Le Grand déménagement
« J’ai rangé ma maison après avoir déménagé hier soir, j’ai tout mis sur l’autre bord, du coup j’ai retrouvé plein de trucs ! » racontait cet après-midi Jean Le Cam. A partir d‘aujourd’hui, presque tous les marins du 8e Vendée Globe s’apprêtent à vivre plusieurs jours sur ce bord « bâbord amure » (quand le vent vient de la gauche) jusqu’au pot au noir, que les étraves des premiers devraient toucher entre le 14 et 15 novembre. En attendant, pour les foilers, côté vitesse, ça devrait déménager aussi ! Armel Le Cléac’h toujours en pôle position se détache progressivement de Vincent Riou qui était revenu à 7 milles de son tableau arrière ce midi. A noter qu’à 12h30, L’Espagnol Didac Costa a repris la mer et la course sur son bateau One Planet One Ocean réparé…
L’air de rien, l’entame du Vendée Globe n’a pas été de tout repos pour les skippers. Vincent Riou avouait à la vacation de 15h : « Les trois premiers jours ont été durs. On a bien tapé dans les réserves. Ca ressemblait plus à une Solitaire du Figaro qu’à un Vendée Globe. Je n’ai pas beaucoup dormi. » Même son de cloche du côté de Jérémie Beyou dont le manque de sommeil commence à se faire sentir : « On arrive à trouver des p’tits moments pour manger et dormir. Mais ils sont peu nombreux. On doit être aux écoutes, à l’affût d’un changement de voile ou d’un réglage ». En cette fin d’après-midi, le gros de la flotte commence à toucher les alizés. Les marins pourraient bien en profiter pour s’offrir « un bon sieston », ce que comptait faire Jean Le Cam, sitôt le dévent de Madère passé.
Avantage aux foilers sur cette descente express
Vincent Le Terrible sur son bateau à dérive a profité de la nuit dernière pour diminuer l’écart avec Banque Populaire VIII, intouchable depuis qu’il a pris les commandes du classement mardi 8 novembre à 17h. « Les conditions étaient bonnes pour moi, il fallait que j’en profite, parce que maintenant ce sera favorable pour les autres. » avouait le skipper de PRB cet après-midi. En effet, alors que l’alizé se renforce progressivement, les foilers accélèrent. Alex Thomson (8e) sur Hugo Boss, dans sa trajectoire une fois de plus extrême (ouest), s’est fait flashé à plus de 17 nœuds aux alentours de 15h ! Morgan Lagravière (5e) vole depuis ce matin sur son Safran qu’il découvre jour après jour : « Je suis sous grand spi. Il y a 20 nœuds. Quand on a 450m2 de voiles ça va vite. J’ai essayé de faire une sieste mais je n’ai pas réussi. C’est compliqué de lâcher la barre dans ces conditions. Sans trahir de secret, j’ai un foil dans l’eau ! ».
Pas si simples les alizés…
On pourraient donc croire que les foilers vont avoir un net avantage, mais ce serait sans compter les petits coups à jouer dans les grains, les légers décalages de trajectoire, les choix de voiles les plus judicieux à trouver. Les monocoques à dérives peuvent donc éviter de se faire trop distancer dans les alizés à conditions que les marins soient sur le pont pour ne manquer aucune occasion. Une bataille navale va donc se jouer entre tous les foilers. Déjà, le trio Beyou/Josse/Lagravière fourbit ses armes tout en gardant un œil sur Alex Thomson. Et 30 milles derrière, le grand match entre bateaux « classiques » ne fait que commencer : les Meilhat (3e), de Lamotte (7e), Le Cam (9e), Eliès (10e), Ruyant (11) vont tous faire pour arriver dans le pot au noir en bonne position.
Décidément, il y a peu de répit en mer, même sur une compétition de longue haleine !
