Départ d’épreuves
Cette veille de départ ressemble déjà à un branle-bas de combat. Soixante-dix-huit bateaux ont quitté les quais de Saint-Malo pour rejoindre leurs zones d’attente dans le port des Bas-Sablons de Saint-Malo ou au mouillage à Dinard. Un moment d’autant plus fort pour les navigateurs que la météo promet un début de course très dur. Une dépression arrive dans la nuit de lundi à mardi. Elle balayera une très vaste zone sur l’Atlantique, de l’Irlande aux Açores. Et personne ne pourra y échapper.
« Les routes performantes sont les plus exposées. Il faudra penser à des stratégies d’esquive, voire, pour les bateaux les plus lents, penser à s’abriter dans un port. Certains en ont déjà annoncé l’intention, » explique le Directeur de Course, Jacques Caraës. En ce samedi ensoleillé et festif autour des quais du bassin Vauban, pris d’assaut par la foule venue saluer les premiers bateaux à quitter la cité corsaire, l’atmosphère était légère. Il y avait pourtant de la gravité dans les propos des marins conviés ce matin à un ultime briefing de Météo Consult.
Gros temps en perspective
Car c’est du gros temps qui attend les 123 concurrents de la Route du Rhum-Destination Guadeloupe. De ces dépressions, pas si rares à cette période de l’année, et qui rappellent que traverser un océan en solitaire n’est pas un jeu d’enfant. Une vaste perturbation qui s’étend en arc de cercle de la mer d’Irlande jusqu’à l’archipel des Açores, va débouler sur la flotte dans la nuit de lundi à mardi. À l’avant du front très actif, des vents de Sud-Ouest de 40 nœuds avec des rafales à 55. A l’arrière, de l’Ouest à Nord-Ouest toujours puissant, des grains, et une houle de huit mètres !
Les bateaux les plus rapides, ULTIME en tête, suivis des Multi50 et des monocoques IMOCA, seront les premiers à subir le coup de vent. Ils seront aussi les premiers à en sortir. Mais ce sera dur pour tout le monde. « Ça fait partie de la course. Le Rhum reste le Rhum » tente de rationaliser Yann Eliès (UCAR-StMichel). « Il n’y aura pas d’échappatoire. On a le choix entre du vent très fort au Sud et de la mer très forte à l’Ouest, » confirme Jérémie Beyou (Charal). À bord des Multi50, ce sera particulièrement scabreux. « Ça va être la guerre, » prévient Erwan Le Roux (FenêtreA-Mix Buffet). « Si les grains dépassent les 55 nœuds, même sous mât seul, il faut faire attention ».
Dès lundi soir jusqu’à mercredi, la course sera probablement mise entre parenthèses pour une partie des troupes. Cette parenthèse sera encore plus longue pour les 53 Class40 et pour les voiliers des classes Rhum qui s’attendent à une semaine très éprouvante, guidée par un impératif : préserver les bateaux. On parle d’arrêt au stand en attendant une (relative accalmie), de sortir la petite voile tempête orange-fluo, le tourmentin, si rarement utilisée.
Paroles de ponton :
Jean-Luc Nélias, routeur de Thomas Coville (Sodebo Ultim’) :
« On va sortir les piolets ! Ils partent avec du vent de Sud, donc un reaching à fond de balle spectaculaire dès le départ. Ensuite, nous avons une petite dépression secondaire à gérer. On ne sait pas où elle va se situer exactement : en Cornouaille britannique ou dans le golfe de Gascogne. Selon sa position, tu peux passer au-dessus au portant ou dessous, ce qui change pas mal la donne. Si on passe au portant, c’est compliqué, il faut changer de voile, le vent sera rafaleux, c’est un peu dangereux sous gennaker. Il vaudrait mieux qu’on passe dessous, au près, avec un virement de bord, ce serait plus simple. Pour nous, ce passage, ce sera la première nuit, bien avant minuit, on sera déjà à 60 milles dans l’Ouest de Ouessant. Donc ça démanche très vite ! »
Jérémie Beyou (IMOCA, Charal) :
« Pour la journée de mardi, il n’y a pas d’échappatoire, il faut se préparer à naviguer longtemps dans du vent et de la mer très forts et faire attention au bateau…Ne pas y aller, je ne me suis pas vraiment posé la question. J’aurais certainement un peu plus de stress que d’autres. Quoique pour l’instant, je n’ai pas eu de problème avec mon bateau, il me rassure plus qu’autre chose. On sait qu’il a un gros potentiel. Ensuite, trouver le rythme élevé longtemps sera autre chose. »
Thibault Vauchel Camus (Multi50, Solidaires en Peloton-Arsep) :
« Ce sera un début de course velu, maintenant, nous, les bateaux rapides, on a la chance d’avoir une issue de secours. De pouvoir faire du Sud et d’aller chercher La Corogne ou le Portugal. Se donner le moment où on peut aller rechercher le front en gagnant dans l’Ouest quand on jugera que c’est moins violent. Mais il ne va pas falloir traîner. Globalement je suis en forme, même si ce n’était pas une semaine de vacances ici ! Maintenant, l’enjeu c’est de se détendre… on verra si j’y arrive ce soir ! »
Arthur Le Vaillant (Class40 Leyton France) :
« On essaie de prendre des conseils auprès des gars qui ont déjà vécu de telles tempêtes pour savoir si c’est possible de virer sous J3 (petite voile d’avant). Il y a forcément de l’appréhension, sinon je serais inconscient, je ne me suis jamais pris 6-7 mètres de creux. Il faudra y aller tranquille avant de relâcher les chevaux : ce sera de la survie avant de repasser en mode course, ce n’est pas là où tu peux gagner, mais c’est là où tu peux perdre ».
Louis Duc (Class40 Carac) :
« Il va falloir passer cette première semaine, donc naviguer en bon marin. J’ai beaucoup navigué dans de grosses conditions, j’ai eu 60 nœuds à Madère et je suis récemment sorti par 45 nœuds pour justement rencontrer de telles conditions. Je suis prêt pour ça, il faudra mettre la course entre parenthèses, la performance de côté, bien choisir les endroits où on veut passer en fonction de l’état de la mer et il ne faudra pas hésiter à s’arrêter. Ça ne sert à rien de prendre des risques. Ce qui est compliqué, c’est la répétition des chocs, on ne sait pas trop comment les bateaux vont réagir .»
Nils Boyer (Rhum mono Le Choix Funéraire) :
« Ma famille est à bord pour m’accompagner dans ce passage des écluses. Un grand moment à partager avec tous ceux qui me soutiennent dans ce projet, et ils sont nombreux. Nous allons mouiller à Cancale, à proximité de la ligne de départ. Je n’ai pas de plan B en rapport à la météo. On part dans le dur ! C’est la course !»