La flotte est clairement scindée en deux grands groupes : ceux de tête qui naviguent dans des alizés de plus en plus soutenus et passant du secteur Sud-Est à l’Est, et le peloton qui rame dans un Pot au Noir particulièrement collant. Et quand les leaders glissent à près de vingt nœuds vers le cap Frio, le gros de la flotte patine à moins de dix nœuds vers l’équateur… Il y a rupture !

L’Atlantique qu’on pensait un boulevard s’est transformé en voie de triage : il y a un sacré remue-ménage sur la flotte ce jeudi ! Au milieu, une zone orageuse est venue perturber le trafic tandis que le Pot au Noir fait des siennes au cœur du peloton qui n’a toujours pas atteint l’équateur. Quant à Sébastien Destremau (TechnoFirst-faceOcean), après avoir hésité à passer par l’intérieur, le long des côtes africaines, il semble revenir sur la route de ses confrères au large du Cap-Vert alors que Didac Costa (One Planet-One Ocean) devrait croiser la route de Tanguy de Lamotte (Initiatives-Cœur) dans la journée puisque ce dernier revient sur ses pas, vers les Canaries : le premier file à six nœuds cap au Sud, le second à huit nœuds route au Nord avec 250 milles d’écart.

Longer le Brésil

À 150 milles du Brésil, la tête de course a dû faire face à un renforcement des alizés assez tonique cette nuit, avec des bulles de chaleur formant des paquets de cumulonimbus au large de Recife : Alex Thomson (Hugo Boss) n’a pas perdu de sa superbe puisqu’il aligne la plus grande distance en 24h avec 432 milles au compteur et si l’écart face à son dauphin Armel Le Cléac’h (Banque Populaire VIII) semble stabilisé, cela est plus dû à la trajectoire des leaders qu’à une réalité sur l’eau : dans les faits, en latitude, le delta est ce matin de 60 milles.

Et pour l’instant, il n’y a pas d’autre voie que de glisser cap au 210° vers le cap Frio distant de 800 milles : la journée va donc se passer à régler les voiles dans un vent d’une vingtaine de nœuds qui tourne progressivement à l’Est en accélérant le rythme. Désormais, le groupe de tête file entre 18 et 20 nœuds de moyenne et s’est suffisamment éloigné des côtes brésiliennes pour ne pas être perturbé par l’effet « tampon » de la brise sur le continent ou par les pêcheurs qui sont légion jusqu’à une centaine de milles du rivage.

Élargissement de la fissure

Ce ne sera probablement pas le cas pour le groupe suivant : Jean Le Cam (Finistère Mer Vent), qui a passé l’équateur à 23h19 mercredi, se retrouve le plus sous le vent de la flotte et il va falloir que les alizés prennent rapidement une composante beaucoup plus Est pour que le Breton ne rase pas de trop près Recife ! La première fissure entre les sept premiers et leurs poursuivants directs s’est ainsi sensiblement agrandie puisque Jean-Pierre Dick (StMichel-Virbac) est à plus de 580 milles du leader en termes de trajectoire obligatoire vers le cap Frio.

Quant au groupe suivant, seul Kito de Pavant (Bastide Otio) est réellement sorti du Pot au Noir : le peloton est englué dans des vents erratiques qui a compressé la flotte en moins de 300 milles entre Louis Burton (Bureau Vallée) et Alan Roura (La Fabrique) ! Cet arrêt buffet va créer des écarts colossaux vis à vis des leaders et la course est dorénavant scindée en deux grands ensembles qui n’auront plus du tout les mêmes conditions de navigation, au moins jusqu’aux Quarantièmes Rugissants…

Thomas Ruyant (Le Souffle du Nord pour le Projet Imagine) :

« J’arrive dans l’hémisphère Sud dans une heure, à l’heure du café vers 6h00 ! C’est toujours un moment important parce que cela fait partie des objectifs : il faut avoir des repères sur un tel parcours autour du monde. J’essaye d’avoir des points de passage, de découper la course en tronçon. Je suis bien sorti du Pot au Noir qui a été long pour moi et ça ne redémarre pas très vite : je suis à 60° du vent, au près océanique avec une mer encore peu agitée et quelques nuages et petits grains dans le ciel.
Je me suis bien mis dans le rouge dans le Pot au Noir, surtout la dernière nuit. Mais j’ai pu récupérer : j’ai quinze nœuds de Sud-Est et j’ai pu faire une bonne nuit même s’il fait toujours très chaud et humide. Les alizés s’établissent doucement : des conditions parfaites pour faire de bonnes siestes, le près est bien pour cela et j’en profite. Le bateau va bien et il y a encore cette magnifique lune qui nous éclaire l’horizon : la nuit est très claire malgré quelques pluies éparses. C’est très agréable la nuit parce que le jour, c’est l’étuve : j’ai un petit ventilateur près de la table à cartes pour avoir un courant d’air. Maintenant, il n’y a pas d’options dans les jours qui viennent : il faut plonger dans le Sud et on verra dans deux jours. Mais ça n’a pas l’air si simple que ça pour aller vers Bonne-Espérance ! Je vais commencer à m’ajuster dans deux jours pour aborder ce Sud de l’hémisphère Sud… »

Arnaud Boissières (La Mie Câline) :

« Je suis bien encore dans le Pot : tout à l’heure, j’étais sous gennaker et le vent a tourné. Je me suis retrouvé cap au Nord ! Il a fallu enrouler la voile pour se remettre sur la route et maintenant, j’ai 25 nœuds, route au Sud au près sur la tranche… Je n’en vois pas la sortie : j’ai un gros grain à côté de moi et jusqu’à présent, ces nuages n’étaient pas trop puissants, mais cette fois il est balèze. Ce n’est pas simple et ça rend un peu idiot ! Je vais en avoir encore pour une journée à m’en sortir… Mais dans le Pot au Noir, ça ne sert à rien de penser. Même avec les images satellites, on n’arrive pas à anticiper. On verra demain soir. Il fait bien chaud et le bateau va bien à part mes petits problèmes électriques à cause de mon démarreur un peu grippé. »

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