La vitesse donne du sens à nos efforts
Tout juste de retour en France, Paul Meilhat était au PC course parisien du Vendée Globe, ce mercredi midi. Le skipper SMA en a profité pour raconter ce qu’il a vécu depuis le 6 novembre, jour du départ de la 8e édition, et ce qu’il retient de son épopée sportive.
L’histoire du premier Vendée Globe de Paul Meilhat se séquence en périodes. L’une, heureuse, l’a mené à jouer les tout premiers rôles du 6 novembre, jour du départ, au 20 décembre, date à laquelle le vérin de quille a rendu l’âme. S’est ensuivie une période de huit jours consacrés à ramener l’homme et le bateau vers un port, en l’occurrence celui de Papeete. Si le temps a parfois paru long entre le 28 décembre, jour de son appontage en Polynésie, et son retour en métropole, l’essentiel de son aventure est empreint de plénitude. Mots choisis.
Comment expliqueriez-vous ce qu’est le Vendée Globe, désormais ?
Paul Meilhat : « Je dirais qu’il y a deux Vendée Globe qui cohabitent. Pour moi qui étais venu faire une course, le Vendée Globe est
une aventure humaine, pour le côté mental et physique. Je n’ai en revanche pas trop vécu l’aspect ‘découverte’ de l’aventure. Il n’y a vraiment que lorsque j’ai vu Tahiti sortir de l’horizon. L’aventure que j’ai vécue, c’est une course super dure, extrême, qui te pousse loin dans tes retranchements, physiquement. Je pense que les grands spécialistes de trail vivent la même chose : ils peuvent s’extasier devant des paysages tant qu’ils ne sont pas en course. La majeure partie du temps, on est dans une bulle de concentration. L’histoire que je peux raconter, c’est l’histoire qui me lie à mon bateau, dans un élément mouvant. Sans poésie. C’est essentiellement l’histoire d’une relation forte entre ton bateau et toi. Et c’est une relation incroyable. »
Pouvez-vous l’expliquer ?
Paul Meilhat : « Je connais par cœur chaque millimètre de SMA. Je suis capable de faire une description de chaque élément, même ce qui est sous le cockpit. Je sais qu’il y a une trace de colle qui a coulé ici, qu’il y a une nouvelle trace d’humidité à tel endroit, la taille de chaque vis… On atteint un niveau dingue de don de soi pour une machine. SMA est comme mon corps : tu sais où sont tes grains de beauté. Le bateau, c’est toi. S’il se passe quelque chose, tu répares comme s’il s’agissait de toi. »
Vous êtes-vous aussi découvert ?
Paul Meilhat : « Non, je me connaissais déjà. Je m’étais préparé, je savais déjà l’énergie que je peux mettre dans les choses. La plus grande qualité d’un marin de course au large, c’est de ne jamais dépasser ses limites, de ne jamais se mettre en danger. En tout cas, quand il s’agit de faire des résultats. A l’inverse, sur une autre philosophie de projet, c’est la découverte de soi qui prime. »
Le Vendée Globe ressemble à ce que vous imaginiez ?
Paul Meilhat : « J’ai envie de répondre oui, un peu. Et, en même temps, j’avais pris garde à ne pas trop l’imaginer. J’avais envie de découvrir quelque chose. Si tu te conditionnes pour un truc – et si ça ne se passe pas comme tu l’as « vu » – tu peux manquer de souplesse. Et je voulais rester adaptable aux situations. »
Qu’en retenez-vous de beau, de grand ?
Paul Meilhat : « J’en retiens énormément de choses mais, au final, le parcours et la préparation du Vendée Globe restent deux temps très forts. La préparation est une séquence extraordinaire. J’ai l’impression d’être parti heureux. Vivre ces trois semaines de village, à accueillir les sociétaires et les collaborateurs SMA et le public, raconter pourquoi on était ici et ce qu’on a fait pour être là, ça m’a rendu serein. J’ai réalisé qu’on avait bien bossé et qu’il n’y avait presque plus qu’à aller vite. Du coup, je suis parti en confiance, et je suis très vite entré dans ma bulle de concentration. L’Atlantique, à part le début, où il y a eu beaucoup de travail météo, a été facile et le rythme s’est installé assez vite. Je l’ai traversé pied au plancher et hyper concentré. Puis il y a eu le sud et le déclic, un peu avant Bonne-Espérance. Ce n’est pas que je ne m’attendais pas à être aussi à l’aise, mais la vérité est que je n’ai jamais eu le sentiment d’être dépassé par les événements. Le sud a été extraordinaire, notamment en termes de rythme. On a eu des conditions qui nous ont permis d’aller vite quasiment tout le temps et, à chaque fois qu’il y a eu des coups de vent, j’ai réussi à passer juste. »
Comment l’avez-vous vécu, ce sud ?
