Un hors d’œuvre corsé
Le menu de la 48ème édition de La Solitaire URGO Le Figaro s’annonçait riche quoique académique avec trois étapes semi marathon et un sprint. Le hors d’œuvre entre Bordeaux et Gijón s’est finalement avéré fort pimenté et les quarante-trois convives ne sont désormais plus à la même table…
« On a dégusté ! » : voilà la phrase qui revient en boucle après cette première étape (pourtant raccourcie pour cause de mauvaise dépression) qui a offert un panel de plats pour le moins variés. Du louvoyage pour sortir de la Gironde, un grand bord de spi paisible vers Arcachon dans une petite brise, une remontée technique au près puis au portant musclé vers Rochebonne, un plateau de mer pour le moins agité au large de l’île de Ré et un cocktail très « shaké » au passage d’un front turbulent… Pour une arrivée dans un souffle asthmatique après 420 milles de course.
Bref, une étape qui concentre une Solitaire à elle toute seule ! Et les skippers ont bien percuté que cette entame distribue déjà les cartes avant le plat de résistance de samedi entre Gijón et Concarneau (520 milles via la Chaussée de Sein et l’île d’Yeu), le « trou breton » de 150 milles le long des côtes sud bretonnes et le dessert crémeux de 505 milles vers Dieppe, (via les côtes sud anglaises)… Le tout arrosé de quelques retournements de situation météorologique.
Une mise en appétit
Disons-le sans ambages : la distribution des groupes dépend désormais des temps à l’arrivée, chaque heure de retard cumulée formant un sous-ensemble qui ne va dorénavant plus jouer stratégiquement de la même façon la suite de ce repas panoramique. Avec plus de trois heures de delta vis à vis du leader Nicolas Lunven (Generali), l’espérance d’un podium final est quasiment mission impossible et même remonter dans le « Top Ten » un objectif quasi fantasmagorique. Et cela met sur la touche quelques grands favoris de Bordeaux tels Erwan Tabarly (Armor Lux), Anthony Marchand (Ovimpex-Secours Populaire), Damien Guillou (Domino’s Pizza)… qui ont dû abandonner et se retrouvent avec un déficit de plus de huit heures !
Même Thierry Chabagny (Gedimat à 3h 09’), Martin Le Pape (Skipper Macif 2017 à 2h30’), Éric Péron (Finistère Mer Vent à 1h48’) voire Jérémie Beyou (Charal à 1h44’) ne peuvent plus espérer qu’une victoire d’étape ou à tout le moins, un podium à Concarneau ou à Dieppe. Et dans le pack intermédiaire, les solitaires concernés qui cumulent entre une heure et une heure un quart de delta vont devoir s’arracher pour grappiller ne serait-ce qu’une vingtaine de minutes à chacune des trois étapes à suivre…
Reste les sept « samouraïs » qui talonnent le vainqueur espagnol, le tsar Nicolas 1er qui a su édicter sa loi à force d’oukases à chaque passage de marque. Avec moins d’une heure au compteur, Xavier Macaire (Groupe SNEF) reste le plus en ballottage car il devra non seulement inquiéter ses prédécesseurs mais aussi surveiller son rétroviseur quand pas moins de quatre skippers le suivent à la trace : le « bizuth » Julien Pulvé (Team Vendée Formation à 4’) qui démontre une aisance à surveiller de près, Pierre Quiroga (Skipper Espoir CEM-CS à 10’) qui n’en est qu’à sa deuxième participation tout comme Justine Mettraux (Teamwork à 11’) ou le novice et talentueux « olympiste » Pierre Leboucher (Ardian à 12’).
Le club des cinq
Pas de château de Kernach, ni de villa des Mouettes, ni de phare des Tempêtes au menu, mais bien des zigzags, des impasses, des carrefours, des passages à niveau et des virages à 90° jusqu’au port dieppois ! De quoi avoir quelques ouvertures pour cinq solitaires qui ne vont pas s’en laisser compter avec quelques dizaines de minutes de retard… Adrien Hardy (Agir Recouvrement) est le mieux placé avec seulement 13’23 de delta sur le vainqueur espagnol et en huit participations, il a déjà trois victoires d’étape à son actif. Sébastien Simon est à son apogée pour sa dernière saison sous les couleurs de Bretagne CMB Performance avec 27’46 d’écart tout comme Charlie Dalin qui porte une dernière fois l’étendard de Skipper Macif 2015 et ne concède que 28’53 après un départ catastrophique à Pauillac…
Quant à Yann Éliès (Quéguiner-Leucémie Espoir) à 39’24 du leader, il a montré qu’il était revenu à son meilleur niveau en claquant la bouée Radio France à la sortie de la Gironde et en parant le premier la marque Turquie (plateau de Rochebonne) à mi-parcours. Le Briochin vise déjà le record de victoires d’étape (déjà dix à son actif) et un quatrième sacre, un Graal jamais atteint depuis l’origine de la course ! Last but not least, Alexis Loison (Custo Pol) reste un trublion talentueux qui a déjà réalisé de jolis hold-up avec une régularité de métronome aux avant-postes… La deuxième étape s’annonce donc comme un nouveau défi pour les quarante-trois solitaires qui vont repartir de Gijón samedi à 15h00 puisque les abandons partis réparer aux Sables d’Olonne ou à La Rochelle, font route vers l’Espagne ce jour. À chacun sa montagne : l’Everest pour les leaders, l’Annapurna pour les poursuivants, le Mont-Blanc pour les autres !
