Pas à pas vers le Rhum
Le 7 mai dernier, le Maxi Edmond de Rothschild quittait la nouvelle base Gitana de Lorient après quatre mois d’un premier chantier hivernal principalement axé sur la fiabilisation. Avec Cyril Dardashti, le directeur du team, Sébastien Josse avait imaginé un programme sportif d’avant-saison basé sur deux transatlantiques. Ces 6 000 milles constituaient une montée en puissance vers l’exercice du solitaire, au large, en multicoque. La météo peu « collaborative » de cette fin de printemps oblige cependant le skipper du Gitana Team à revoir son programme pour s’adapter au mieux à la préparation de la Route du Rhum – Destination Guadeloupe. Qu’importe, le terrain de jeu est grand et les options multiples d’ici au 4 novembre prochain. L’essentiel est bien de garder la belle dynamique qui accompagne l’équipe aux cinq flèches dans la mise au point du Maxi Edmond de Rothschild depuis sa « naissance » il y a bientôt un an.
Programme revu et adapté
La voile est un sport mécanique où la technicité et la technologie tiennent aujourd’hui, plus que jamais, une place centrale. Elle n’en reste pas moins une discipline où l’athlète doit sans cesse composer avec les éléments naturels que sont la mer et le vent. « Il faut toujours faire avec ce que nous propose la météo ! Et depuis notre remise à l’eau elle ne nous gâte pas vraiment. Ces dernières semaines nous étions dans le secteur chaud d’une dépression. De l’Ukraine à la Bretagne on pouvait voir s’étendre une énorme bulle anticyclonique qui constituait une véritable barrière pour toutes les dépressions. L’anticyclone des Açores n’a pas joué son rôle habituel ces dernières semaines, plutôt calé sur les Canaries que sur l’archipel portugais. Ces conditions météos n’étaient clairement pas favorables aux records/traversées atlantiques imaginés dans notre préparation » expliquait le skipper Gitana, avant de poursuivre : « L’idée n’est pas de traverser dans 10-15 nœuds de vent… pour poursuivre notre mise au point, nous devons éprouver le Maxi. Nous cherchons des phases de 4-5 jours où l’on puisse aller exploiter le bateau dans du médium à fort (25-35 nœuds de vent) mais jusqu’à présent cette configuration ne s’est pas présentée à nous. Pour ne pas rester les bras croisés, nous avons décidé de modifier notre programme.»
«Nous savions le timing serré et il fallait que tout s’enchaîne bien. Malheureusement, aujourd’hui nous n’avons plus le temps matériel de faire cet aller-retour transatlantique car des opérations internes avec le Groupe Edmond de Rothschild, prévues de très longue date, nous attendent début juillet. Les semaines suivantes devaient être plutôt dédiées à de la technique à Lorient mais nous avons avancé les travaux imaginés – comme sortir les foils pour un check complet et une reprise des profils. L’été sera du coup vraiment ouvert pour des navigations en espérant que la météo sera un peu plus de la partie ! » complétait Cyril Dardashti.
Un apprentissage méthodique
Le 4 novembre au large de Saint-Malo, ils seront six à s’élancer sur la mythique Route du Rhum dans la catégorie Ultime. D’ici là, peu de confrontations sont programmées entre le Maxi Edmond de Rothschild et ses adversaires : « Ce n’est pas l’envie qui nous manque mais nous avons tous nos contraintes de chantier et d’agenda. Sportivement et techniquement, nous sommes à des niveaux très différents de notre préparation. Des bateaux comme Sodebo Ultim’ ou Idec Sport sont super optimisés et bénéficient aussi aujourd’hui de toute l’expérience technique accumulée par leur skipper. Ils ne sont pas exactement dans la même démarche de mise au point et de fiabilisation que nous… Macif est en chantier pour encore quelques semaines, tout comme Banque Populaire ! Cette phase de navigations « communes » viendra certainement plus en septembre ou octobre si des occasions se présentent. Autrement, il faudra attendre début novembre aux large des côtes bretonnes » glisse Sébastien Josse non sans impatience.
Mais avant cette échéance, qui constitue le grand rendez-vous de la saison 2018, l’équipe aux cinq flèches a fort à faire ! Engranger des milles au large, apprivoiser la machine, apprendre ses gammes et les répéter mille fois dans toutes les configurations météos possibles pour qu’elles deviennent des automatismes… Chaque année, la musique est toujours la même, mais l’air diffère tant chaque bateau est unique. Un constat d’autant plus vrai pour le dernier-né des Gitana. « Pour construire Gitana 17 nous sommes partis d’une feuille blanche et moins d’un an après la mise à l’eau du bateau je n’ai pas honte de dire que nous sommes encore dans une phase de découverte. Pas de découverte du bateau, mais bien plus de mise au point et de réglage de l’ensemble des systèmes embarqués, dont la complexité est à la hauteur des ambitions et des promesses de navigation de ce géant de 32 mètres » rappelle Cyril Dardashti, le directeur du team.
