Avec le prologue disputé hier dans des conditions musclées, l’AG2R LA MONDIALE a offert les premières images saisissantes d’un spectacle qui débutera à Concarneau le 22 avril. Si une Transat évoque avant tout les surfs alizéens et la route vers les latitudes clémentes, il faut aussi rappeler la dimension matérielle de cette aventure : un Figaro de 3 tonnes et 2 skippers (Adrien Hardy et Thomas Ruyant, solides prétendants à la victoire), qui consommeront 120 litres d’eau à deux, 50 litres de gasoil et un panneau solaire pour recharger les batteries du bord, pour une traversée de 20 jours de mer jusqu’à Saint-Barthélemy (3 890 milles). Revue en détail avec Adrien et Thomas des enjeux marins, écologiques et climatiques d’une Transat.

Adrien Hardy aime rappeler qu’accomplir une traversée de l’Atlantique aujourd’hui fait écho aux premiers exploits de la fin du XVe siècle : « Partir pour traverser l’Atlantique à la voile nous rappelle l’histoire des premières traversées réalisées par les pionniers. Les conditions sont très différentes à bien des égards, mais nous avons en commun cette géographie irréductible : nous allons parcourir la même distance sur le même océan qu’il y a plusieurs siècles ! Notre quotidien sera occupé à différentes tâches : faire avancer le bateau, analyser la stratégie, se nourrir, entretenir le bateau. Comme au temps de Christophe Colomb, le parcours d’une Transat se fait en fonction des vents dominants : c’est à partir des Canaries, là où les alizées se forment, que l’on établit notre route pour être porté par ces vents qui nous transporteront jusqu’aux Antilles. »

« La présence massive et récente de ces algues doivent nous alerter sur le changement du milieu marin »

Une des spécificités d’une Transat en 2018, c’est qu’elle se déroule sous un ciel inquiétant et instable : celui du changement climatique. Le marin perçoit-il des effets particuliers à partir de son poste d’observation ? « À mon échelle, explique Adrien, il est difficile de dire si le milieu marin a évolué, de mesurer les changements sur une période relativement courte. Pour autant, entre ma 1ere mini-transat il y a 15 ans et aujourd’hui, j’ai remarqué que les poissons volants qu’on voyait à partir de la latitude de Gibraltar-Madère il y a 15 ans, on les rencontre actuellement à la hauteur de Porto… c’est probablement un signe de réchauffement des océans, de remontée vers le nord de certaines espèces de poissons.

Il y a également les sargasses, des algues qui se développent à partir du nord du Brésil et migrent dans l’Atlantique et vers îles des Caraïbes. Elles peuvent s’étaler sur plusieurs dizaines de kilomètres en mer, elles recouvrent l’eau, et un peu comme les nénuphars sur un étang entraînent une eutrophisation de l’eau et perturbe le milieu marin. Depuis 2011, on a constaté une augmentation de la quantité et de superficie de ces algues, on en rencontre assez tôt, à mi-distance des Canaries et des Antilles. » Thomas insiste également sur « la présence massive et récente de ces algues qui doivent nous alerter sur le changement du milieu marin : est-ce l’effet du réchauffement climatique, de pollutions ? À notre échelle d’une dizaine années de recul, il faut être prudent sur les conclusions, mais il y a dégradations des océans. J’avais notamment été marqué par la pollution des mers lors d’un convoyage le long du Portugal : il n’y avait pas de vent du tout, l’eau était comme un lac et on pouvait observer des milliers de particules de pollution, du plastique notamment. Dès lors qu’il y un peu de vent, la mer est en mouvement et on ne voit généralement pas ses éléments… »

« Fonctionner davantage à l’économie, à la sobriété et à l’efficacité énergétique »

Le skipper d’AGIR RECOUVREMENT abonde dans ce sens : « Il y a effectivement les objets flottants : palettes, néons, sacs plastiques, etc. De la terre on pense que la mer est infinie, car le regard se perd dans l’horizon, mais quand on a traversé l’océan on mesure que la mer est certes une grande étendue, mais pas illimitée, et surtout, elle ne peut évidemment pas absorber tout ce qu’on rejette. L’addition quotidienne et successive de rejets de toutes sortes sature un milieu même aussi vaste que les océans ! Nous devons faire bien plus attention à nos déchets au quotidien, les emballages, au gaspillage. La navigation en mer est en partie une parabole de ce qu’on pourrait et devrait faire à terre : fonctionner davantage à l’économie, à la sobriété et à l’efficacité énergétique. Cela dit, le milieu de la voile a aussi beaucoup à faire : être moins gourmand en énergie et moins de matières premières. »

Les deux marins s’imaginent en 2030 et réfléchissent aux évolutions que pourrait vivre l’AG2R : « Pourquoi ne pas faire une transat avec 0 litre de gasoil, installer des hydroliennes pour générer notre propre énergie comme cela se fait sur d’autres bateaux, c’est une évidence ! Une fois arrivés à Saint-Barthélemy, pourquoi ne pas réfléchir ensuite à un retour des bateaux à la voile lors d’une course vers la Bretagne ? Cela nous éviterait le retour par cargo, il faudrait passer par l’Atlantique Nord. » Thomas complète son compère : « L’exemple de Conrad Colman lors du dernier Vendée Globe doit nous inspirer, il n’a pas utilisé de gasoil pour produire de l’énergie. On peut aussi réfléchir à une évolution des matériaux, car on sait que ceux qui sont aujourd’hui utilisés ne sont pas irréprochables… » Lors des longues heures à la barre au portant, nul doute qu’Adrien et Thomas phosphoreront sur les évolutions possibles et souhaitables à mener en course au large et à différentes échelles à terre !

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