C’est l’an 1 du vol océanique, un beau rendez-vous
VPLP ? L’acronyme désigne le célèbre cabinet d’architecture navale, associé à la victoire dans la Route du Rhum sur toutes les éditions depuis 1990. Auteurs de 20 bateaux présents au départ cette année, dont quatre ULTIME, trois Multi 50 et neuf IMOCA (co-signés pour huit d’entre-eux avec Guillaume Verdier), Marc Van Peteghem et Vincent Lauriot-Prévost décryptent les enjeux de cette édition marquée du sceau des foilers. Premier volet aujourd’hui avec les ULTIME.
L’idée de voler au- dessus de l’eau n’est pas récente. Quand avez-vous compris que c’était possible d’envisager une transat voire un tour du monde au- dessus des flots ?
VPLP : On a dessiné il y a longtemps Gérard Lambert. Avant, d’autres architectes avaient conçu Paul Ricard ou Hydrofolie. Mais L’Hydroptère a été le premier à voler en mer : ça restait un engin expérimental. Il volait sur des plages d’allures et de vent très étroites. Le vrai déclic en fait, c’est à San Francisco en 2013, avec la Coupe de l’America. Ensuite, il y a eu MACIF de François Gabart…
Mais MACIF dans sa « « configuration « Tour du Monde » ne volait pas …
VPLP : Non car c’était un projet évolutif. Le bateau de François a été d’emblée conçu pour le solitaire alors que ses prédécesseurs (IDEC Sport, Sodebo Ultim’,…) étaient des bateaux d’équipage transformés. Donc MACIF était intrinsèquement plus léger et plus performant. Du coup, l’idée était d’y aller progressivement. Le premier brief était de faire un bateau qui naviguait en mode « skimming ». Les foils sustentent la coque qui rebondit, ricoche mais le bateau n’est pas complètement aérien. On savait bien qu’une fois le tour du monde bouclé, nous lancerions une V2 anticipée car d’autres bateaux sortaient dont Gitana 17 (Sébastien Josse) et le Maxi Solo Banque Populaire IX (Armel Le Cléac’h voir infographie). Le mode « skimming » allait être dépassé et il fallait reprendre de l’avance sur cette approche du vol. C’est la stratégie de François, d’être toujours un peu en avance sur les autres. Il lance un nouveau bateau maintenant qui va sortir en 2020. Ce sera déjà la génération 2. Il faut bien voir que cette Route du Rhum est l’année 1 du vol. C’est la première véritable confrontation océanique de bateaux volants, hormis deux entrainements à Port La Forêt de 48 heures. C’est un beau rendez-vous.
Comment est-on passé du mode archimédien, au « skimming » puis au vol ?
VPLP : Le déclic, ça a été San Francisco en 2013 et l’apprentissage, on l’a fait réellement aux Bermudes où s’est déroulée la Coupe en 2017. On a beaucoup appris là-bas sur les foils. La structure et le dimensionnement, les formes, les profils, l’évolution des sections et le comportement qui en résulte. Quelle combinaison produit un vol stable ou instable ? Dans quelle fourchette on peut mettre le curseur ? Entre-temps, Banque Populaire IX est sorti (le maxi d’Armel Le Cléac’h, NDLR) avec sa première version de foils et nous avons analysé le Maxi Edmond de Rothschild (aussi appelé Gitana 17). On observe beaucoup, on fait un peu de « rétro ingeniering » des autres pour comprendre le pourquoi du comment. Pendant cette période, nous avons fait des tests de matériaux, étudié beaucoup de cas de chargements, validé des processus de fabrication. Quand tu progresses sur la structure, tu peux progresser sur les formes car elles sont intrinsèquement liées. De nouveaux programmes informatiques sont désormais au point avec un couplage fluide/structure : tu dessines une forme, tu la charges, quand tu la charges, elle se déforme, tu analyses son rendement déformé puis tu démarres une nouvelle boucle en faisant varier la structure pour faire évoluer la déformation vers ce que tu souhaites. On ne compare plus des pièces qui sont sur l’étagère mais des pièces en charge, c’est très nouveau.
Sur quels appuis vole un maxi multicoque ?
