Entretien avec Gautier Sergent, à la tête de la recherche et du développement chez North Sails…

Gautier, peux-tu nous parler des différences entre l’édition 2014-15 et celle de 2017-18 ?

Pour la dernière édition, on a introduit une nouvelle voile, le J0, suite aux debriefings qu’on avait faits avec les marins mais aussi à nos analyses de données. On avait notifié un petit trou dans l’inventaire, après études de routages etc, donc on a présenté un dossier pour montrer l’intérêt de cette nouvelle voile sur la durée d’une course. Résultat, on est quand même content parce que c’est avec celle-ci qu’ils ont battu le record des 24 heures en mai dernier (team AkzoNobel : 602,51 milles nautiques). On ne s’est donc pas trompé, ce qui fait toujours plaisir.

L’autre différence, c’est que pour l’édition 2014-15, on était en 3Di endurance, une version plus robuste des voiles, et là, on est passé en 3Di RAW. C’est plus léger, puisqu’on enlève toute protection (ragage, UV etc.), et on remplace le tout par une résine un peu plus dure. Les fibres sont plus exposées mais on gagne énormément de poids sur le bateau.

Avant de se lancer dans sa cinquième Volvo Ocean Race, Gautier avait également mis les pieds côté équipe dans le passé, en étant notamment engagé aux côtés de Groupama en 2011-12.

En 2012 on n’avait pas de recul sur ces technologies, puisqu’elles ont été développées sur la coupe de l’America à San Francisco. Maintenant qu’on a un Vendée globe et quelques Jules Verne sous la ceinture, on se sentait plus à l’aise de le reproduire sur la Volvo Ocean Race.

Chaque équipe a 8 voiles, et tout en double. Comment gère-t-on la durabilité d’une voile ?

Il y a plusieurs composantes : la distance, le temps de course et puis le parcours aussi : Sur un Vendée Globe, la plupart de la navigation se fait au portant et il y a beaucoup de temps passé dans le grand sud. À cette allure par exemple, les voiles souffrent moins, elles sont moins bordées, il y a moins de charge, mais aussi moins d’UV, tandis que sur la Volvo Ocean Race, tu as plus d’exposition aux UV, les bateaux passent plus de temps au près etc.

Toi qui a été dans des équipes, comment gère-t-on la rotation des voiles ?

Cela dépend des stratégies des équipes, et de leur préparation. C’est-à-dire que des équipages comme MAPFRE ou Dongfeng qui sont arrivés assez tôt ont tendance à faire tourner leurs voiles beaucoup plus tôt dans la course, parce que pour eux, l’intérêt est de marquer le plus de points possible et de capitaliser sur leur entraînement pré-course. En revanche les équipes arrivées plus tard vont garder leurs jeux de voiles plus longtemps, car elles savent qu’elles ne sont pas encore au niveau de rivaliser en terme de vitesse etc. Cela leur permet d’apprendre et lorsqu’elles sentent qu’elles sont au niveau, elle sortent leur deuxième jeu de voiles et essaient justement d’avoir ce petit coup de boost à mi-course afin de prendre l’avantage sur les autres équipes.

Pourquoi deux jeux de voiles ?

En 2014 on avait 11 voiles, cette fois-ci on en avait 16, ce qui n’était pas lié à la durabilité des voiles, mais plutôt à une problématique de gestion de course en cas de pépin ou de perte de voiles…

L’idée était de se dire, on en fait deux de chaque et ceux qui en abîment ou en perdent une, en auront une autre. C’est ce qu’il s’est passé avec MAPFRE, Vestas 11th Hour lorsqu’ils démâtent… Ou même SHK Scallywag, qui a perdu une voile sur une manoeuvre en arrivant à Melbourne.

Y-a-t-il une deuxième vie pour les voiles, post Volvo Ocean Race ?

Ça dépend si le bateau continue de naviguer, comme Brunel qui n’a quasi cessé entre les deux dernières éditions par exemple, avec une grand voile qui avait plus de 80 000 milles à la fin…

D’autre part, certaines voiles d’équipes qui ne sont pas reparties comme Abu Dhabi, ont été récupérées pour faire ce qu’on appelle du Upcycling (recyclage pour faire des sacs, meubles etc.)

Quel a été l’entretien réalisé sur les voiles pendant les stopovers ?

On n’a pas le droit de changer la forme, c’est-à-dire qu’il faut faire la différence entre un problème lié a la conception, ou à l’utilisation, donc c’est toujours une discussion avec les équipes pour évaluer le problème. S’il est général à la flotte, on fait une réparation commune à tout le monde en un seul coup, comme ce qu’il s’est passé avec les J1, puisque les embouts de latte étaient un peu fragiles.

Sinon on se contente de réparer les petits trous, les petites déchirures etc. Donc on répare mais on est surtout là pour faire un check de la voile, et nous assurer que son intégrité ne soit pas compromise.

Qu’est ce que vous avez appris suite à cette dernière édition ?

D’abord on a tous été surpris par le niveau auquel ils ont réussi à pousser ces bateaux et à en extraire des vitesses aussi élevées, puisqu’ils sont même allés flirter avec un bateau comme Comanche (100 pieds), qui détient le record absolu de distance parcourue sur 24 heures en monocoque (618 milles nautiques). Ça montre qu’ils sont à 100% d’exploitation du potentiel des bateaux.

Le gros enseignement est que l’A3 (le grand Gennaker type Spi) n’a pas été vraiment utilisé au large parce qu’ils ont des façons de naviguer différentes, un peu plus loffées… et la combinaison entre le MH0, J2, J3 était la tendance de cette course, qui nous a aussi surpris. Après analyses on comprend mieux pourquoi, et ce qu’on ferait différemment la prochaine fois. Même si on a plein d’outils, il y a quand même des facteurs humains et marins qui font que l’utilisation des bateaux est toujours différente de ce qu’on anticipe.

Le point marquant de la course ?

Ce qui résumerait cette course : 45 noeuds sont les nouveaux 35. C’est-à-dire qu’avant, les marins régataient et poussaient les bateaux dans 35 noeuds. Aujourd’hui ils continuent, mais dans 45 ; il n’y a pas un moment où ils mettent le pied sur le frein !

D’ailleurs les vitesses sont très élevées. Si on regarde les moyennes de l’étape entre Auckland et Itajaí, on est autour des 20 noeuds, ce qui est hallucinant… Quand on voit que sur un Vendée Globe, c’est plutôt autour des 15…

Source

Articles connexes