Lundi 5 novembre : l’analyse du jour par Marc Guillemot
Alors qu’Alex Thomson mène la danse et que Jérémie Beyou a subi une inquiétante avarie de barre, Marc Guillemot apporte son regard de spécialiste et livre une analyse personnelle du premier jour de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe en IMOCA.
« Les marins vivent une entrée en matière tonique. Ce n’est facile pour personne. Les sollicitations sont nombreuses pendant les dix jours à Saint-Malo. Même si on arrive à se mettre dans sa bulle de temps en temps, la fatigue s’accumule et certains ne prennent pas le départ à 100 % de leur forme. Cela peut se payer dans un début de course marqué par la complexité météorologique.
Depuis hier, je suivais avec attention la trajectoire d’Alex Thomson. Il a été le seul à passer au Nord du DST (Dispositif de Séparation de Trafic) d’Ouessant. D’autres skippers avaient sûrement envisagé cette option. Il fallait prendre la décision à hauteur de Bréhat. Viser le Nord du DST impliquait de hisser le spi, au lieu du gennaker, et obligeait donc à réaliser des manœuvres supplémentaires. Avec l’angoisse de devoir affaler en urgence si le vent forcit et de prendre le risque de se retrouver au milieu du DST… Je me mets à la place des concurrents d’Alex : on marche bien, on loffe un peu avec la toile qu’on a et, au lieu de mettre cap sur le Nord du DST, on est tenté de passer au Sud. Je ne me permettrais surtout pas de juger leur choix, ce serait bien trop facile de le faire au chaud à terre, avec mes charentaises au pied. Chacun fait sa route en fonction de son état de forme, de son bateau, de son niveau de préparation.
« Le très joli coup d’Alex Thomson »
En tout cas, Alex a fait un très joli coup stratégique. Il a pris un risque en s’écartant de la route directe, il a attaqué et été au bout de son idée. Aujourd’hui, il récupère le gain de son investissement. Hugo Boss est passé le premier au Nord de la dépression en cours et, surtout, il est mieux placé par rapport à la suivante. Avant la fin de la journée il touchera un vent de Sud-Ouest et basculera en bâbord amure, cela voudra dire qu’il est en avant de la grosse dépression. Il va pouvoir faire du Sud et de l’Ouest et aura dans son choix de route plus de liberté que ses concurrents, positionnés plus à l’Est. S’il a besoin de tirer un peu la barre dans les grosses conditions, il aura de l’eau à courir sans avoir de soucis à se faire par rapport aux côtes espagnoles. Pour résumer, plus on est à l’Est, moins la position est favorable pour gérer la dépression.
En tant que marin collé à mon ordinateur, je vis cette Route du Rhum avec beaucoup d’intérêt. Je regarde notamment la bagarre au coude-à-coude entre Vincent Riou et Paul Meilhat pour la deuxième place. Je vois aussi qu’Alan Roura réalise un superbe début de course. Cela fait plaisir de voir qu’avec des bateaux plus anciens, les marins déterminés et volontaires peuvent tenir la dragée haute aux meilleurs dans des conditions musclées.
« Dans le combat, face à des montagnes d’eau »
Les conditions sont déjà difficiles pour les leaders, à commencer par Alex Thomson. Filer à plus de 20 nœuds dans une mer si formée n’est pas anodin. J’imagine Hugo Boss sous l’eau, avec Alex à l’intérieur en ciré, prêt à bondir si besoin. Vu les conditions, il doit naviguer avec 2 ris dans la grand-voile et le J3 à l’avant. Une telle navigation demande sérénité et concentration.
Dans les prochaines heures, les conditions vont se compliquer pour tout le monde. Tant qu’ils n’auront pas passé la ligne Açores-Lisbonne, les marins seront dans le combat et feront face à des montagnes d’eau. Il va falloir gérer au mieux la machine et le bonhomme, en mettant presque le classement de côté avant que la course ne reprenne le dessus. L’enjeu sera de sortir de cette zone dépressionnaire avec un bateau encore en état de performer. Ce sera dur mais il faudra tenir ! On a affaire en IMOCA à des professionnels qui savent gérer ces conditions. Mais il faut tout de même faire très attention… »