Ils ont dit :
Alexis Loison (Custo Pol) : 6ème à Gijón
« On avait commencé de façon intense avec la sortie de la Gironde : les premières 24h étaient vraiment top, après ça s’est gâté à Rochebonne. C’était la « guerre », on en a pris plein la tête. Il y a eu un moment où il fallait préserver le matériel, je voyais autour de moi que ça abandonnait, il fallait vraiment préserver les voiles dans les manœuvres, faire attention à ce que le bateau soit bien rangé et redoubler de vigilance. Il était temps que j’arrive parce que le vent était en train de tomber… Tout le long de l’étape, j’ai fait de bons coups, j’ai été dans les dix premiers tout du long. Sixième à 48’26 du leader, je prends ! Il reste du jeu… »
Xavier Macaire (Groupe SNEF) : 7ème à Gijón
« C’était costaud ! On s’est pris un bon passage de front assez violent : je me demande si j’ai déjà vécu des conditions aussi musclées dans toute ma vie de marin… Il y avait une mer énorme, hachée, des rafales vraiment fortes, c’était impressionnant. Dans ces conditions, on se dit qu’il faut de toute façon traverser le front pour y rester le moins longtemps possible : on se concentre pour ne pas casser le matériel, ne pas faire d’erreurs. Alors que je n’étais pas très bien placé durant toute l’étape, je finis 7e : c’est bien, je ne suis pas très loin des leaders. C’était une étape dangereuse à plusieurs niveaux. »
Pierre Leboucher (Ardian) : 11ème à Gijón
« On a eu de tout, du beau temps, torse nu sur le bateau, à de la tempête, bien couvert, et on a eu toutes les allures : du près, du spi, de la molle, du vent très fort, c’était vraiment sympa. Ma deuxième place au classement des bizuths, c’est bien, j’ai bien géré le classement au début, mais j’ai raté la dernière partie, les 12 dernières heures. J’ai eu un petit trou de vitesse où j’ai eu du mal à trouver les commandes. Comme pas mal de monde, j’ai fait des manœuvres foireuses, des boulettes, à peu près une toutes les demi-heures ! »
Gildas Mahé (Action contre la faim) : 12ème à Gijón
« C’était compliqué mais agréable. Il y a eu de tout : de la pétole, de la brise, des grains énergiques, des voiles plates, des voiles ballon… On s’y attendait, parce que trois jours avant le départ, le front n’arrêtait pas de devenir de plus en plus nerveux et ça n’a pas loupé, ça a été tonique ! Moi, j’ai pris plus de 50 nœuds à l’anémomètre, c’était sportif. Je suis déçu parce que j’ai eu un problème matériel, un mousqueton d’écoute de spi qui s’est ouvert dans le carton avant d’arriver à Rochebonne, dans 35 nœuds. Du coup, je n’ai pas pu renvoyer le spi. J’étais bien revenu et j’ai perdu 2,5 milles cash puisque j’ai fini sans spi jusqu’à Rochebonne. Mais pour le reste, je suis content de ma manche… »
Damien Cloarec (Saferail) : 13ème à Gijón
« Je suis complètement cramé. Il y a eu une première partie hyper intéressante dans du petit temps, c’était cool. Et après, j’ai fait de la mécanique pendant toute l’étape, j’ai eu un problème avec le refroidissement du moteur, il y avait plein de fumée dans le bateau : heureusement je m’en suis rendu compte, tout ça dans 45 nœuds… La baston, c’était costaud, le plus dur que j’aie jamais vu, la mer était dégueulasse et il pleuvait tellement qu’on ne voyait rien, on était obligé de tourner la tête. J’ai vu 52 ou 54 à l’anémomètre, c’était bien bourrin, mais ce sont de bons bateaux ! »
Jérémie Beyou (Charal) : 18ème à Gijón
« J’avais oublié qu’en Figaro, on pouvait avoir des problèmes techniques… Quand j’ai essayé d’affaler le foc dans 45 nœuds, il s’est envolé et est tombé à l’eau, sous la quille. J’ai fait une marche arrière puis un empannage pour essayer de le récupérer et c’était assez scabreux. J’ai réussi finalement à le ramener, je me demande encore comment ! J’ai alors essayé de le renvoyer, mais rebelote, il est de nouveau tombé. Impossible alors vu les conditions de retenter quoi que ce soit : j’ai du coup été contraint de naviguer toute la nuit sous grand-voile seule à 6 nœuds, ce qui m’a coûté pas mal de places au classement. »