre successifs, Alex Thomson, Paul Meilhat, Vincent Riou et Yann Eliès vont jouer la victoire. Derrière, d’autres batailles pour de belles places d’honneur se mettent en place. Aujourd’hui, c’est Morgan Lagravière qui nous fait part de son analysé avisée de la Route du Rhum en IMOCA.

« Comme on pouvait s’y attendre, Alex Thomson, Paul Meilhat, Vincent Riou et Yann Eliès ont réussi à se faufiler au Sud de la dorsale anticyclonique qui va barrer la route de leurs poursuivants. Les leaders vont commencer à rentrer dans l’alizé profond de Nord-Est et donc s’échapper.

Pour ces marins, les plus au Sud, le confort à bord s’est clairement amélioré. C’est un beau moment de délivrance. Mais même dans l’alizé, il faut garder un niveau de vigilance très élevé pour éviter la sortie de route. La régate peut s’arrêter en un claquement de doigts, il suffit d’un départ au lof ou à l’abattée… D’un point de vue sportif, il reste des choses importantes à faire, et les quatre leaders vont se mettre la pression les uns les autres. Ils vont donc pousser les bateaux à fond et repousser leurs limites physiques. Mais attention car le début de course a laissé des traces sur les bateaux et les bonhommes.

« Paul Meilhat, loin d’être un outsider ! »

Je ne suis absolument pas surpris par les performances de Paul Meilhat. Depuis le début de la Route du Rhum, les concurrents ont souvent progressé dans des conditions plutôt à l’avantage d’un IMOCA avec des dérives droites. Il y a eu beaucoup de près et depuis peu, les premiers font du VMG (compromis cap/vitesse) portant. C’est encore une configuration favorable pour un bateau à dérives. C’est presque une surprise que des IMOCA à foils, notamment celui d’Alex, pas du tout typé pour le près, puissent s’en être sortis aussi bien.

Paul connaît bien la route pour avoir déjà gagné la Transat AG2R en Figaro (sur un parcours entre Concarneau et Saint-Barth). Il est aussi l’un des skippers IMOCA qui a parcouru le plus de milles ces dernières années. C’est tout à fait légitime qu’il se retrouve dans cette situation. Il est bien placé pour percer dans les alizés et remporter la Route du Rhum. Paul est loin d’être un outsider ! La situation est très ouverte et tous les espoirs sont également permis pour Alex Thomson, Vincent Riou et Yann Eliès.

« Une histoire de compromis »

La stratégie sur la suite du parcours va être intéressante à suivre. La route pour aller à Pointe-à-Pitre est plein vent arrière, il va donc y avoir des empannages à prévoir. Globalement, plus on est au Sud, plus on s’éloigne de l’influence de l’anticyclone et plus l’alizé est installé. Différentes trajectoires sont donc possibles. Pour résumer, soit on peut choisir de plonger plus au Sud, en faisant donc plus de route mais en touchant un alizé plus fort ; soit on peut essayer de « couper le fromage » par le Nord, mais ayant moins de pression. Ca doit commencer à mouliner dans les cerveaux des premiers car le choix va devoir se faire assez rapidement. Tout va être une histoire de compromis.

Il est possible que les trajectoires de Paul divergent de celles de ses trois concurrents. Le foil n’apporte pas toujours une valeur ajoutée. Dans certaines conditions c’est un frein plus qu’autre chose. Pour être efficaces et accélérer fort, les foilers doivent mettre plus d’angle dans leurs trajectoires. Toute la question est de savoir si le gain de vitesse peut compenser l’allongement de la route… Cela dépendra beaucoup de l’intensité de l’alizé. Si le vent monte beaucoup, les IMOCA à foils pourront « voler » et auront donc toutes leurs chances. C’est très intéressant car chaque bateau est différent, avec sa gamme de performances. Chaque marin navigue donc avec ses armes, avec les spécificités techniques de sa machine.

« Etre encore en course, une victoire en soi »

Derrière, Boris Herrmann a tenté une option tranchée mais je vois mal comment il va pouvoir s’en sortir car la dorsale qui barre la route est plus imposante dans l’Ouest, je ne vois pas vraiment l’alternative qui s’offre à lui. Cela dit, il est toujours en course, ce qui est déjà une victoire en soi. Beaucoup de très bons marins ont dû s’arrêter et ceux qui ont résisté à des conditions si violentes inspirent le respect, pour le dernier comme pour le premier.

Un bon petit groupe s’est formé avec Stéphane Le Diraison, Alan Roura, Damien Seguin et Arnaud Boissières. Les premiers vont buter dans la dorsale et ralentir, ce qui devrait permettre à Arnaud de revenir. Ils seront probablement tous les quatre assez proches au moment d’attraper l’alizé. Il va y avoir un match dans le match sympa à suivre. Pour eux, cela doit être stimulant de naviguer ainsi au contact. La proximité rassure et permet de se dépasser. Ils engrangent de l’expérience et prennent du plaisir. Et ils se battent pour la 5eplace sur la Route du Rhum, ce n’est pas rien ! Ils font une très belle course.

« La variété de la classe IMOCA est une force »

Je suis aussi Erik Nigon et Ari Huusela. Je ne les connais pas mais je constate que pour des bizuths de l’IMOCA, ils répondent bien présents. Cette première transat en solitaire peut être marquante pour eux. La mixité des profils, des parcours sportifs et des générations est l’une des marques de fabrique de la classe IMOCA. Les concurrents n’ont pas forcément le même niveau sportif sur l’eau mais chacun fait sa course, raconte une histoire. Cette variété est une force. »

Morgan Lagravière

  • Participation au Vendée Globe 2016-2017
  • 2 participations à la Transat Jacques Vabre (3een 2017 avec Eric Péron)
  • 9e de la Transat New York/Vendée 2016
  • 4e de la Transat Saint-Barth/Port-la-Forêt 2015
  • 3e de la Rolex Fastnet Race 2015

Source

Articles connexes