Le jeu est ouvert
Comme prévu par Météo Consult, le front froid est passé au-dessus de Plymouth juste avant le signal préparatoire : le vent de secteur Sud-Ouest a ainsi molli à une quinzaine de nœuds en prenant de l’Ouest avec un ciel progressivement dégagé. A 15h30 (heure française), les vingt-quatre solitaires accompagnés par Loïck Peyron (Pen Duick II) ont ainsi pu franchir la ligne de départ dans d’excellentes conditions avant de piquer plein Sud vers le phare d’Eddystone.
Isabelle Joschke (Class40 – Generali Horizon Mixité), Armel Le Cléac’h (IMOCA – Banque Populaire VIII), Erwan Le Roux (Multi50 – FenêtréA-Cardinal) et François Gabart (Ultime – Macif) étaient les plus prompts sur la ligne de départ… La plupart des concurrents avaient conservé la grand-voile haute et pouvaient ainsi débouler au débridé vers le phare d’Eddystone, distant de huit milles, à plus de 23 nœuds pour les trimarans Ultime, à une quinzaine de nœuds pour les monocoques IMOCA et les Multi50, à une dizaine de nœuds pour les Class40.
Gabart prend la corde
Une demie heure plus tard, le trimaran Ultime Macif débordait le phare planté au large de Plymouth et continuait sur le même bord, laissant entendre que François Gabart choisissait d’éviter la grosse dépression prévue pour mardi soir au milieu de l’Atlantique. Il était suivi quelques minutes plus tard par Thomas Coville (Sodebo), Yves Le Blévec étant déjà un peu décroché, le skipper du Team Actual ayant opté pour un ris dans la grand-voile dès le départ…
Quid des autres classes ? Les Multi-50 emmenés par Lalou Roucayrol (Arkema) et Erwan Le Roux (FenêtréA-Cardinal) filaient aussi dans leur sillage vers le Sud, indiquant qu’ils voulaient traverser rapidement la Manche, puis le golfe de Gascogne, à la recherche d’une mer conciliante et d’un vent portant en lieu et place d’une dépression active avec ses vents contraires et ses mauvaises vagues annoncée dans 24 heures…
Il faut dire que la dépression qui balaie actuellement l’Atlantique en passant sur la route directe mardi soir, s’annonce plutôt brutale avec une mer très forte et des vents supérieurs à 45 nœuds ! La traverser offrait donc le risque de casses même si la trajectoire était plus courte vers New-York : glisser vers l’anticyclone des Açores laisse espérer une première partie de course moins tonique et tout de même rapide vers l’archipel…
Mais c’est la suite qui est plus incertaine par cette voie avec le passage d’une deuxième dépression attendue pour jeudi mais qui a des velléités à descendre jusqu’au Maroc ! Il faudra donc bien longer l’anticyclone des Açores sur sa bordure Nord, c’est à dire en multipliant les virements de bord, et finalement se faire prendre par une succession de dépressions qui naissent ces jours prochains sur la Nouvelle-Écosse… The Transat bakerly reste fidèle à sa légende : agitée, incertaine, musclée, ouverte.
Paroles de skippers
Sébastien Josse (IMOCA / Edmond de Rothschild) :
« Je suis dans l’état d’esprit de quelqu’un qui s’apprête à vivre des moments très exigeants physiquement et mentalement. Cette Transat bakerly, ce n’est pas une partie de plaisir, mais je suis très content d’être là. Je sais que je pars vers le froid que je vais me faire chahuter. Je ne saute pas de joie, c’est sûr, mais je sais pourquoi j’y vais. Je ressens une sorte de trac. Ce n’est pas de la peur, mais j’ai très envie de bien faire et ressasse un petit peu tout ce qu’il ne faut pas rater et les mauvais gestes qu’il ne faut pas faire. Cela se mêle à l’excitation du départ. Mais ce trac, comme celui du comédien qui entre en scène, dès le top départ, il s’évacue ! »
Armel Tripon (Class40 / Black Pepper – Les p’tits doudous par Moulin Roty) :
« Je suis un peu stressé et je ne fais pas trop le malin. C’est dû au parcours, au choix stratégique qu’il faudra faire et au fait de repartir en solitaire… Tout cela génère beaucoup d’excitation. J’étais plutôt détendu jusque-là, et même si j’ai bien dormi, je sens que j’ai la petite boule au ventre qui va disparaître une fois que je serai sur l’eau. Au niveau de la stratégie, cela semble s’éclaircir. Hier soir, les routages indiquaient plutôt le Nord, aujourd’hui, ils nous orientent plutôt vers le Sud. La porte du Nord semble se refermer après la première dépression. C’est compliqué, cela nous ferait aller dans la baston pour pas grand chose. Mais tout cela n’est pas évident, c’est un choix stratégique à faire dès le départ, et cela prend forcément un peu la tête même s’il faut faire confiance à son feeling et à son ressenti. »
Thomas Coville (Ultime / Sodebo) :
« On compte environ huit jours pour arriver à New-York avec un rythme à bord infernal. Il va falloir être prêt mentalement car ce sera aussi une course à rebondissements ! Des options stratégiques se dessinent mais je n’ai pas encore tranché. Les choix se feront certainement après le passage du phare d’Eddystone et la sortie de Manche, lundi soir. Contrairement à la Route du Rhum, on va aller aux devants des dépressions, avec un effet élastique qui pourra se retendre par l’arrière. Je m’attends à pas mal de manœuvres mais cela ne me dérange pas, au contraire : j’aime quand c’est physique et qu’il y a de l’action ! »
Pierre Antoine (Multi50 / Olmix) :
« C’est le même parcours qu’en 1960 ! C’est un retour dans la légende de la transat anglaise… Pour les multicoques, la grosse référence c’est Mike Birch en 1976 qui arrive juste derrière Éric Tabarly sur un petit trimaran de neuf mètres : c’est pour moi le début de l’histoire alors revenir sur ce parcours, c’est une chance extraordinaire. J’ai déjà fait cette traversée Nord de l’Atlantique en 2005 sur un trimaran de 40 pieds (Spirit), mais ce sera probablement très différent cette fois-ci, plus rapide, mais plus dur ! Le temps de référence est autour de quatorze jours pour les Multi-50 : espérons faire mieux ! »
Edouard Golbery (Class40 / Région Normandie) :
« J’ai bien dormi cette nuit et j’ai profité d’un dernier full English Breakfast, mais bon j’ai quand même quelques questions en tête. La route n’est pas trop définie pour l’instant, les premiers jours de course ne sont pas très clairs, ce qui n’est pas hyper confortable. Je suis aussi toujours un peu stressé avant le départ des courses, cela fait partie du jeu. J’ai aussi quelques appréhensions concernant le bateau que je ne maîtrise pas très bien encore puisque je navigue dessus depuis mars. »
François Gabart (Ultime / Macif) :
« J’ai hâte d’y aller : je suis content, je suis prêt. J’ai cette sensation de compétition depuis quelques jours et j’adore ça ! Il y a forcément de la pression parce que ce n’est pas rien sur un bateau comme celui-là… Il y a aussi de l’émotion car on ne vit pas cela plusieurs fois dans sa vie. Cela va être compliqué au départ parce que ces trimarans géants ne se manoeuvrent pas facilement en solitaire dans un espace aussi réduit. Heureusement, le vent va basculer au Nord-Ouest en mollissant au moment du départ, ce qui sera plus facile pour sortir de la baie de Plymouth. Après il y aura le choix de la route : cela va se dessiner au passage du phare d’Eddystone ! »