Paul Meilhat : « C’est cool ! Si tu es concentré, ça se passe bien, rien ne peut arriver… Jusqu’au moment où ça arrive. Mais ce sud a été génial, c’était un grand moment. Il y a eu des passages super durs, mais j’étais fermé dans mon « truc », investi dans ma bulle. J’étais dans ce que j’avais à faire, tout le temps. Quand on m’appelait, que je ne le décidais pas moi-même, ce n’était pas simple à vivre, parce que je peinais à sortir de ma concentration. »
Il faut le tenir sur un temps infini, cet état d’esprit. Est-ce compliqué ?
Paul Meilhat : « Plus c’est long, plus c’est facile : tu t’immisces dans un état d’esprit particulier et tu y restes. J’avais fait le tri, je communiquais avec mes très proches et j’occultais le reste. Ça s’est fait assez facilement parce que je rentre aisément dans cet état, même en période de préparation. Les gens qui me suivent savent que je suis comme ça. C’est pareil aujourd’hui : j’ai du mal à me livrer, je suis toujours dans mon monde. Heureusement, il y a eu le sas à Tahiti, mais ça reste difficile. Parfois, je m’en rends compte maintenant, je n’arrivais pas à bien me livrer lors des vacations. »
Vous semblez avoir vécu quelque chose d’aisé, finalement…
Paul Meilhat : « Je ne me suis jamais demandé ce que je faisais là. L’équipe avait très bien travaillé sur le bateau, et je le connaissais. Mis à part le vérin, il n’y a pas eu de panne. J’ai le sentiment qu’on avait très bien préparé ce Vendée Globe – ce qui rend la déception encore plus forte, notamment pour les gens qui entourent le projet. Et, quand je repense à la course, je me souviens qu’il y a eu des moments durs, mais je n’ai pas connu un seul moment de souffrance. Je m’étais préparé aux moments difficiles, et je suis parti avec cette démarche. J’avais un peu envie d’avoir mal, histoire de voir ce que je pouvais faire de ça. »
Vous étiez totalement investi sportivement, complètement immergé dans ce que vous aviez à faire, mais était-ce au point d’avoir du mal à vous endormir ou à laisser l’esprit souffler ?
Paul Meilhat : « Il y a des jours où tu es sur un rythme de Figaro et, là, c’est l’horreur. Le rythme est difficilement tenable et tu dois te forcer à aller te reposer. Mais il faut imaginer aussi qu’il y a énormément de longueurs, ce qui ne veut pas dire pour autant que tu peux te déconcentrer. Il y a plein de moments où tu n’as rien à faire, mais tu ne peux pas lâcher prise. Parce qu’on ne sait jamais, parce qu’il faut s’astreindre à garder une routine, et puis si tu lâches prise, si tu changes d’état d’esprit, quand il va arriver quelque chose à faire, tu seras tenté de te dire que ça peut attendre. Rester dans le même état d’esprit de guerrier te fait foncer sur ce qu’il y a à faire, même s’il fait nuit et qu’il fait froid. Même si ton corps se repose, ta tête est à fond. Etre dans cet état mental, ça m’a plu. »
Avez-vous été surpris de courir pour la 3e ou 4e place ?
Paul Meilhat : « Ce qui m’a surpris, c’est que je pensais que les foilers iraient plus vite et casseraient plus. Ils ont choisi d’aller plus vite juste sur de petites périodes qui leur ont permis de se placer à l’avant. Au final, il y aura eu moins de casse sur les bateaux à foils que sur les dérives, si le bilan reste en l’état. On se rend compte que les avaries n’ont rien à voir avec la présence de foils ou pas. Quant au fait d’être 3e ou 4e, cela n’a pas été une pression supplémentaire. J’ai bien senti que ça avait changé quelque chose à terre, mais quand tu es en course, tu t’en fiches. Que Jérémie Beyou soit 2 milles devant ou derrière n’avait absolument aucune incidence sur ma manière de gérer la course. La représentation de la course à terre et en mer n’est absolument pas la même. »
Les foils ont permis d’exploiter quelques coups à fond ?
Paul Meilhat : « Ils ont permis de gagner le Vendée Globe. Tout simplement. On peut refaire le match avec Vincent (Riou) et moi en course jusqu’au bout : on aurait pu ambitionner la 3e place, mais pas mieux. Nous n’aurions pas gagné le Vendée Globe. »
Le fait de partir pour 73 ou 75 jours ne vous a jamais pesé ?
