La flotte du huitième Vendée Globe est si étalée que les concurrents font face à des problématiques différentes, voire contraire, dans l’Atlantique Sud. Ainsi, quand les leaders espèrent enfin pouvoir souffler dans des conditions moins sollicitantes, les poursuivants n’ont qu’une hâte : retrouver du vent soutenu et renouer avec les vitesses à deux chiffres. Toujours poursuivi par Armel Le Cléac’h et Sébastien Josse, Alex Thomson pourrait franchir le cap de Bonne Espérance dès demain soir. Derrière, chacun va chercher à se positionner le plus vite possible dans un système dépressionnaire. Pour la dizaine de marins du peloton compact, de Fabrice Amedeo (12e) à Rich Wilson (21e), le retour progressif du vent va donner le signal d’un nouveau départ.

Après l’abandon de Vincent Riou (PRB) sur avarie de quille, le groupe des leaders est composé de six bateaux. Et c’est toujours le fougueux Alex Thomson (Hugo Boss) qui mène les débats à vive allure (près de 20 nœuds au pointage de 15h). Sur une trajectoire très Sud, le Britannique flirte avec la Zone d’Exclusion Antarctique (ZEA) dans laquelle les coureurs n’ont pas le droit de pénétrer. Une centaine de milles plus au Nord que le leader, Armel Le Cléac’h (Banque Populaire VIII) a pris le dessus sur Sébastien Josse (Edmond de Rothschild), pénalisé par le choc avec un OFNI qui a nécessité 4 heures de réparation la nuit dernière. A noter qu’Alex Thomson et Armel Le Cléac’h sont pour le moment les deux seuls à naviguer dans les mythiques Quarantièmes Rugissants.
Les écarts se creusent dans le groupe de tête. Premier bizuth, solidement installé à la 4e place au général, Morgan Lagravière (Safran) accuse tout de même près de 400 milles de retard sur Thomson. Paul Meilhat (SMA, 5e) et Jérémie Beyou (Maître CoQ, 6e) pointent respectivement à plus de 600 et 700 milles de l’éclaireur britannique. Dépassés par le front qui a propulsé les premiers, Meilhat et Beyou cherchent désormais à se repositionner pour le prochain système dépressionnaire qui les mènera à Bonne Espérance.

Varier les plaisirs

Les écarts vont probablement diminuer car les premiers vont buter dans une zone de vent faible. Ils ne se plaindront pas de varier les plaisirs car depuis le départ des Sables d’Olonne, le 6 novembre, les hommes de tête tiennent un rythme effréné (17,3 nœuds de moyenne sur l’eau pour Alex Thomson !). Il faut imaginer la haute vitesse permanente sur ces bolides en carbone au confort, disons, limité. Le bateau gîte, tape, des tonnes d’eau s’abattent sur le pont et dans le cockpit. Le vacarme est assourdissant, les appendices sifflent. Dans ces conditions, chaque geste devient périlleux, les repas sont sommaires et les marins n’accèdent au sommeil que par épuisement…
Le moment de répit qui s’annonce permettra aux leaders de souffler, d’effectuer si besoin les petites réparations nécessaires, mais aussi de procéder à un « check » su bateau avant d’entrer dans les mers du Sud, où les conditions seront à nouveau très exigeantes pour l’homme et le matériel.

Pour les poursuivants, enfin des vitesses à deux chiffres !

Derrière Yann Eliès (Quéguiner-Leucémie) qui a pu garder de la pression dans un couloir de vent, les dernières journées ont été compliquées pour les autres concurrents qui sont restés scotchés de longues heures, voire des journées entières. Pris dans les griffes de l’anticyclone, ils ont dû s’armer de patience et laisser de côté la frustration de s’être fait claquer la porte au nez, là où les leaders filaient à plus de 20 nœuds il y a quelques jours.
Mais ça y est, tout le monde commence à accélérer. Le bruit de la vitesse se fait à nouveau entendre. Le groupe des trois, composé de Jean-Pierre Dick (StMichel-Virbac), Jean Le Cam (Finistère Mer Vent) et Thomas Ruyant (Le Souffle du Nord pour le Projet Imagine), naviguera probablement à partir de demain en avant d’un front qui arrive par l’Ouest.

Nouveau départ pour le peloton, Didac Costa seul dans l’hémisphère Nord

La compression de la flotte a été particulièrement favorable à deux concurrents, Fabrice Amedeo (Newrest-Matmut) et Eric Bellion (CommeUnSeulHomme). Le premier emmène désormais ce peloton : il pointe ainsi en 12e position, soit cinq places de mieux qu’il y a deux jours ! Quant à Eric Bellion, il a gagné quatre places ces dernières 24 heures. Il est ce soir 18e. Deux marins « amateurs » dans le Top 20 du Vendée Globe après 17 jours de course : la performance mérite d’être saluée.

De Fabrice Amedeo à Rich Wilson (Great American IV), dix concurrents se tiennent ce soir en 120 milles. Les cartes ont été redistribuées et côté météo, la situation semble vouloir se décanter. Si ce groupe se bat encore dans les calmes de l’anticyclone, le vent devrait (enfin) rentrer par l’Ouest à partir de demain.

