Les malheureux de la Désolation
Après une entrée en matière progressive, l’océan Atlantique a montré une autre face de son caractère : une mauvaise dépression combinée à un courant contraire ont mis « à terre » nombre de solitaires et même fait tomber le couperet sur Kojiro Shiraishi qui a vu son mât se rompre en son milieu : le Japonais a dû jeter l’éponge. C’est le cinquième abandon du Vendée Globe…
Il y a des zones sur la planète mer qu’il vaut mieux aborder avec précaution : la pointe du Cotentin ou les Bouches de Bonifacio en France, mais aussi le détroit de Torrès ou celui de Bass (Australie), le cap Horn (Amérique du Sud), le détroit de Cook (Nouvelle-Zélande), les bancs de Terre-Neuve ou le détroit de Luçon (Chine). Mais dans les mers du Sud, certains abords sont aussi particulièrement délicats à négocier, surtout lorsqu’une brise soutenue vient s’opposer à un courant océanique puissant ou à des reliefs sous-marins abrupts. C’est le cas autour de l’archipel des Kerguelen, mais aussi près de ces îles australes désolées et désolantes (Tristan da Cunha, Gough, Marion, Amsterdam, Saint-Paul…), peuplées seulement de milliers de mammifères marins et de millions d’oiseaux. Tout comme au large de l’Afrique du Sud lorsque le courant chaud en surface, venant de Madagascar vient se confronter aux vents d’Ouest de l’Atlantique…
Une série de vracs
C’est ainsi que les dix solitaires du peloton se sont faits blackbouler ce week-end sous la poussée d’une dépression argentine, compressée par un anticyclone de Sainte-Hélène coincé dans le Sud-Ouest de Cape Town : au passage d’un front froid actif et agressif, le vent est monté à plus de 45 nœuds sur une mer déjà formée et devenue hachée et déferlante par le courant contraire. Ainsi, ce n’est pas tant la force du vent que l’état de l’océan qui a boxé ce groupe en approche du cap de Bonne-Espérance : la moindre petite avarie, le moindre écart de route pouvait se transformer en énorme vrac avec des conséquences matérielles redoutables.
Conrad Colman fut le premier à en subir les mauvaises humeurs : une brève panne de pilote et Foresight Natural Energy se retrouvait au tapis, entraînant le gennaker à l’eau et plusieurs heures de combat pour le skipper avant de remettre tout en ordre pour reprendre le cap à l’Est… Quasiment la même histoire pour le Hongrois Nandor Fa qui a vu Spirit of Hungary se coucher dans un départ au lof sous la combinaison d’une brutale rafale et d’une vague scélérate : la voile d’avant s’est déchirée sous l’impact et le solitaire a dû s’en débarrasser au couteau ! Puis Arnaud Boissières (La Mie Câline) a constaté après un empannage sauvage que son chariot de têtière de grand-voile était touché, une avarie similaire à celle qui avait quelques heures auparavant touché Jérémie Beyou (Maître CoQ) au milieu de l’océan Indien…
Un cinquième abandon
Mais c’est Kojiro Shiraishi qui a subi les plus graves dommages : malgré une voilure bien réduite (trois ris dans la grand-voile et foc de brise), Spirit of Yukoh a brisé son mât juste au-dessus du capelage de trinquette ! Une avarie surprenante puisque c’est la partie haute de l’espar qui s’est rompue… Le Japonais a mis du temps à faire le ménage dans ce capharnaüm de gréement emberlificoté avant de décider de faire route sur Cape Town et d’annoncer son abandon, le cinquième de ce Vendée Globe après Tanguy de Lamotte, Bertrand de Broc, Vincent Riou et Morgan Lagravière… Heureusement, la brise s’est calmée au large de Cape Town et le peloton va pouvoir souffler un peu et panser ses plaies.