Paul Meilhat : « Je n’ai jamais pensé une seule fois à l’arrivée. Ce qui compte, c’est l’équateur, puis le cap de Bonne-Espérance, Leeuwin, l’antiméridien, le cap Horn… Et puis il y a les îles aussi qui jalonnent la route. A chaque fois que je passais à un endroit, la famille ou les proches m’envoyaient un petit mot pour me raconter l’histoire des Kerguelen ou la vie à terre à tel endroit… Honnêtement, le sens du voyage m’a toujours été rappelé par la terre. Parfois, oui, on reste en arrêt devant le ballet des albatros qui entrent et sortent des vagues, mais on a du mal se laisser aller, parce qu’on est trop concentré. »
Comment avez-vous géré vos émotions durant la course ?
Paul Meilhat : « J’en ai eu bien peu. On se referme, en réalité. Il y en a eu beaucoup au moment de l’avarie, oui, mais le reste du temps, on est froid, clinique. J’ai parfois réussi à mieux les exprimer sur des mails que j’envoyais ou sur les vidéos, parce que j’avais choisi des moments où je pouvais m’ouvrir. Mais les émotions sont venues des rencontres, comme celle avec un bateau de croisière un peu avant le cap de Bonne-Espérance. J’adore ces échanges, comme ceux entre concurrents. Quand on s’appelle, on parle de tout sauf de la course. »
Vous sauriez décrire l’ambiance entre concurrents ?
Paul Meilhat : « Je vais le faire par une anecdote. L’élection de Donald Trump est survenue en début de course, et c’est un des moments où on a le plus communiqué, avec Jérémie (Beyou) et Vincent (Riou). La news tombe, j’y crois à moitié, les deux confirment. Quand tu es au bout du monde, tu es atterré. C’est plus facile de relativiser quand on est à terre. Alors on s’est retrouvé à discuter des institutions américaines, des systèmes exécutifs et législatifs américains. C’était assez dingue… J’ai pas mal discuté avec Morgan parce qu’on n’était pas loin – on a fait de la voile olympique ensemble – et dans le sud avec Jérémie, à la VHF. Après mon avarie, Yann (Eliès) m’a appelé ; j’ai aussi reçu plein de mails sympa… »
Nous parlions émotion… Vous avez explosé, quand le vérin de quille a rendu l’âme ?
Paul Meilhat : « Je n’explose jamais, je suis fait comme ça. Et puis l’urgence s’est imposée sur tout : il fallait que je sauve mon bateau. Les 6 premiers des 8 jours dont j’ai eu besoin pour rejoindre Tahiti ont été très nettement les plus durs de ce Vendée Globe. A deux jours de l’arrivée, quand la marine nationale m’a survolé, je savais que je pouvais être sauvé en cas de pépin. La déception de l’abandon vient beaucoup plus tard, juste avant l’arrivée à Tahiti, une fois gérée l’urgence. Je n’ai pas dormi, il y avait des grains, il me fallait gérer l’assiette du bateau, tout contrôler tout le temps… Ce fut dur. Même mon arrivée au ponton de Tahiti signifiait que j’avais fini une épreuve, réussi à sauver mon bateau, ce qui était important. Surtout après ce qu’on a vécu il y a un an. »
Quel parallèle établissez-vous avec votre accident, sur la transat Saint-Barth – Port-la-Forêt, il y a un an ?
Paul Meilhat : « Là, je vis une déception sportive, ce qui n’était pas le cas il y a un an. Ça sera beaucoup plus difficile à digérer que mon accident. L’an dernier, j’étais cassé, il suffisait que j’aille au centre de rééducation de Kerpape pour passer à autre chose. C’était facile. Mon abandon dans le Vendée Globe, en revanche, je pense que je vais le traîner pendant quatre ans – si je peux le refaire, plus si ça ne se fait pas tout de suite. La déception sportive est lourde, elle va me ronger assez longtemps. »
Vous suivez la course, tout de même ?
Paul Meilhat : « Je n’ai pas regardé une seule fois la cartographie du Vendée Globe, c’est trop dur de s’y projeter. Mais je serai à l’arrivée, parce que je ne peux pas ne pas y être. Ça n’a pas de sens et ça ne serait pas respectueux pour les autres concurrents. On se doit tous d’être à l’arrivée, même si ça fait mal. »
Qu’avez-vous le plus aimé, au final ?
Paul Meilhat : « La vitesse. Tu t’habitues à grande vitesse à ce que ça aille vite. Rapidement, ça devient insupportable d’aller à moins de 18 nœuds. Tu attends en permanence qu’arrive la prochaine dépression. Parce que tu es en course, mais aussi parce que la vitesse manque. Et il n’y a que le fait de savoir que le bateau peut casser qui oblige à ralentir. Le bruit, l’inconfort, j’étais prêt à ça, ça ne m’a jamais gêné. Ça n’est pas agréable mais, au final, c’est ce qu’on cherche. La vitesse donne du sens à nos efforts. »