Duel dans le Grand Sud
Cinq jours après le départ de la troisième étape de la Volvo Ocean Race, le Grand Sud a opéré un premier tri dans la flotte des sept VO65 secoués dans des conditions typiques de l’Indien, à savoir du vent fort et une mer creuse. A ce jeu particulièrement costaud, Dongfeng Race Team et MAPFRE se sont montrés les plus solides. Les deux équipages, qui approchent de la longitude des Kerguelen, ont creusé un écart conséquent sur le reste de la flotte.
Ils voulaient voir à quoi ressemblait le Grand Sud, ils ont été servis ! Pour les nombreux bizuths parmi les 63 marins partis dimanche dernier du Cap à destination de Melbourne pour la longue troisième étape de la Volvo Ocean Race (6500 milles), le baptême du feu dans l’Indien aura été plus que tonique ! Fidèle à sa sinistre réputation, ce dernier leur a en effet offert une première grosse dépression typique de cette région inhospitalière du globe, faite de vents violents et de déferlantes à n’en plus finir, apportant son lot de conditions extrêmes : bateau secoué dans tous les sens, froid, humidité, rendant difficile toute vie à bord…
Ces conditions ont, après cinq jours de mer, considérablement « écrémé » la flotte et provoqué les premières avaries. La plus sérieuse a touché AkzoNobel dont le rail de grand-voile n’a pas résisté à un empannage dans 35-40 nœuds (voir les images impressionnantes), contraignant l’équipage de Simeon Tienpont à lever le pied pour affaler la grand-voile, elle-même abîmée, avant de remonter plus au nord pour trouver des conditions plus propices et tenter une réparation, d’où sa dernière position actuelle. « Toute l’équipe travaille très dur depuis un jour et demi pour fixer ce truc. Nous avons mis le cap au nord, il fait dix degrés de plus, ce qui nous a permis de descendre le rail du mât et de commencer à réparer la grand-voile C’est loin d’être idéal, comme situation – nous disions avant le départ de l’étape que nous avions besoin d’arriver en un seul morceau à Melbourne. Malheureusement, nous avons fait un mauvais empannage, maintenant, nous devons faire avec et nous battre, il n’y a pas d’autre chose à faire », a commenté le skipper néerlandais vendredi.
Pour les autres, la question de la semaine aura été : quelle stratégie suivre pour faire face à un violent phénomène météo appelé à générer des vents allant jusqu’à 60 nœuds ? Pour Dee Caffari, l’option choisie a été celle de la sécurité, du bateau et d’un équipage peu expérimenté, d’où le choix de la skipper britannique d’emprunter une route assez nord pour échapper au plus gros du vent, ce qui a logiquement relégué Turn the Tide on Plastic en queue de peloton, sixième ce vendredi, à plus de 200 milles du leader, Dongfeng Race Team.
A l’inverse, les équipages les plus expérimentés ont foncé tête baissée dans le front, descendant plein sud pour flirter avec la limite de la zone d’exclusion des glaces, quitte à se coltiner grosse mer et vents dépassant les 50 nœuds. Ambiance « fast and furious » à bord garantie ! Charles Caudrelier, skipper de Dongfeng Race Team, évoquait ainsi jeudi des pointes à 33 nœuds et un « état de la mer terrible ». Des conditions dantesques, mais des choix de route délibérés qui, pour l’instant, portent leurs fruits. Depuis le début de la semaine, c’est en effet le bateau battant pavillon chinois qui est le patron, imposant un rythme d’enfer en tête de la flotte, que seul les Espagnols de MAPFRE réussissent à suivre, deuxièmes ce vendredi à une quinzaine de milles du leader. Pas un hasard de retrouver ces deux-là aux commandes, selon Marcel Van Triest, le spécialiste météo de Dongfeng Race Team, interrogé par son équipe à terre : « Ce sont les bateaux qui ont passé le plus de temps sur l’eau avant la course. On constate que cette préparation paie, mais ce différentiel de performances sera de plus en plus faible au fur et à mesure de la course ».
Derrière, Vestas 11th Hour Racing suit à une centaine de milles, tandis que Team Brunel et Sun Hung Kai/Scallywag qui avaient choisi une option médiane au moment d’affronter la première dépression du Grand Sud, sont déjà à plus ou moins 200 milles. La suite du programme ? Encore et toujours du vent et des successions d’empannages le long de la zone d’exclusion des glaces, avec, pour les skippers et leurs navigateurs, les yeux rivés sur les compteurs et sur la vitesse de leurs rivaux. « Les conditions vont rester relativement fortes, l’idée est de garder de la vitesse tout le temps et de ne pas faire d’erreurs avec la zone d’exclusion des glaces. Ça tient à de la micro-stratégie, il faut juste choisir le bon moment des empannages », poursuit Marcel Van Triest qui estime, que par rapport à Dongfeng, « MAPFRE n’a pas vraiment d’option : ils sont si proches qu’ils sont dans le même système météo, donc la seule chose à faire est de conserver la moyenne la plus élevée possible, ça veut dire que ce n’est pas possible de se relâcher, il faut sans cesse garder le pied sur la pédale d’accélérateur ». Ainsi va la vie dans le Grand Sud…