Entre vents et glaces : un couloir étroit vers Bonne Espérance
Thomas Coville attaque aujourd’hui le 10ème jour du sprint dans lequel il s’est lancé le 6 novembre dernier pour battre le record du tour du monde à la voile en solitaire qui est de 57 jours 13h et 34 min. Après un passage de l’Equateur en un temps express et record (5 jours 17h), Sodebo Ultim’ cavale aujourd’hui dans le sud de l’Atlantique Sud et contourne l’anticyclone de Sainte-Hélène pour passer le Cap de Bonne Espérance en fin de semaine. Avec plus de 25 nœuds en vitesse moyenne depuis Ouessant, Thomas Coville affole les compteurs ! En neuf jours, Sodebo Ultim’ a parcouru plus de 6000 milles (plus de 11 110 kilomètres).
Depuis son départ le 6 novembre dernier, le skipper a tracé une ligne éblouissante et presque parfaite qui va d’Ouessant à la latitude de l’Argentine. Depuis qu’il a passé les Iles du Cap Vert, il a fait beaucoup de changement de voiles pour suivre le vent et continuer à filer à cette allure là mais il n’a pas fait le moindre virement ou empannage. Depuis le 10 novembre, Sodebo Ultim’ avance bâbord amure et à toute allure !
Entre sa position aujourd’hui et le cap de Bonne Espérance qui marque presque l’entrée dans l’Océan Indien, Thomas Coville entre dans une zone particulièrement stratégique de ce tour du monde à la voile. Et le skipper n’a pas d’autre choix que celui de la négociation, une négociation de 48 heures.
A partir de demain matin, jeudi 17 novembre jusqu’au samedi 19, le skipper va devoir enchainer les empannages pour se glisser dans un couloir étroit d’environ 80 milles de large (soit 148 kms de large). Au nord de ce couloir, une cellule anticyclonique où les vents peuvent être variables et faibles, et au sud, une zone de glaces que les routeurs de Thomas ont qualifié de NoGo Zone (cette NoGoZone est située en dessous du 43° Sud). Cette année, les satellites ont en effet repéré des champs de glaces exceptionnellement nord (45°Sud).
La carte postale du mercredi 16 novembre
« Hier j’ai eu un lever de lune incroyable. C’était la quasi pleine-lune, elle était comme un ballon devant mon flotteur bord avec une symétrie parfaite. J’étais sur le filet et pendant quelques minutes j’ai profité de cet instant, le temps s’est arrêté.
Aujourd’hui, c’est ciel bleu, la mer est relativement plate. Depuis deux jours, j’avais une houle de face qui s’est heureusement atténuée. Je suis sous grand-voile haute. Ça déboule de nouveau à 28 nœuds alors que j’ai fait une petite nuit à 22-23 nœuds. Ça glisse bien, c’est super grisant. »
La routine du matin
« J’essaie de prendre un petit déjeuner au lever du jour. Il me reste quelques fruits frais à mettre dans les mueslis, je me fais un thé. Les jours précédents, je pouvais être en terrasse mais ça s’est nettement rafraichi. Avant hier, c’était short et tee-shirt et après chaque manœuvre, j’étais en sueur.
La nuit dernière était bien fraîche. J’ai commencé à remettre le bonnet et le ciré. Depuis les Canaries, je n’avais pas besoin d’être très couvert, l’eau était chaude. Hier, c’était la vraie transition. A 40 degrés sud, c’est la rupture ! Aujourd’hui, je mets 5-10 min à m’équiper mais bientôt ça va prendre plus de temps. »
Vitesses
« 27-28 nœuds, on s’y habitue vite à l’image des personnes qui ont des grosses voitures. Quand il y a plus de mer, ça peut vite devenir impressionnant. Je n’accepte pas de descendre en dessous de 20 nœuds, 25 nœuds c’est acceptable. On fait des bonnes pointes de vitesse mais il faut faire attention au matériel et à ne pas se laisser trop prendre au jeu. Depuis le début, globalement on a du vent régulier. Pour aller à 28-30 nœuds, il faut un vent de 15-22 nœuds. C’est la réussite pour aller vite avec ces engins-là ! »
L’approche des glaces
« Toute à l’heure au radar, j’ai croisé un brise-glace. Ça donne le ton de ce qui se trouve au Sud ! Hier également, j’ai eu une alerte radar d’un super tanker. Depuis le départ, on sait que les glaces sont assez nord. Il y a un énorme amas de glaces de plusieurs dizaines de kilomètres qui s’est disloqué et forme des growlers. C’est à la fois magique et angoissant. Tout l’enjeu, c’est la tenaille entre la zone de non vent située au nord et provoquée par l’anticyclone de Sainte-Hélène et au sud la zone de glaces. Il faut que je me faufile dans ce couloir ce qui va nécessiter de faire beaucoup de manœuvres et d’empannages à priori toutes les heures et demi. Soit environ quarante empannages dans cette zone.
On ne va pas jouer au samouraï, je n’irai pas dans la zone de glace. Si l’anticyclone remonte un peu dans le nord, cela me permettra de me dégager plus vite. »
Etat d’esprit
« Une transat, c’est 7-8 jours, là je vais en faire encore 8 d’affilée. C’est un peu l’ultra-trail. J’ai bien géré le matériel depuis le départ. Le joli temps de référence à l’Equateur m’a mis en confiance. On va surement perdre un peu de temps avec Sainte-Hélène, mais ça s’équilibre avec tout de même une très bonne vitesse sur la trajectoire de Sodebo Ultim’. Je suis plutôt confiant pour la suite. »