Jamais en six siècles un navigateur n’a osé tenter pareil projet… Un défi insensé dont la seule pensée dissuade les marins les plus aguerris. Il n’en fallait pas plus pour aiguiser l’appétit d’Yvan Bourgnon, insatiable lorsqu’il s’agit de marquer l’histoire. Voilà donc le navigateur franco-suisse à l’assaut de ce qui pourrait être l’un de ses plus beaux exploits: le Défi Bimedia qui consistera à franchir du passage du Nord-Ouest, entre l’Alaska et le Groenland, sur un catamaran de sport en solitaire, sans habitacle, ni assistance ! Un défi sportif hors norme qui aura aussi pour objectif de sensibiliser le public sur les effets du réchauffement climatique et témoigner de la présence de multiples déchets océaniques, phénomène devenu planétaire.

Le défi de tous les dangers

C’est mi-juillet qu’Yvan Bourgnon s’élancera du détroit de Behring pour une navigation périlleuse de 7 500 kilomètres en solitaire. Une aventure hors norme qui devrait durer deux mois, et emmener Yvan du Pacifique à l’Atlantique, en passant par le nord Canadien au milieu des glaces, sur un voilier de six mètres de long. De Nome (Alaska) à Ingsugtusok (Groenland), il traversera la mer de Beaufort, l’Océan Arctique et la mer de Baffin.
En sillonnant le Cercle Polaire Arctique, Yvan sera confronté aux difficultés tant redoutées par les marins : le froid (entre -10° et +5° C) et les icebergs (pouvant atteindre 40m de hauteur). Un refroidissement prématuré de la région entrainerait immédiatement une reconstitution de la banquise et un risque de blocage pur et simple de l’embarcation. Les risques de collisions avec les glaces et la banquise obligeront Yvan à une veille active permanente.

Mais le principal danger viendra de l’omniprésence des ours polaires attirés par l’odeur de l’homme et de plus en plus agressifs avec le réchauffement climatique. Un ours  polaire nage à plus de 10 km/h. Tous les aventuriers ayant pratiqué la zone jusqu’à ce jour avaient au moins une solution de repli : soit un habitacle sécurisé, soit une propulsion motorisée permettant de fuir à une vitesse suffisante. Yvan ne disposera ni de l’une, ni de l’autre. Il sera seul face au danger dans une embarcation où les ours peuvent aisément monter et surprendre le navigateur dans son sommeil. Des obstacles qu’il appréhende du mieux possible : « L’expérience de mon tour du Monde me permet de monter d’un cran en terme de difficultés. Le timing pour faire l’ensemble du Passage en une seule saison est serrée, je vais devoir redoubler d’efforts pour essayer de naviguer 2 mois sans quasiment m’arrêter. De plus, la zone est relativement mal cartographiée, notamment pour les hauts fonds, ce qui implique une navigation à vue permanente. J’ai renforcé les étraves du bateau en kevlar afin de pouvoir toucher les glaçons. »

Qu’est-ce que le passage du Nord-Ouest ?

Le passage du Nord-Ouest est le passage maritime nord qui relie l’océan Atlantique à l’océan Pacifique en passant entre les îles arctiques du grand Nord Canadien. Non navigable il y a encore quelques années, le Passage du Nord-Ouest est désormais une route océanique possible, le réchauffement des eaux ayant entrainé une fonte partielle de la banquise entre le pôle et le continent.

Un catamaran de plage pour braver les glaces

6,30m de long, 4m de large. Les dimensions réduites du catamaran de sport d’Yvan Bourgnon sont inversement proportionnelles à la taille de du défi qui l’attend. Et pourtant, Yvan a fait de ce catamaran de sport son bateau de prédilection. Jugeant que celui-ci offre de multiples possibilités de navigation et notamment de réaliser des défis à taille humaine, le navigateur franco-suisse ne cesse de repousser ses limites avec ce petit engin de plage.
En septembre 2013, c’est sur ce même bateau (« Ma Louloutte ») qu’il réalisa un tour du monde en solitaire par l’équateur. Il mettra près de 2 ans et 230 jours en mer pour boucler ce fabuleux défi, au prix de multiples péripéties à la limite du supportable.

