Pour cette dernière journée des Régates Royales de Cannes, la brise s’est évaporée sous l’effet d’une grande aspiration éolienne par les monts du Mercantour ! Une bouffée par ci, une ride par là, un remue-ménage éphémère, un préliminaire qui tourne en eau de boudin, des prémices sans lendemain : le vent n’a pas réussi à combler le marasme vélique de ce samedi et toute la flotte en attente dans la baie de La Napoule a dû faire demi-tour après plus de deux heures de patience en tournant en rond…

Rien ! Ou presque… Ou si peu. Si proche du zéro. Une sorte d’évaporation, d’aspiration, de vide intersidéral, d’occlusion aérienne, d’abréviation éolienne, d’apocoque éthérée. Un ventre si mou qu’on pourrait s’y enliser. Un nettoyage au Karcher vélique. Un coup de Bissel sur la moquette de la Grande Bleue. Pas une miette, pas un cheveu, pas un zest, pas un atome qui virevolte ! Un air de rien… Alors que faire d’autre que se concentrer sur la ride qui se propage au loin, sur ce souffle qui dévale le nuage en s’évaporant, sur ce mince filet qui s’ébroue mais ne remue rien ?

Un trou, une bulle, une cellule orageuse, un marais barométrique, un gouffre de néant : l’anticyclone s’est rétracté en glissant vers l’Est, dans le sillage du Russe Loginov, vainqueur des Régates Royales dans la série des Dragon, reparti vers les sommets himalayens avec Annapurna ! Car les isobares butaient sur le continent nord-africain quand celui-ci exhalait ses bouffées de chaleurs sahéliennes, tels des pschitts qui dégazaient pluies tenaces et zéphyrs éphémères au loin dans les terres, du côté des montagnes alpines. Il y avait donc quelques brises évanescentes, quelques souffles iconoclastes : de quoi perdre sa zénitude quand cette dernière manche pouvait transformer un écart réduit à peau de chagrin, quand le pécule de retard se dévaluait comme en crise systémique. Il n’y aura donc pas eu de belle, de dernier match pour confirmer ou modifier la hiérarchie établie depuis vendredi soir sur ces quatre manches aussi ensoleillées que disputées… Retour au port et même classement que la veille !

Grands chelems et matchs serrés

À l’issue de quatre manches courues dans une brise essentiellement de secteur Sud, faible (8 nœuds) à modéré (15 nœuds), seuls Moonbeam IV parmi les « Big Boat » et Freya of Midgard parmi les « Esprits de Tradition », réalisent le grand chelem avec quatre victoires incontestables et incontestées. Car dans les autres série, il a fallu parfois sortir le grand jeu pour s’imposer à l’image de Arrow qui ne possédait qu’un point d’avance sur Carron II chez les « Époque Marconi » de moins de 15 mètres, tout comme Arcadia face à Ganbare dans la catégorie des « Classique » ! Alors que d’autres équipages dominaient les débats malgré une manche ou deux moins percutantes comme Sovereign face à France pour les 12mJI, Linnet devant Spartan chez les « Époque Aurique » ou Enterprise contre Leonore parmi les « Époque Marconi » de plus de 15 mètres ou Pitch face à Team 42 au sein des Tofinou… De belles batailles qui en annoncent d’autres dès la saison prochaine !

Pascal Gard, Directeur Régates Royales Cannes

« Les conditions météorologiques ont été parfaites pour cette 38ème édition des Régates Royales de Cannes-Trophée Panerai, à part un petit orage mercredi qui n’a pas influé sur le déroulement puisque la flotte était alors rentrée au port. Avec 80 yachts classiques, cinquante Dragon et dix-huit 5.5mJI, ce fut un très beau rassemblement. Cette année, nous avons été très heureux d’accueillir les 5.5mJI qui se sont régalés d’abord avec la Régate en Mer de la Société Nautique de Genève, puis pour les Régates Royales avec un programme spécialement adapté à ces Métriques. Et dans quinze jours, on se tourne déjà vers la prochaine édition ! »

Jacques Flori, Président du Yacht Club de Cannes

« Il y a eu des bagarres à tous les niveaux sur le plan d’eau parce que les vents de secteur Sud permettent de faire de grands bords de près, sportifs et tactiques. Pour les Dragon qui ont pu enchainer dix manches et les 5.5mJI qui ont effectué neuf courses et qui ont régaté dans le golfe Juan, le vent est souvent rentré un peu plus tard, mais tous les équipages ont apprécié le terrain de jeu ! Parmi les yachts classiques, de nouveaux venus comme Linnet, Sincerity, Puritan, Sumurun… étaient à Cannes mais nous sommes obligés de limiter le nombre de bateaux inscrits pour des questions de logistique et de places libres dans le port. On a essayé de prendre tout le monde et le plan de port n’a pu être établi qu’au dernier moment ! Un beau succès… »

Classement des Régates Royales de Cannes

Big Boats (9 voiliers)

1-Moonbeam IV (Mikael Créac’h) 3 points
2-Hallowe’en (Mick Cotter) 6 pts
3-Moonbeam of Fife (Erwan Noblet) 9 pts

12mJI (3 voiliers)