Notons enfin qu’après le passage de l’équateur de Sébastien Destremau (TechnoFirst-faceOcean), seul l’Espagnol Didac Costa (One Planet One Ocean) n’a pas franchi cette marque symbolique. Mais ce n’est qu’une question d’heures avant qu’il ne rejoigne ses 25 camarades dans l’hémisphère Sud. En fin de semaine, tous les concurrents navigueront dans les systèmes dépressionnaires de l’hémisphère Sud.

Soucis de communication pour Jérémie Beyou

Jérémie Beyou rencontre actuellement des problèmes avec ses deux antennes Fleet, qui sont tombées en panne simultanément. Concrètement, ce problème de transmission empêche le skipper de Maître CoQ de recevoir ou d’envoyer des fichiers, et donc de charger ses fichiers météo. En attendant, il utilise son Iridium. Mais cette solution est bien moins efficace car la connexion est très aléatoire et le téléchargement de fichiers lourds impossible. « C’est compliqué dans ces conditions d’avoir une vraie stratégie », commente Jérémie Beyou.

Vincent Riou (PRB) :

« J’ai une grosse déception personnelle sur cet abandon mais il faut imaginer tous les gens qu’on amène avec nous sur cette aventure. Il faut imaginer la déception de toute cette communauté qui nous soutient. C’est un fardeau assez lourd à porter, surtout sur une course comme celle-là, où on est seul dans l’action. C’est ce qui me mine le plus… Je vais rallier le port de Cape Town en Afrique du Sud. On imagine que l’ensemble n’est pas trop endommagé. On verra en le démontant. On pense déquiller le bateau rapidement. L’équipe arrive avec des pièces pour réparer. Je ramènerai ensuite mon bateau en Europe. J’espère au plus vite. Des histoires qui se terminent mal comme ça, plus vite elles sont closes et mieux tout le monde se porte. »

Alex Thomson (Hugo Boss) :

« Le vent faiblit peu à peu, ce moment de répit va faire du bien. Le vent tourne un peu à gauche derrière le bateau, je vais donc être obligé d’empanner à un moment. Armel Le Cléac’h et Sébastien Josse sont toujours avec moi. En ce moment, l’angle de vent est favorable et la mer forte. Le désavantage de ne pas avoir un foil est relativement peu important. Mais dans certaines conditions je serai davantage handicapé. Il me reste le foil bâbord donc j’espère que je naviguerai le plus souvent possible tribord amures ! »

Jean le Cam (Finistère Mer Vent) :

« Je vais appeler Vincent (Riou) dans la journée même si parfois tu n’as pas les mots, tu ne sais pas trop quoi dire. Heurter des OFNI fait partie du métier. On sait tous que c’est aléatoire. On peut avoir toutes les alarmes qu’on veut, un truc immergé dans l’eau, on ne peut rien y faire. On passe 80% du temps à l’intérieur. La vie continue et il y aura d’autres choses derrière pour Vincent, il saura rebondir… De mon côté, j’ai enfin repris de la vitesse. Hier, j’ai fait 2 nœuds pendant 4 heures. Je pense être à ma place, le bateau est nickel, j’avance entre 12 et 14 nœuds sous spi. Le début de course a fait un peu mal, j’essaye de me reposer tant que les conditions sont maniables. J’ai dû dormir 6h cette nuit. »

Thomas Ruyant (Le Souffle du Nord pour le Projet Imagine) :

« C‘est un peu frustrant pour moi de voir cette course qui s’étire par devant sans rien pouvoir faire. La météo a été très favorable pour les leaders. C’est sympa d’avoir devant moi deux marins d’expérience (Jean-Pierre Dick et Jean Le Cam). Ce sont de bons lièvres et des références intéressantes car ils naviguent dans le même système météo que moi. C’est chouette d’avoir des bateaux autour et de ne pas naviguer tout seul. Je prends énormément de plaisir, je me sens de mieux en mieux. Les IMOCA sont des bateaux incroyables, qui démarrent au quart de tour. Et le solitaire est une pratique grisante. Je suis très fier d’être sur ce Vendée Globe. »

Pieter Heerema (No Way Back) :

« Je suis désolé pour Vincent. Sur les IMOCA, les vitesses et les forces sont si énormes que le moindre choc peut engendrer de lourdes conséquences. C’est flippant ! Actuellement, je navigue dans un vent de 8 à 14 nœuds. Ce temps calme me convient bien car j’ai trois tâches à effectuer : bricoler un safran, décoincer un foil et régler un problème de dessalinisateur. »

Sébastien Destremau (TechnoFirst-faceOcean) :

« J’ai passé l’équateur hier, je suis dans les alizés stables. Il y en a pour quelques jours le long du Brésil avant le grand virage. Ça me parait normal que Didac (Costa) revienne. Nos bateaux ne vont pas à la même vitesse. Mon IMOCA est le seul à quille fixe et ça se ressent au niveau de la performance. Il ne faut pas pleurer. Les performances du bateau ne seront jamais équivalentes à celles de mes voisins, c’est comme ça. Mais je me fais plaisir et je fais du mieux que je peux. Je ne préserve pas le bateau plus que nécessaire, mais je ne me polarise pas non plus sur la vitesse des autres. »

Source

Articles connexes