VPLP : Prenons l’exemple de MACIF. Il faut soulever ses 14,5 tonnes. Pour cela, on a un foil, le safran de la coque centrale, le plan porteur de la dérive centrale qui est en forme de T (on parle de « T-board ») et le safran de flotteur également. Ca représente 3 à 4 m2 de surface dans l’eau une fois que le bateau est aérien. La combinaison des quatre poussées compense le poids du bateau. Ensuite, tu peux jouer sur l’incidence des profils et augmenter la poussée. C’est là qu’on rentre dans un monde nouveau car c’est un monde dynamique. Tu peux régler les foils dans les trois dimensions (« rake », modification en longitudinal, et « cant » modification en latéral). Pour les safrans, tu peux anguler plus ou moins les « flaps » pour faire changer leur incidence et sur la dérive c’est pareil. On peut donc faire varier la proportion de poussée de chaque appendice.
Comment les pilotes actionnent-ils tout ça ? Passent-ils leur temps à régler comme on le fait pour des voiles ?
VPLP : Sur ces grands bateaux, quand tu choques une voile, c’est la misère car c’est très long à reborder. Par contre, pour faire varier l’incidence d’un profil, tu appuies sur un bouton, c’est immédiat car ça passe par de l’hydraulique. Le volet de la dérive, on peut s’en servir pour réguler le vol en fonction des risées. Si le vent rentre, plutôt que de choquer, tu donnes de l’incidence ce qui augmente le couple de redressement et compense le couple de gite. Réciproquement, tu peux relancer quand ça mollit.
L’étape suivante, c’est donc l’asservissement automatique des foils, interdit aujourd’hui par la jauge de la classe Ultim’…
VPLP : Cela existe déjà. Ce n’est pas parce que c’est interdit aujourd’hui dans la classe que les skippers ne pensent pas avec un coup d’avance et s’interdisent de le tester. Demain d’ailleurs, on peut même imaginer que des gens à terre interviennent sur des réglages à bord du bateau. Techniquement, ce n’est pas un fantasme… Un routeur et des performers…
Revenons à l’actualité ! Visuellement, le Maxi Edmond de Rothschild dessiné par Guillaume Verdier est très différent de MACIF et Maxi Solo Banque Populaire IX conçus par VPLP. Ce sont deux voies architecturales ?
VPLP : En gros, je pense que le rendement aérodynamique de la plateforme a été un élément de décision plus important sur le dessin de Guillaume que sur Banque Pop ou Macif MACIF où la priorité a été le poids. On ne voulait pas prendre de la masse pour augmenter le rendement aérodynamique.
Vous parlez de trainée ? Pourtant, le bateau de Sébastien semble plus volumineux, plus massif …
VPLP : Oui mais le dessin de la plateforme lui-même peut créer de la portance et une force propulsive, comme une voile en fait. On appelle ça le « trust » en anglais. Les formes des flotteurs, des bras, des planchers de nacelle, peuvent participer à la propulsion. Sur des bateaux où il y a de moins en moins de trainée hydrodynamique, la trainée aérodynamique prend une part de plus en plus importante. Donc chercher à améliorer ce rendement est une voie. Mais c’est pervers car toutes ces surfaces qui aident à sustenter le bateau participent au couple de chavirage quand le bateau se retrouve gîté à 15 degrés. Et puis, tu augmentes l’enveloppe, donc le poids…
Vous parlez de sécurité justement. A 40 nœuds en solitaire à 1,5 mètres au- dessus de l’eau, on est toujours dans le domaine du raisonnable ?
VPLP : Il y a de nouveaux chocs mais aussi de l’amortissement. Le flotteur retombe plus souplement dans les vagues mais les mouvements dans les trois axes sont beaucoup plus durs à supporter. Une perte de portance et le bateau dérape d’un coup. Une accélération et la variation est très forte également. Paradoxalement, le vol est plus brutal dans les mouvements intrinsèques du bateau mais le passage dans la mer est plus doux…
En sortie de Manche, à partir de quelle force de vent l’architecte dort moins bien en pensant aux skippers ?
VPLP : C’est sans doute le seul truc qui n’a pas changé (rires) ! La mer reste la mer. Mais ces bateaux ne sont pas plus dangereux que les trimarans ORMA de 60 pieds de long. Et puis, tu n’es pas obligé d’être en vol pour être rapideOn est sur de grands appuis avec de longs flotteurs volumineux. On n’en est pas encore au moment où la taille des flotteurs diminue pour gagner de la masse…