Ils sont sur le chemin du retour. Armel Le Cléac’h et Alex Thomson ont franchi ce jeudi la mi-parcours du huitième Vendée Globe. Et la folle chevauchée se poursuit avec une entrée dans l’océan Pacifique qui s’annonce pour le moins musclée. Plus de 1200 milles derrière, Paul Meilhat a franchi à 10h40 (heure française) la longitude du cap Leeuwin (au Sud-Ouest de l’Australie). Romain Attanasio est toujours à l’arrêt dans une baie à proximité d’un autre cap, Bonne Espérance, où il tente de réparer ses safrans endommagés. Ce soir, la flotte s’égrène sur plus de 6000 milles et, compte tenu des situations météorologiques, les écarts vont continuer à se creuser.

Le calcul est simple : à 15h jeudi, Armel Le Cléac’h avait parcouru 12 310 milles sur les 24 480 milles théoriques du Vendée Globe (une distance qui pourrait sensiblement évoluer en cas de modification de la zone d’exclusion). Vous l’avez compris : Armel, mais aussi son premier poursuivant Alex Thomson (12 178 milles parcourus à 15h) ont bouclé la moitié du voyage. Et ce, après 32 jours de mer. Autre calcul tout aussi simple et spectaculaire : s’ils maintenaient un rythme si élevé (plus de 17 nœuds de moyenne sur l’eau), les deux leaders boucleraient le parcours en 64 jours, soit deux semaines de mieux que le temps de référence établi en 2012-2013 par François Gabart ! Un dernier chiffre marquant : tandis que les premiers ont donc bouclé 50 % du parcours, les derniers (Didac Costa et Sébastien Destremau) n’en sont qu’à 25 %…

Un Pacifique en mode guerrier

Armel Le Cléac’h (Banque Populaire VIII) est venu à bout de l’océan Indien. C’est aux alentours de 13h45 (heure française) que le leader du huitième Vendée Globe a franchi la longitude de South East Cape (le point le plus méridional de la Tasmanie), et a ainsi fait son entrée dans l’océan Pacifique. Relégué à 132 milles au pointage de 15h, Alex Thomson (Hugo Boss) devrait faire de même dans les prochaines heures.
Les deux meneurs vont aborder ce nouvel océan dans la tempête en raison d’une dépression qui se creuse au Sud de la Tasmanie. Les conditions sont déjà toniques, inconfortables, et elles vont se dégrader avec un vent qui devrait se renforcer à 35-40 nœuds. Ils s’attendent à vivre des heures éprouvantes et envisagent même sérieusement de lever le pied, comme l’a expliqué Armel : « En prévision, j’ai bien réduit la toile. Il faut être vigilant, à l’écoute du bateau, vérifier que rien ne s’abîme. Je navigue en bon marin. Je vais mettre la course entre parenthèses dans le gros de la dépression. Le but sera bien de préserver le bateau car on n’a pas le droit à un joker dans le Vendée Globe… Les conditions s’amélioreront à partir de dimanche. Je ferai alors le bilan et si tout va bien je remettrai du charbon. »

Paul Meilhat troisième au cap Leeuwin

C’est l’autre information de la journée : à 10h40 (heure française), Paul Meilhat (SMA) a franchi la longitude du cap Leeuwin (Sud-Ouest de l’Australie) après 31 jours 21 heures et 38 minutes de mer. Sur ce même bateau il y a quatre ans, le tenant du titre François Gabart avait mis 34 jours, 10 heures et 28 minutes à passer le deuxième grand cap du tour du monde en solo. Cette comparaison a ses limites compte tenu des conditions météorologiques différentes rencontrées par les deux hommes, mais la performance de Paul mérite d’être saluée. Il a par ailleurs été le plus rapide de la flotte sur les dernières 24 heures.
Le prochain marin à franchir le cap Leuuwin sera Jérémie Beyou (4e sur Maître CoQ), probablement en début de soirée. Jérémie qui avoue avoir pensé tout arrêter quand son hook de grand-voile a cassé il y a quelques jours. Mais il a été chercher au plus profond de lui-même la force de réparer et de poursuivre sa course. Sa ténacité est récompensée puisqu’il reste dans le match pour le podium provisoire.