En d’autres termes, si le Gitana Team ne fait pas beaucoup de bruit depuis quelques mois, c’est qu’il travaille … « Au sein du Gitana, nous sommes encore dans une phase de « recettage » technique après un chantier hivernal guidé par l’expérience acquise sur la Transat Jacques Vabre. Pour chaque sortie, qu’elle dure quelques heures ou quelques jours, nous avons des listes de tâches précises à mettre en œuvre. Les sorties peuvent éventuellement être thématiques (voiles, appendices, électronique…) mais généralement tous les domaines sont passés en revue. Il faut y aller point par point sans brûler les étapes ! La phase sportive va suivre, il faut juste encore un peu de patience » note le skipper.
« Ces nouveaux grands multicoques océaniques nous obligent à beaucoup plus de rigueur. La préparation est méthodique. Naturellement le chavirage de Banque Populaire, survenu en avril, fait réfléchir ! On sait que notre discipline comporte certains risques, et particulièrement celui-ci. C’est une alerte qui nous rappelle la réalité du multicoque en solitaire… D’autant que j’insiste vraiment mais ces nouveaux bateaux nous propulsent dans une autre dimension. À ce jour, seulement deux existent et par conséquent seuls Armel (Le Cléac’h) et moi savons concrètement les efforts que ces machines de dernière génération réclament. Et encore, nous n’en sommes qu’aux prémices ! Nous essayons beaucoup de choses et nous découvrons tous les jours des nouveautés grâce à cette phase de mise au point qui est très intense et surtout passionnante ! »
Un œil sur la Volvo !
Il y a quelques jours, lors de l’une des sorties au large du Maxi Edmond de Rothschild, Sébastien Josse et son équipage s’accordaient un rapide détour par la Mer Celtique afin de saluer la flotte de la Volvo Ocean Race. Les sept monotypes débutaient alors la dixième et avant-dernière étape de l’épreuve entre Cardiff et Göteborg. Au-delà de quelques belles images diffusées sur les réseaux sociaux, ce croisement de « deux mondes » de la course au large tenait à cœur au skipper d’Edmond de Rothschild. Sébastien Josse n’oublie pas qu’il doit, en effet, beaucoup à ce célèbre tour du monde avec escales. En 2005-2006, il était le plus jeune skipper de l’histoire à se voir confier la barre d’un bateau et surtout il rouvrait la voie aux marins français sur l’épreuve, le dernier en date étant un certain Eric Tabarly ! La Volvo est une étape importante dans sa vie de navigateur, tout comme pour Thomas Rouxel, son co-skipper et partenaire d’entraînement en cette année de solitaire. Le natif d’Erquy a terminé troisième de l’édition 2014-2015 avec Dongfeng Race Team et a plus récemment embarqué à bord de Brunel. C’était lors de l’étape du Grand Sud entre Auckland et Itajaí, que le VOR néerlandais a brillamment remporté…
Demain, la flotte de la Volvo s’élancera pour les derniers 700 milles de son édition 2017-2018. Une étape très courte mais où l’ambiance s’annonce électrique. Avant cette dernière étape à destination de La Haye, trois des sept concurrents peuvent encore prétendre à la victoire finale et se retrouvent quasiment à égalité de points en haut de tableau… le suspense est ainsi entier et la tension sera à son comble le 24 juin, date à laquelle les monotypes sont attendus aux Pays-Bas. Sébastien Josse et Thomas Rouxel, observateurs avertis de ce scénario parfait, se sont prêtés au jeu des pronostics pour nous : « C’est un peu le but en or cette histoire ! J’ai une pensée pour toutes les équipes car ça s’annonce vraiment tendu comme finish. Ca va être très intense pour eux les prochains jours mais la victoire finale n’en sera que plus belle… Brunel est l’équipage fort du moment avec une grosse confiance emmagasinée depuis quatre étapes, ils sont solides et je suis admiratif de leur fin de course. Mapfre, après un début de tour du monde dominateur, semble à l’inverse un peu moins performant… mais ils sont toujours là. Xabi Fernandez est un grand marin. Dongfeng est d’une impressionnante régularité depuis des mois, toujours placé dans le haut du tableau. Les trois méritent clairement de gagner mais mon choix de cœur ira bien sûr pour nos « français » menés par Charles ! Ils font honneur au savoir-faire français » confiait Sébastien Josse. « C’est très difficile comme question ! Déjà les écarts sont infimes à l’arrivée des étapes longues alors imaginez pour celle-ci… Maintenant il y aura énormément de coups à jouer avec beaucoup d’effets de site, de courant…Entre les trois tout est possible et la quasi égalité montre que tous le méritent. Quoiqu’il arrive le vainqueur de cette édition sera un très beau vainqueur ! De mon point de vue, Brunel semble avoir l’ascendant psychologique sur cette fin de course avec beaucoup de réussite depuis leur victoire à Itajaí ; ils naviguent vraiment très bien et en confiance. Mais forcément j’ai beaucoup de très bons copains sur Dongfeng et j’aimerais les voir gagner cette Volvo » se risquait Thomas Rouxel.