Francis Joyon prendra le 4 novembre prochain et pour la 7ème fois le départ de la Route du Rhum. Francis s’y alignera à bord de son trimaran géant IDEC SPORT, voilier légendaire double détenteur du titre avec Franck Cammas (Groupama 2010) et Loïck Peyron (Banque Populaire VII 2014) et qu’il a mené avec maestria au triomphe lors du Trophée Jules Verne en équipage en 2017.
Que de chemin parcouru depuis cette première expérience du Rhum en 1990, quand Francis, moniteur de voile et convoyeur de bateaux, se lançait seul, en course, à l’assaut de l’Atlantique, à bord d’un invraisemblable catamaran «puzzle» assemblé et partiellement construit de ses mains. Débrouillardise, inventivité, prises de risques et résilience surhumaine préfiguraient déjà la « marque Joyon » et cet inimitable style qui allait lors des décennies suivantes faire de lui l’homme le plus rapide sur tous les océans du monde.

Un bateau puzzle !

Francis Joyon et la course au large. Si l’association des mots semblent aujourd’hui relever de l’évidence, rien pourtant ne pouvait, à l’aube des années 1990, laisser deviner que ce moniteur de voile épris de liberté basculerait dans ce circuit si élitiste des dévoreurs d’océans. Et pourtant, un beau soir de 1986, Francis est aux Antilles et tombe en arrêt et en affection devant le catamaran Crédit Agricole de Philippe Jeannot. Entêté en diable, et bien que totalement désargenté, il n’aura de cesse de se doter, par tous les moyens imaginables, de sa propre monture à deux coques. Il rachète ainsi début 1988 et pour une bouchée de pain, les deux coques longues de 22 mètres du catamaran Elf Aquitaine. Il installe un chantier de fortune dans un champs le long du Golfe du Morbihan pour redonner consistance et vie à un étonnant cata puzzle. Le bras arrière n’est autre que celui de Roger&Gallet ayant appartenu à Eric Loizeau. La poutre centrale, Francis la réalise lui-même en contreplaqué et polyester. A partir de trois morceaux de l’espar de Stalaven, Francis construit un mât. Avec des voiles de récupération trouvées en partie chez Pierre 1er de Florence Arthaud, Francis se lance dans ses premières navigations en course et solitaire. 17ème de la Route de la Découverte entre Cadix et Saint Domingue, il ramène le bateau des Antilles en Bretagne, seul et en plein hiver, en 14 jours, quasiment sans pilote.

A la tronçonneuse !

La Route du Rhum 1990 s’avance. Francis Joyon y postule à bord de son drôle de cata avec le soutien de la Banque Populaire de l’Ouest, début de l’engagement historique de la banque dans le sport de voile. Mais l’organisation de l’époque, alarmée par la course aux armements et la démesure des voiliers, décide sur le tard de limiter la taille des engagés à 60 pieds, soit 18,28 mètres ! Pour de nombreux concurrents, le coup est rude et les contraint à l’abandon ou à un départ « en pirate », hors course et hors classement. Francis ne capitule pas aussi facilement. Armé d’une scie égoïne, il tronçonne à Saint-Malo son catamaran sur près de trois mètres. Il calfeutre avec les moyens du bord ses nouveaux tableaux arrière. Mais rien ne lui est décidément épargné et 5 jours avant le départ, l’UNCL lui impose un parcours de qualification qu’il effectue au large d’Ouessant, par force 8 à 9 !

10ème à Pointe-à-Pitre

Le triomphe de Florence Arthaud occulte assez naturellement sa course qui est pourtant tout sauf anodine. Privé de pilotes, Joyon voit rapidement ses voiles de récupération se délaminer et se déchirer. La grand voile est bloquée au troisième ris et son catamaran alourdi par les dizaines de litres d’eau qui s’engouffrent par ses tableaux arrières remontés à la hâte, peine à rallier la Guadeloupe. Epuisé, affamé, en proie aux hallucinations, Francis rejoint pourtant Pointe-à-Pitre à la dixième place, en 17 jours, 13 heures et 14 minutes, deux jours et 19 heures après Pierre 1er.

L’épopée du bateau puzzle se termine dramatiquement quelques jours plus tard, lors du convoyage retour que Francis effectue en solitaire. A 1 000 milles au nord de Saint-Martin, il démâte, et la chute de l’espar entraînant une voie d’eau, il doit abandonner son voilier. Francis est recueilli sain et sauf par un bananier qui fait route vers Panama. Pour la petite histoire, Francis apprendra 27 ans plus tard que les restes de son premier voilier de course ont été retrouvés sur la plage de Wild Cow Run, sur l’île de Middle Caicos aux îles Turks-and-Caïcos.

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