« Les jours se suivent et se ressemblent »

Derrière, tout le monde ou presque évolue dans l’océan Indien. « Les jours se suivent et se ressemblent avec un scénario immuable : une dépression, un passage de front, une transition anticyclonique et de nouveau une dépression », explique Fabrice Amedeo (14e à bord de Newrest Matmut) dans une vidéo envoyée ce jour.

Mêmes si les scénarios météorologiques se répètent, les solitaires n’ont certainement pas le temps de s’ennuyer, comme l’a souligné Conrad Colman : « Je suis entrain de bricoler dans tous les sens pour garder le bateau en état. Je viens de passer 1h30 dans le mât pour faire une couture ! Le tout dans 20 bons nœuds de vent. J’ai d’autres soucis techniques à gérer, comme remplacer les fils électriques qui ont brûlé suite à l’incendie survenu il y a quelques jours. Je suis plutôt pris en ce moment ! »
Après son épique réparation de safran (11 heures de travaux non stop hier !) Eric Bellion (CommeUnSeulHomme) s’est trouvé des nouveaux compagnons de voyage : Alan Roura (La Fabrique) et Rich Wilson (Great American IV). Les trois hommes se tiennent en une trentaine de milles.
Quant à Romain Attanasio (Famille Mary-Etamine du Lys), il est toujours au mouillage dans une baie abritée à proximité du cap de Bonne Espérance. Il est parvenu à enlever les safrans lourdement endommagés et procède actuellement à une réparation qui s’annonce fastidieuse.

Armel Le Cléac’h (Banque Populaire VIII) :

« Les conditions ont été idéales dans l’Atlantique pour établir un bon temps à Bonne-Espérance. Puis, dans l’océan Indien, les dépressions se sont enchaînées et nous n’avons jamais été à l’arrêt. Il est donc logique de grappiller des heures et des jours sur le temps de référence. Avec Alex (Thomson) nous avons de l’avance sur nos poursuivants mais je serai le premier à rentrer dans le dur donc ça risque de revenir par derrière. Mais je ne m’inquiète pas : ces coups d’élastique sont classiques dans les mers du Sud. »

Conrad Colman (Foresight Natural Energy) :

« C’est l’effet boule de neige : un souci technique en engendre plein d’autres. C’est vraiment usant de bien mener le bateau avec des outils dans la main. J’ai la sensation de vivre avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Mais je fais de mon mieux pour garder le moral et rester au contact de Stéphane (Le Diraison) et Nandor (Fa). »

Eric Bellion (CommeUnSeulHomme) :

« Faire un changement de safran dans les Quarantièmes est une expérience assez géniale dans une vie de marin. Je retiens de cet épisode qu’il ne faut jamais abandonner, jamais ! Quand on est seul, on trouve des ressources insoupçonnées. Je suis content de ne pas avoir baissé les bras. Pour la petite histoire, le vent est rentré juste au moment où je mettais la dernière vis sur mon safran réparé : comme dans un film ! »

Les mots du large :

Louis Burton (Bureau Vallée) :

« On m’a demandé plusieurs fois depuis que je suis entré dans l’Indien, les sensations que j’avais, et je dois dire que mes pensées sont principalement tournées vers mon équipe. Car même si je suis en train de découvrir des océans et des coins du monde inhabités, avec des systèmes météo très puissants, rapides, une mer totalement différente, des albatros, la sensation d’être au bout du monde, les privations, les douleurs, je ne peux m’empêcher d’avoir en tête la chance inouïe que j’ai d’être là, de la difficulté du défi technique, de la hauteur du challenge humain et de l’ampleur de l’engagement financier. Toutes les personnes qui me soutiennent composent chaque centimètre carré de ce bateau et de ces voiles qui sont en train de me faire tourner autour de la planète dans la course à la voile la plus dure au monde qui, il y a 5 ans encore, n’était même pas de l’ordre du rêve. »

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