Un défi à double vocation, sportive et environnementale

Au-delà même de l’exploit sportif, Yvan Bourgnon souhaite, à travers ce défi Bimedia, porter un double message. Le premier, qu’il porte depuis 2010, date de sa toute première traversée en catamaran de sport : revenir aux fondamentaux de son sport en naviguant sur un engin non habitable et non motorisé, en avançant à la seule force du vent et en se dirigeant à l’intuition, avec son sens marin hors du commun.

Le second message, tout aussi déterminant, de ce périple dans les glaces sera de témoigner des conséquences du changement climatique et de la pollution des océans. Une nouvelle occasion pour lui de sensibiliser le public sur les effets du réchauffement climatique et alerter sur la présence de multiples déchets océaniques, au niveau planétaire.

Interview Yvan Bourgnon

Yvan, votre catamaran Ma Louloutte est déjà embarqué en container pour l’Alaska. Pouvez-vous revenir sur les modifications techniques que vous lui avez apportées pour ce défi Bimédia, le passage du Nord-Ouest ?

Les modifications reposent essentiellement sur la solidité et le confort du bateau. Les étraves ont été étudiées et renforcées pour taper dans les glaçons. Une mini tente de protection a été installée, ce qui me permettra de me réchauffer si je venais à tomber à l’eau. Un système de pilote automatique a également été intégré pour essayer de mieux gérer le sommeil.

La nouvelle route maritime qu’est le Passage du Nord- Ouest est encore méconnue. Comment préparez-vous votre navigation ?

Je me situe plus comme un explorateur qu’un scientifique. L’idée de ne pas tout savoir sur ce qui m’attend me plait. De par mon côté explorateur, je souhaite trouver des solutions
en cours de route. J’ai été obligé de prévoir quelques solutions notamment dans la préparation du bateau et des alternatives face à l’environnement hostile. Je me suis nommant fait faire une combinaison étanche sur mesure pour aller dans l’eau et j’aurai un YouYou (petite annexe) pour rejoindre la terre si besoin. Je sais qu’il va faire froid et que l’eau froide sera un vrai souci. J’ai du forcément adapter mon matériel. Mon défi reste d’aller découvrir sur place et de ne pas tout savoir à l’avance. La zone est très mal cartographiée donc je me prépare à une navigation à vue. Je serai équipé d’un GPS qui me donnera des indications mais je ne devrai pas lui faire totalement confiance car les hauts fonds ne sont pas forcément notifiés. L’instinct et la navigation visuelle feront la différence.

Dans ce milieu hostile où la faune maritime est très présente, quelles mesures de sécurité avez-vous anticipées ?

J’utiliserai des systèmes qui sont validés depuis longtemps et fonctionnent très bien en cas de secours comme le téléphone par satellite et des balises de détresse. Ces secours ne pourront marcher que si je suis en configuration d’accident léger comme une blessure ou des dégâts légers sur le bateau. En cas d’événement grave, un bateau qui se disloque ou moi qui tombe à l’eau, je devrai me débrouiller seul avec ce j’ai sous la main. Ça peut se jouer en quelques secondes. Je peux prendre toutes les dispositions de sécurité inimaginables, ce sera malgré tout moi-même qui serai le seul garant de ma propre sécurité. Il y aura un responsable sécurité à terre, Yann Bonneau, qui suivra le bateau heure par heure et sera à même de déclencher des secours. Ça peut-être via un brise-glace, un avion qui survole ou des informations médicales qui me seront transmises. Mon défi reste de faire ce passage du Nord-Ouest sans assistance. Mais effectivement en cas d’abandon, de danger ultime, Yann pourra organiser le nécessaire pour ma survie.

Comment allez-vous communiquer ? Pourrons-nous vous suivre en temps réel ?

La communication vers la France sera possible à travers un téléphone par satellite. Un tracker GPS va permettre à ceux qui souhaitent me suivre de me positionner heure par heure. Je ferai des vacations radios. On va dire que ce sera une communication type Vendée Globe mais il n’y aura pas de transmission de vidéo possible, seulement à la fin de mon défi.

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