1-Sovereign (Michel Nicolas) 5 points
2-France (Thierry Verneuil) 9 pts
3-Chancegger (José de la Vega) 15 pts

Epoque aurique (16 voiliers)

1-Linnet (Patrizio Bertelli) 4 points
2-Spartan (Courtney Koos) 7 pts
3-Chinook (Jonathan Greenwood) 14 pts

Classique (16 voiliers)

1-Arcadia (Bruno Ricciardi) 5 points
2-Ganbare (Don Wood) 6 pts
3-Maria Giovanna II (Jean-Pierre Sauvan) 13 pts

Epoque Marconi de plus de 15m (16 voiliers)

1-Enterprise (Goran Rutgersson) 4 points
2-Leonore (Mauro Piani) 8 pts
3-Skylark of 1937 (Tony Morse) 11 pts

Epoque Marconi de moins de 15m (13 voiliers)

1-Arrow (Phil Plumtree) 4 points
2-Carron II (Angelo Mazzarella) 7 pts
3-Jalina (Carlo-Luciano Frattimi) 8 pts

Esprit de Tradition (5 voiliers)

1-Freya of Midgard (Philippe Fabre) 3 points
2-Fairlie (Thomas Fisher) 7 pts
3-Tabasco 5 (Karl Lion) 9 pts

Tofinou (6 voiliers)

1-Pitch (Patrice Riboud) 3 points
2-Team 42 (Bernard Giroux) 5 pts
3-Pippa (E. Fort) 7 pts

Dragon (50 voiliers)

1-Anatoly Loginov-RUS (Annapurna) 55 points
2-Jonathan Brown-GBR (Storm) 70 pts
3-Javier Scherk-ESP (Gunter) 74 pts
4-Nicola Friesen-GER (Smaug) 83 pts
5-Stéphane Baseden-FRA (Outlaw) 87 pts

5.5mJI (18 voiliers)

1-Arend Jan Pasman-NED (Feng Shui) 12 points
2-Hannes Waimer-GER (Atari) 17 pts
3-Max Muller-GER (Prettynama) 21 pts

Les sculpteurs de carène

Ils ont été les plus grands designers de leur temps, les créateurs de voiliers magiques qui plus de cent années plus tard parfois, dévoilent encore leur élégance et leurs performances. Pour cette 38ème édition des Régates Royales de Cannes-Trophée Panerai, William Fife III reste le plus représenté avec Nathanaël Herreshoff le « sorcier de Bristol », puis Charles Nicholson. Ces trois architectes qui ont conçu des bateaux au début du siècle dernier, avant et après l’adoption de la Jauge Internationale (1907), ont cherché tout azimut à affiner les carènes, à utiliser de nouveaux matériaux (structure en acier, mât creux,…), à améliorer la rigidité des coques et la tenue des voiles.

La dynastie des Fife s’exprime particulièrement avec William junior à partir de 1888 jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale : il est le plus présent lors de ces Régates Royales avec entre autres, le 23mJI Cambria (1928), les 8mJI Eva (1906) et Carron II (1935), le voilier emblématique de l’Officine Panerai Eilan (1937), le cotre Marconi Hallowe’en (1926), les Moonbeam of Fife (1903) et Moonbeam IV (1914), Nan (1896) qui a inspiré Pen Duick, le ketch Sumurun (1914), le cotre aurique Viola (1908)…

Quant à Nathanaël Herreshoff, on lui doit les voiliers des premières éditions de la Coupe de l’America : Vigilant (1893), Defender (1895), Columbia (1899 et 1901), Resolute (1920). Et à Cannes l’architecte américain est représenté par la réplique d’une goélette aurique de 1911 : Elena est le plus grand voilier de ces Régates Royales avec ses 60 mètres de longueur hors tout ! Et les monotypes du New York Yacht Club de 50 pieds Spartan (1913), de 40 pieds Chinook et Rowdy (1916), de 30 pieds Linnet et Oriole (1905) démontrent la diversité des conceptions du génial sculpteur de carène.

Charles Nicholson fut lui aussi une star de l’architecture navale au début du siècle dernier même s’il n’a jamais pu s’imposer à Newport pour la Coupe de l’America aux côtés de Sir Thomas Lipton (Shamrock V, Velsheda, Endeavour I et Endeavour II) : à Cannes, Marigold (1892) est le plus ancien des yachts classiques présents, aux côtés de Oiseau de Feu (1937). Et à cette époque, impossible d’oublier Alfred Mylne, représenté seulement pas Kelpie (1903) alors que l’architecte écossais a dessiné parmi les plus beaux bateaux de l’avant guerre…

Ce n’est que dans les années 40 que de nouveaux concepteurs vont s’imposer à l’image de Sparkman & Stephens représenté dans la baie de La Napoule par Entreprise, Manitou, Skylark tous trois construits en 1937… Puis toute une nouvelle génération de designers s’exprimera avec la jauge IOR : Britton Chance, Dick Carter, André Mauric, Doug Peterson, German Frers, Olin Stephens, Ron Holland… À voir la diversité des carènes, des plans de voilure, des appendices, des plans de pont, force est de constater que le début du siècle dernier fut un véritable chaudron ardent d’où sortirent moult idées géniales et innovations technologiques que les yachts classiques de Cannes permettent encore de contempler.

Source

Articles connexes