Pour le reste de la flotte, le duo de tête continue son mano a mano entre le Breton Armel Le Cléac’h (Banque Populaire VIII) et le Gallois Alex Thomson (Hugo Boss) qui vont franchir la longitude du cap Leeuwin (Sud-Ouest de l’Australie) cette nuit. Mais c’est Sébastien Josse (Edmond de Rothschild) qui va vivre aussi une très mauvaise nuit avec l’arrivée de la dépression tropicale dans son tableau arrière. Paul Meilhat (SMA) et Yann Eliès (Quéguiner-Leucémie Espoir) sont sortis sans dégâts de ce phénomène météo alors que Jérémie Beyou doit résoudre ses problèmes de grand-voile…
Didac Costa, One Planet One Ocean
« Mon dimanche a débuté avec une peur bleue. Le vent est revenu tôt ce matin et je progressais bien à une dizaine de nœuds. J’étais à la table à cartes quand j’ai entendu un gros bruit. Je suis allé dehors et j’ai vu ce qui ressemblait à une structure en plastique dans le sillage du bateau. Des bouts sont restés coincés autour du safran et de l’hydro générateur. J’ai vérifié la quille et il n’y a pas de dégâts, la coque ne semble pas avoir été touchée non plus. Ces derniers jours ont été terrifiants avec un vent fort. J’ai failli être arrêté par la forte houle de sud-ouest, ce qui veut dire qu’il y a une forte de tempête dans le sud. »
Paul Meilhat, SMA
« Ca vient de se calmer il y a quelques heures, le vent a tourné à l’ouest, il va y avoir plus de mer encore je pense. A l’anémomètre, il y a encore 35 nœuds. Ces dernières 24h, c’était un peu la guerre à bord, c’était impossible de se déplacer, car le bateau fait des mouvements brutaux, mais il reste très stable. On a bien bagarré avec Jérémie pour rester devant la dépression. Une fois qu’elle nous a rattrapé, la difficulté c’est de trouver la bonne voilure et surtout de la mettre au bon moment, car on ne va pas sur le pont quand le bateau part à 25-30 nœuds dans les surfs. »
Eric Bellion, CommeUnSeulHomme
« J’ai recollé un taquet arraché pendant la première dépression, mais rien à signaler, tout va bien. Ca va mieux qu’il y a quelques jours, j’étais fatigué, et je pense que j’avais de l’appréhension, donc j’ai eu un coup de mou. Depuis que je suis dans les quarantièmes rugissants, je savoure le plaisir d’être là. Je vais essayer de faire de mon mieux, tous les jours, c’est un tatouage en plus, une nouvelle aventure. Hier, c’était la première fois que j’avais autant de vent en Imoca. Je vais aller voir l’Indien, avec prudence. Je ressens beaucoup plus d’harmonie avec le bateau. »
Louis Burton, Bureau Vallée
« Ces dernières heures, ça a été l’enfer car j’ai des problèmes de pilotes. J’ai fait trois vracs. Je suis bien claqué, je ne suis passé pas très loin de la correctionnelle. Je ne sais pas si c’est un problème de compas ou un problème d’aérien. Le pilote a tiré la barre plusieurs fois dans la nuit. Je n’ai donc pas envoyé de grosse voile devant parce que ce n’est pas stable. Le bateau a empanné avec tout le matériel au vent, les ballasts au vent, tout se retrouve sous le vent, t’es vautré à 90° dans l’eau. C’est assez miraculeux, je n’ai rien cassé. »
Shota Kanda, responsable communication Spirit of Yukoh
« Kojiro était très choqué au moment du démâtage, il ne comprenait pas pourquoi ça lui arrivait alors qu’il n’avait que 20 nœuds de vent. Il fait maintenant route vers Cape Town. C’est vrai que quand il m’a appelé hier soir il avait 40 nœuds de vent, il avait son J3 et la grand-voile à un ris. Ce matin, ça avait bien molli. Kojiro est super déçu, il est vraiment désolé pour tout même si ce n’est pas de sa faute. »
Jean Le Cam, Finistère Mer Vent
« Quand ça va vite, ça fait du bruit ! Là, ça monte doucement, j’ai 28 nœuds de vent, ça va monter encore un peu. Je me prépare à changer de voilure, j’ai pris un ris, je vais peut-être en prendre un deuxième plus tard. Il n’y pas de grosse mer pour le moment, car on est en avant de la dépression, c’est là qu’il faut essayer d’aller vite parce qu’après c’est la mer qui bloque. C’est le moment de faire de l’Est rapide. Côté avarie, je touche du bois, heureusement que j’ai fait mettre un peu de bois sur cette table à cartes, ça me sert à ça ! (rires). »