Ils ont dit :
Vincent Riou (PRB)
« Ce sont des allures où je suis assez rapide. Maintenant, on est déjà repartis sur des temps de foilers. Il y aura quelques petits moments dans la course qui seront à notre avantage et d’autres au leur. Les trois premiers jours ont été durs. On a bien tapé dans les réserves. Mais c’est le jeu. On savait qu’il y avait du niveau cette année. On va essayer de rester dans le match car la course est longue. Il va forcément se passer des choses. Il ne faut pas rater les coups tactiques pour rester au contact. Il peut se passer énormément de choses sur cette descente jusqu’au pot au noir. Il peut y avoir des lignes de grains qui font des gros décalages. Je vais essayer de me reposer tout en restant vigilent. On en connaît beaucoup qui ont fini scotchés sous un banc de nuages. Les alizés paraissent facile à gérer mais ce n’est pas le cas. »
Jean Le Cam (Finsitère Mer Vent)
« On marche entre 10 et 16 nœuds à la vitesse du vent en gros. Je sais où je me situe et je suis plutôt content. Il y a du trafic par ici. Je vois un bateau devant moi. J’ai tous les radars et les alarmes là. Avant on était en tribord, là on est en bâbord. J’ai tout déménagé hier soir. C’est comme à la maison, y a plein de choses que tu ne trouves pas et quand tu rebouges tout, tu dis « ah ben c’était là ». Le premier et le deuxième jour je n’ai pas mangé. Aujourd’hui, j’ai fait la totale. Du bœuf-carottes, des bonbons Haribo, des rillettes. Là, il faut aller vite. Au final, j’ai bien fait de mettre mon gennaker. C’est plus simple que le spi qui est plus grand mais moins tolérant. »
Alex Thomson (GBR) Hugo Boss:
“C’était une bonne nuit, pas trop chaude, pas trop froide et nous avons eu droit à une belle brise en général. Ce n’était pas trop difficile avec un vent de 10-15 nœuds. Devant, les gars n’ont pas les mêmes conditions. J’étais assez content d’être au sud. Jean-Pierre Dick a payé le prix dans le nord avec moins de vent. Il commence à faire un peu plus chaud. J’ai hâte de voir le vent rentrer. Ce sera une longue course au portant jusqu’à l’Equateur et j’espère y reprendre des milles.”
Pieter Heerema (NED) No Way Back:
“Le vent est assez variable, ce qui m’oblige à faire beaucoup d’empannages. Le vent bascule de 40°, ce qui complique les choses. J’ai mal au dos. Dans le golfe de Gascogne, j’ai tiré sur quelque chose et depuis cela fait mal, quand je me déplace. Dans le golfe de Gascogne, je m’attendais à une bascule à l’ouest et cela est arrivé par l’est. Du coup j’avais du retard au cap Finisterre et il est toujours difficile de rattraper le coup par la suite. Je vais bien, le bateau va bien. C’est ma position au classement qui ne va pas!”
Conrad Colman (Foresight Natural Energy), (NZL/USA):
“La raison pour laquelle je rase l’archipel de Madère c’est parce que la flotte se bat pour traverser une dorsale qui s’étend des Açores vers Gibraltar. Hier j’ai réussi à avancer vers le sud devant mes petits copains et on verra en fin de journée si cela a payé. En ce moment je progresse vers l’ouest tandis qu’eux ils avancent difficilement vers le sud, mais tout cela pourrait changer… »
Morgan Lagravière, Safran
« C’est vrai que depuis le début je passais plus de temps à bricoler qu’à faire de la régate. Là tout est résolu. Je fais du bateau à voile, c’est super !
Depuis Madère, le vent est rentré. Je suis sous grand spi. Il y a 20 nœuds. Quand on a 450m2 de voiles ça va vite. J’ai essayé de faire une sieste mais je n’ai pas réussi. C’est compliqué de lâcher la barre dans ces conditions. Sans trahir de secret, j’ai le foil à l’eau. Je continue à découvrir mon bateau. Il ne fait que me surprendre. Moi qui aime bien ressentir les sensations, je ne suis pas déçu. C’est magnifique quand le bateau est perché sur le foil… »
Jean-Pierre Dick, StMichel-Virbac
« Depuis 24h c’est difficile pour moi. Il y a eu pas mal de nuages, de grains. Le vent diminue beaucoup. C’était un peu la loterie hier. J’ai été pas mal servi à ce jeu-là. J’ai voulu prendre du décalage Ouest et je me suis peut-être un peu trop rapproché de l’anticyclone. C’est une sacrée alchimie pour rentrer dans le rythme. On fait au mieux entre la fatigue et la lucidité. On essaye de gérer les décisions au mieux. Il y a une part de réussite dans les manœuvres. On va se retrouver assez au portant sur la descente jusqu’au Pot-au-Noir. Le fameux reaching. Ça devrait aller mieux que ces dernières 24h. »
CLASSEMENT DE 15H00
- BANQUE POPULAIRE VIII (Armel Le Cléac’h)
Distance de l’arrivée : 23 243 nm - PRB (Vincent Riou)
Distance du premier : 16,64 nm - SMA (Paul Meilhat)
Distance du premier : 27,91 nm